Les entreprises d’assurance souhaitent accélérer la cadence du déconfinement. Certains salariés, en revanche, préfèrent rester en télétravail et retardent leur retour au bureau. Les partenaires sociaux s’expliquent.
Après deux mois de confinement strict, et un mois de déconfinement sur la base du volontariat, les salariés de l’assurance sont priés de retourner progressivement au bureau. D’autant plus que le télétravail n’est plus la norme à privilégier, sauf pour les personnes vulnérables, selon le nouveau protocole national de déconfinement. Selon la FFA, de 25 à 30% de salariés sont revenus sur site. L’objectif est d’atteindre 50% des postes occupés fin août.
Cet objectif se heurte aux réticences de certains collaborateurs qui préfèrent retarder au maximum leur retour au bureau. « Les entreprises auraient voulu que le déconfinement se fasse aussi rapidement que le confinement. Mais le télétravail s’est très bien passé, y compris sur l’efficacité. Les plus jeunes sont contents de revenir au bureau, mais la grande majorité souhaite prolonger ce mode de travail à distance jusqu’en septembre. Je pense que les salariés finiront par revenir au travail, avec une montée en charge progressive », confirme Joël Mottier, président de la fédération assurance de la CFE-CGC.
10% des collaborateurs de retour au bureau
Depuis mi-mai Axa a ouvert progressivement ses sites, à raison de deux sites par semaine. Tous les sites sont ouverts depuis le 22 juin et les collaborateurs ont la possibilité de se rendre au bureau une semaine sur deux, sur la base du volontariat. Malgré cette possibilité, Axa constate que moins de 10% des collaborateurs sont revenus au bureau. “Les gens ont pris l'habitude, se sont enfermés dans une bulle. Certains d'entre eux sont encore confinés dans leur tête", indique Sibylle Quéré-Becker, vice-présidente de la commission sociale de la FFA et directrice du développement social d’Axa France.
Axa n'a pas calculé les impacts du télétravail sur la productivité, mais Sibylle Quéré-Becker signale : "Il y a un vrai risque de distension du lien social, après une période de fort engagement. Le déconfinement a, dans certains cas, impacté au fur et à mesure négativement le niveau d’engagement des collaborateurs".
Pendant le confinement, les règles étaient strictes et claires alors que depuis le 11 mai, chacun fait comme il peut. À partir du 1er juillet, le principe du volontariat a été levé et les salariés d’Axa sont obligés de revenir au bureau de deux à trois jours par semaine, de façon alternée. "Les psychologues nous le disent, il vaut mieux donner des règles et des repères clairs après ce que l'on vient de vivre. C'est important de retrouver le collectif de travail avant les vacances, de partager cette expérience du confinement. Les contacts virtuels, même s’ils ont été fréquents, ne permettent pas de repérer les signaux faibles. Je crois beaucoup à l’importance de la machine à café", indique Sibylle Quéré-Becker.
Les craintes des salariés
Pour les représentants des salariés, le retour sur site n’est pas si simple. “Les salariés ne sont pas réticents à revenir au bureau, ils sont inquiets. Ils sont attentifs aux risques évoqués tous les jours dans les médias, sur la possibilité d'être contaminés par le virus et sur un éventuel rebond de l’épidémie. Certains salariés sont dubitatifs sur la nécessité d'accélérer le retour sur site, alors que la majorité peut continuer à travailler de la maison », déclare Georges de Oliveira, secrétaire général de la section fédérale des assurances de FO.
« Je comprends l’inquiétude des salariés qui sont anxieux de revenir en masse, notamment à cause des transports en commun. Ils ne veulent pas être touchés par le virus, alors qu’il y a un relâchement sur le port du masque, des images inquiétantes sur des rassemblements lors de la Fête de la musique. Il faut être prudent », considère Muriel Tardito, vice-présidente de la Fédération Commerce, Services et Force de Vente (CSFV) de la CFTC.
Comment les entreprises doivent-elles faire face à ces craintes des salariés ? « Quand les salariés ont été touchés de près par le virus, cela laisse des traces et ces personnes sont moins enclines à retourner sur le lieu de travail. C’est un traumatisme. Les entreprises ne peuvent pas balayer d’un revers de la main ce type de demande au prétexte que c’est une demande de confort. Ce serait très maladroit », considère Vincent Binétruy, directeur France du Top Employers Institute.
Des excuses ou des craintes justifiées ?
Pour certains, ce sont des excuses. Pour d’autres, la crainte est justifiée. « Nous avons compris que la priorité du gouvernement est la reprise économique, coûte que coûte. Les entreprises ont pris les mesures nécessaires pour protéger leurs salariés, mais ceux qui habitent en région parisienne ont peur de prendre les transports, certains salariés sont à risque ou habitent avec des personnes fragiles. Pour d’autres, l’école n’a pas complètement repris. Et dans beaucoup d’entreprises, le restaurant d’entreprise n’a pas rouvert. Nous essayions de traiter les difficultés individuelles au cas par cas et des fois les priorités des salariés et de l’entreprise ne sont pas les mêmes », renchérit Georges de Oliveira.
« Les 2 mois de confinement plus le mois de reprise a démontré que le télétravail a bien fonctionné. Les gens se sont habitués à éviter les transports, qui sont perçus comme une perte de temps, d’autant plus que l’école à repris, les enfants ne sont plus à la maison, et le télétravail retrouve tous ses avantages », analyse Vincent Binétruy, directeur France du Top Employers Institute.
Situation tendue dans les métropoles
Pour Thierry Tisserand, secrétaire national de la CFDT Banques et Assurances, la situation en province est différente que celle des grandes métropoles, notamment à cause des transports. « Dans certains cas, un confort s’est installé pour travailler de la maison. C’est quand-même contraignant de travailler 8 heures avec un masque, avec des rigidités sur la restauration collective, sans self-service, sans fontaine à eaux et avec l’obligation de respecter les distances de sécurité », indique le leader CFDT.
L’entreprise peut-elle contraindre les collaborateurs à retourner au bureau ? « C’est un sujet délicat qui touche à la santé et à la prévention des risques. Si les entreprises vont au bras de fer, elles risquent de voir leurs salariés exercent leur droit de retrait, en arguant que les conditions du retour physique au bureau ne sont pas garanties. Les salariés peuvent demander au médecin du travail de leur fournir un certificat médical. Ce serait une situation dommageable pour le collaborateur et pour l’entreprise. Je pense que les entreprises ont tout intérêt à donner des directives de souplesse à leurs managers, à introduire de la progressivité, une période transitoire », selon Vincent Binétruy.
Certaines entreprises comme Groupama s’appuient sur les salariés qui sont revenus au bureau et qui peuvent témoigner vis-à-vis de tels collègues pour montrer comment cela se passe pour motiver les gens à revenir.
Les experts affirment que cette crise va modifier les modes de travail. « A mon avis, le temps en télétravail va être orienté vers les activités productives, qui nécessitent de la concentration, avec des salariés moins disponibles pour des réunions, tandis que le temps au bureau sera destiné à échanger, apprendre, créer, collaborer, innover », affirme Vincent Binétruy.
Quel avenir pour le télétravail ?
Axa France a un accord de télétravail depuis 7 ans qui permet aux salariés qui le souhaitent de travailler de chez eux de 1 à 2 jours par semaine. “Aujourd’hui 60% de nos collaborateurs ont un avenant de télétravail. Ce taux va probablement augmenter dans les prochaines années pour atteindre plus de 80% de salariés télétravailleurs. Depuis le début du déconfinement, nous avons enregistré 400 nouvelles demandes de collaborateurs qui souhaitent télétravailler, soit une hausse de 10%”, partage Sibylle Quéré-Becker. Pour l’instant, Axa n’envisage pas d’augmenter le nombre de jours de télétravail par semaine, limité à deux.
Pour accompagner le retour des salariés sur site et l'extension du télétravail, Axa va porter une attention particulière aux managers. "Ils ont été très sollicités pendant la période pour animer et soutenir leurs équipes, ils sont le point de contact entre l'entreprise et les collaborateurs et auront un rôle clé à jouer dans le retour sur site"
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