Marie-Laure Dreyfuss : "Les équilibres assurantiels doivent être respectés"
INTERVIEW- Marie-Laure Dreyfuss, déléguée générale du Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP), affirme que les institutions de prévoyance auront des difficultés à préserver leurs équilibres techniques si le confinement perdure.
Comment les institutions de prévoyance ont réagi face à la crise sanitaire ?
Le premier constat est la rapidité avec laquelle les institutions de prévoyance ont réagi. Dès les premiers jours, toutes les IP et les groupes de protection sociale se sont mis en ordre de marche pour continuer l’activité en télétravail malgré la crise afin d’éviter la rupture du paiement des prestations. Certains de nos adhérents ont mis en place des plateformes d’écoute psychologique à destination des collaborateurs. Environ 95% des collaborateurs des IP sont actuellement en télétravail. Il ne reste qu’entre 5 et 10% du personnel sur site pour assurer la maintenance.
Est-ce que les groupes de protection sociale ont recours au chômage partiel ?
A ce stade, il n’y a pas à ma connaissance d’institution de prévoyance ayant recours au chômage partiel, même si cela reste difficile pour les réseaux commerciaux dans certains cas.
Quel sera l’impact de cette crise en matière de sinistralité pour les institutions de prévoyance ?
C’est encore trop tôt pour chiffrer les impacts. Les évaluations des impacts quantitatifs sont en cours, mais nous sommes dans une crise inédite avec des mesures gouvernementales qui varient pratiquement tous les jours. Au début, un salarié sur huit était au chômage partiel, aujourd’hui c’est un salarié sur quatre. Et demain ? Nous ne pouvons pas le prédire. Nous n’avons aucune certitude sur la durée du confinement. Nous ne savons pas combien d’entreprises seront en difficulté. Il est évident que chaque IP étudie les impacts avec ses propres analyses de risques internes. Les IP, comme tous les acteurs, avancent au jour le jour.
Quelle est la principale préoccupation des institutions de prévoyance ?
Les équilibres assurantiels doivent être respectés pour garantir la pérennité des engagements des IP. Il convient de rappeler que les entrées de cotisations sont le préalable au versement des prestations. Une confusion s’est produite au départ quand le gouvernement a annoncé le report des cotisations. Certaines entreprises ont compris que cela concernait aussi les cotisations prévoyance et santé dues aux opérateurs privés.
L’objectif des institutions de prévoyance est de garantir leurs engagements dans la durée pour accompagner au mieux les entreprises et salariés pendant la crise mais également en sortie de crise. Tous nos adhérents ont d’ailleurs mis des formulaires en ligne pour permettre aux entreprises en difficulté de demander des délais de paiement.
Pour mémoire, les institutions de prévoyance encaissent, tous les mois, environ un milliard d’euros de cotisations pour verser le même montant de prestations à 13 millions de salariés. Si les cotisations n’étaient versées qu’à hauteur de 50%, le déficit mensuel serait donc de 500 millions. Difficile, voire impossible, de tenir dans la durée.
Est-ce que les ORSA avaient prévu ce scénario ?
Tous les scénarios ORSA prévoient des hypothèses de sur-sinistralité en santé et prévoyance, mais la situation d’aujourd’hui avec son confinement généralisé s’avère totalement inédite. Les ORSA ne prévoient pas les effets qui sont devant nous. Nous sommes au-delà des pires hypothèses testées dans les ORSA. Les modèles de stress test continuent à tourner et nous aurons les résultats d’ici quelques semaines.
Faut-il s’inquiéter pour la solvabilité des IP ?
C’est évident qu’il y aura des impacts sur les équilibres financiers et prudentiels mais globalement le secteur des IP couvre sa marge à plus de trois fois. Les évolutions des marchés financiers sont également suivies de très près et ajoutent de la volatilité dans la couverture de solvabilité. Les enjeux sont plus à moyen terme, notamment en termes de trésorerie. Néanmoins, les fonds propres pourraient être impactés si l’activité économique devait se ralentir encore.
La FFA a mis 200 millions d’euros sur la table. Que fait le CTIP ?
Il y a un vrai consensus sur l’objectif d’accompagner les entreprises à passer cette crise en assurant pour leurs salariés les couvertures en période de crise sanitaire. Accorder du délai de paiement, sachant que les cotisations sont encaissées à terme échu, traduit un geste fort de la part des institutions de prévoyance. Par exemple, pour les prestations versées en avril, les cotisations ne seront encaissées qu’en juillet.
Que font les membres du CTIP pour soutenir les entreprises en difficulté ?
Chaque IP négocie avec ses entreprises et ses branches, de nombreuses négociations sont en cours. Certaines branches ont mobilisé les réserves pour exonérer des cotisations pendant plusieurs mois, comme la branche Hôtels Cafés Restaurants ou celle du bâtiment. Klesia, Audiens et l’Ircem ont également pris des mesures importantes. Malakoff Humanis a mis 200 millions d’euros sur la table à lui tout seul. Le total de toutes ses mesures sera vraisemblablement conséquent au vu des enjeux actuels pour les entreprises et les salariés.
Est-ce que les IP vont prendre en charge les arrêts de travail dits préventifs ?
Pour les personnes vulnérables ou en affection longue durée, c’est certain. Concernant l’arrêt de travail pour garde d’enfant, c’est avant tout un coût pour l’entreprise car l’assureur intervient principalement après la franchise, soit à 30 jours, 60 ou 90 jours. Le sujet va être prégnant quand on va dépasser les 30 jours de franchise, à partir de mi-avril. L’éventuelle prise en charge de ces arrêts dépend de la façon dont les contrats prévoyance sont rédigés. Il y a une grande variété de situations et pas de position commune. Par exemple, Malakoff Humanis a fait le choix d’une indemnisation forfaitaire, à hauteur de 250 euros par salarié. De leur côté, ProBTP et Ircem ont annoncé qu’ils vont prendre en charge ce type d’arrêts.
Comment les assureurs vont couvrir les salariés au chômage partiel ?
La position avancée par le CTIP, la FFA et la FNMF est de maintenir les prestations sous réserve qu’il y ait bien des cotisations. Les différentes familles ont formulé des consignes opérationnelles communes pour les déclarations des cotisations dans la déclaration sociale nominative (DSN). Nous avons ainsi clarifié la position des assureurs auprès des circuits qui recueillent les cotisations.
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