Alain Chrétien : "Il faut donner envie aux assureurs de nous assurer"

mercredi 7 février 2024
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Alain Chrétien, maire de Vesoul, en charge d'une mission sur l'assurance des collectivités territoriales, partage ses premières pistes au Sénat.

Envolée des cotisations, franchise multipliée par 1.000, résiliation unilatérale du contrat, appels d’offres infructueux... de nombreuses collectivités territoriales rencontrent des problèmes pour s’assurer. Si des difficultés existent depuis 2021, les émeutes de 2023 et la montée des risques climatiques sont venues aggraver une charge de sinistres qui est concentrée principalement sur deux acteurs (Smacl et Groupama).

Face au risque d'inassurabilité, le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé une réforme du régime Cat Nat. Sur le cas précis des collectivités, Bruno Le Maire a confié une mission à l’ancien président de Groupama Jean-Yves Dagès et au maire de Vesoul, Alain Chrétien. Ils doivent rendre leurs conclusions en avril prochain. Parallèlement, la commission des finances du Sénat a lancé une mission d’information sur le sujet. Lors de sa première audition, son rapporteur Jean-François Husson a insisté ce 7 février sur la nécessité d’objectiver ces difficultés. Les collectivités sont invitées à partager leur situation en répondant à un questionnaire en ligne.

Devant la commission des finances, Alain Chrétien a partagé ses premiers constats et a esquissé quelques pistes de réforme. « Nous assistons à un désengagement massif des assureurs sur une certaine catégorie de collectivités. Ce sont des communes de taille intermédiaire ainsi que des métropoles, comme Lille, qui ont un grand nombre d'équipements à assurer », a indiqué Alain Chrétien en introduction. Le problème concernerait « quelques milliers de communes, y compris celles qui n’ont pas été touchées directement par les Cat Nat ni par les émeutes ».

Un problème d'attractivité

Pour Alain Chrétien, le problème d’attractivité du marché de l’assurance des collectivités est « structurel » et revient de façon cyclique. Alors que le marché de l’assurance représente 230Mds d’euros de primes, l’assurance des collectivités ne comptabilise que 200M d’euros de chiffre d’affaires. Le marché est en plus concentré dans les mains de deux acteurs (Smacl et Groupama). « Nous dépendons de nos assureurs et eux, ils n’ont pas l’obligation de nous assurer », constate Alain Chrétien.

Par ailleurs, le maire pointe une baisse des tarifs de 2010 à 2020. « Il faudra demander au régulateur d’avoir un œil plus averti sur les tarifs proposés », inisite-t-il. Éric Schahl, représentant de Régions de France, s’est aussi interrogé sur les raisons du désengagement des autres assureurs sur le marché des collectivités. « C’est parce que ces deux sociétés ont pratiqué une politique ultra-compétitive, je pourrais dire agressive, qui a fait fuir les autres assureurs ? Pendant des années, on a pu bénéficier de tarifs inférieurs au prix du marché. Quand ces entreprises se retrouvent avec une sinistralité qui augmente partout simultanément, elles ne sont plus en situation de pouvoir payer. Elles n’ont que la solution d’augmenter la prime, les franchises. Si on veut intéresser les assureurs, il va falloir trouver le juste prix. Et le prix n’est pas malheureusement pas celui qu’on a payé pendant des années, ce n’est pas non plus celui que vont vouloir nous imposer maintenant ces entreprises qui sont en difficulté et en situation de quasi-monopole ».

Pendant les auditions, il a été cité l'incendie du gymnase de Gravelines (Nord) qui a coûté 65 millions d'euros à la Smacl, alors que la mutuelle d'assurance réalise un chiffre d'affaires annuel de 405 millions d'euros.

Une expertise préalable

Comment rendre le marché de l’assurance des collectivités plus attractif ? Alain Chrétien considère qu’il faut « donner à nouveau envie aux assureurs de nous assurer ». Face aux sénateurs, il a évoqué la nécessité « d’intégrer la culture du risque dans le fonctionnement des collectivités ». Il met sur la table l’idée de créer une « expertise préalable » qui permettrait de faire un diagnostic sur l’état du patrimoine à couvrir. Cette expertise serait la base de la rédaction d’un cahier de charges.

Par ailleurs, Alain Chrétien et les autres représentants des collectivités auditionnés considèrent nécessaire d’ouvrir une réflexion sur le code des marchés publics. La procédure de l’appel d’offres est trop contraignante pour l’assureur, qui ne peut pas définir ses besoins en amont. Souvent, par manque de candidats, cela se termine par une procédure de marché négocié, ce qui permet de faire des allers-retours entre assureurs et collectivités. « Il faudra qu’on obtienne de l’État l’assurance que quand les collectivités passent par un marché négocié elles ne se fassent pas retoquer par l’État », demande Alain Chrétien.

De l'auto-assurance pour les petits risques

Aujourd’hui, les collectivités sont obligées de couvrir uniquement les flottes automobiles et l’assurance protection fonctionnelle qui couvre les absences et les congés maladie. Thomas Fromentin, président de la communauté d'agglomération Foix-Varilhes, évoque l'idée de créer "un panier minimum" afin de forcer les assureurs à couvrir les collectivités "car elles assurent des missions de service public". Faut-il élargir l’obligation d’assurance à d’autres risques ? Alain Chrétien n’est pas très convaincu. Le maire de Vesoul écarte également la piste des captives de réassurance ou le fonds européen de soutien qui n’intervient qu’en cas de très gros sinistre.

En revanche, le maire de Vesoul considère que « sur les événements majeurs, l’État va devoir assumer ses responsabilités. Il faut qu’on hiérarchise les risques. Oui, il va falloir faire de l’auto-assurance pour les petits sinistres. Le remplacement d’une fenêtre ou le rétroviseur de la Kangoo municipale, on ne le déclarera pas ». Puis, il y aurait un niveau intermédiaire de risque couvert par les assureurs. Et un troisième étage pour les sinistres de grande ampleur, avec le soutien de l’État. « Quelles que soient les mesures que nous prendrons, nous paierons plus cher nos assurances, que ce soit au niveau privé comme public, parce que le risque augmente. L’importance c’est que ces cotisations augmentent de manière raisonnable. Car aujourd’hui, la surprime de 20% ne permet pas de constituer une cagnotte ».

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