100% santé : Pagaille entre opticiens et complémentaires
Trois semaines après l'entrée en vigueur du 100% santé en optique, la transmission des codes d'actes détaillés est au coeur de la pagaille entre opticiens et organismes complémentaires. Le nombre de prises en charge via le tiers payant est en baisse par rapport à décembre 2019.
L'assuré est pris en otage. Depuis le 1er janvier, certains opticiens refusent de communiquer le niveau de correction visuelle des assurés à l'organisme complémentaire lors d'une demande de prise en charge de lunettes. Ce qui empêche l'assuré de bénéficier du tiers payant. Les syndicats d'opticiens considèrent qu'il s'agit de "données médicales" confidentielles. Les organismes complémentaires, en revanche, affirment que la transmission de ces informations se fait depuis 10 ans et est nécessaire pour rembourser correctement l'assuré. Le grand pénalisé de cette bagarre est l'assuré, qui se voit privé de tiers payant, alors que l'objectif du 100% santé est d'améliorer l'accès aux soins.
"Les AMC n'ont modifié aucune pratique depuis le début de l'année pour assurer le tiers payant. En revanche, certains syndicats d'opticiens ont appelé leurs membres à refuser de communiquer le détail des prescriptions par les outils informatiques : c'est nouveau", explique Albert Lautman, directeur général de la Mutualité Française sur Twitter, qui s'interroge : "Pourquoi les opticiens changent leurs pratiques au moment de la mise en oeuvre de la réforme ?".
La Cnil doit trancher
Les opticiens militent depuis des mois pour que la transmission soit faite sur la base des données agrégées. Au lieu de préciser que les verres ont un niveau de correction de -3 dioptries, le code de regroupement indiquerait que le verre a une correction d'une tranche comprise entre 0 et -10 dioptries. L'avis de la Cnil est très attendu. La Commission nationale informatique et libertés devrait trancher sur ce désaccord d'ici la fin du mois.
"Pour l'instant, nous avons observé quelques cas d'opticiens qui refusent de transmettre les informations détaillées à l'organisme complémentaire, mais pas de mouvement massif", affirme Pierre-Henri Comble, conseiller du président de Cegedim Insurance Solutions. Les opticiens mettent en avant des arguments liés à la nécessité de recueillir le consentement du patient, tel que prévu par le Règlement européen sur la protection de données. Pierre-Henri Comble répond que "l'opticien doit demander l'accord de son client pour pouvoir transmettre à son assureur complémentaire les éléments décrivant la correction de chacun de ses verres. Lorsque l'assuré signe une demande de prise en charge, il donne son consentement au sens du RGPD".
"Si la Cnil venait à refusait l'accès des complémentaires au niveau de correction, les garanties et le système de tiers payant devraient évoluer car aujourd'hui le tiers payant ne fonctionne que si un équipement est affecté à une garantie dont les bornes prennent en compte les défauts visuels", avance-t-il.
Par ailleurs, les complémentaires demandent le détail des équipements qu'elles remboursent afin de lutter contre les abus. Une pratique courante des opticiens consiste à envoyer plusieurs demandes de prise en charge pour le même patient avec des équipements différents afin de proposer celui qui obtiendrait le niveau de prise en charge le plus élevé. Pour réduire les abus, les outils informatiques limitent le nombre de tentatives de prise en charge qu'il est possible d'envoyer.
Les réseaux de soins dans le viseur
Les opticiens souhaitent se désengager d'un système dans lequel les réseaux de soins tirent les prix de vente vers le bas. Grâce au pouvoir de négociation des réseaux sur les prix des verres, les opticiens se retrouvent dans une situation de baisse des marges alors que le volume des ventes reste stable.
Difficultés de mise en oeuvre
En plus de l'opposition des opticiens, certains plateformes ont rencontré des difficultés de mise en oeuvre pendant les 2 premières semaines de la réforme. "Certains opérateurs n'étaient pas au niveau au 1er janvier mais maintenant la plupart des problèmes sont soldés", affirme Pierre-Henri Comble. " La mise en place du 100% santé en optique a obligé les opérateurs de tiers payant et les assureurs à un vaste travail de revue de leurs garanties et de paramétrage. Les verriers ont dû mettre à jour leur catalogue, associer chaque type de verre à un panier, et transmettre le catalogue aux organismes complémentaires, opérateurs de tiers payant et opticiens. Au-delà des produits, les garanties ont également évolué. Ce travail de paramétrage n'était parfois complètement terminé au 31 décembre 2019", détaille-t-il.
Pendant les premiers 20 jours de l'année, le taux de recours au panier A sans reste à charge pour l'assuré était de moins de 10%, avec un recours plus important à la classe A sur les verres unifocaux, selon Cegedim Insurance Solutions.
Les difficultés techniques et le blocage de certains opticiens annoncent une montée en charge de la réforme au ralenti. Les opticiens se plaignent déjà d'une baisse du chiffre d'affaires. D'autant plus que les opérateurs de tiers payant ont constaté un pic d'activité en décembre 2019, piloté par les opticiens, juste avant l'entrée en vigueur de la réforme.
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