Alain Gianazza (MNT) : "Les frontières privé-public sont plus poreuses que prévu"
INTERVIEW – Engagé en mutualité depuis plus de 35 ans, Alain Gianazza, président de la MNT, doit passer la main lors de la prochaine assemblée générale en juillet. Dans cet entretien, il dresse le bilan de son mandat.
Comment êtes-vous arrivé dans la Mutualité ?
Je suis né le 5 juillet de 1948. J’ai débuté comme technicien à l’équipement et puis j’ai passé le concours d’ingénieur à la mairie de Toulouse, où j’ai travaillé jusqu’en 2008, année de ma retraite professionnelle.
Je suis entré en Mutualité en 1985, dans une mutuelle départementale, Mutame Occitanie, à Toulouse, dont j’ai été administrateur, puis président en 1999. Pendant mon mandat, nous avons étudié la fusion de cette mutuelle locale avec la MNT, fusion qui a eu lieu en janvier 2001. Ensuite, j’ai été coopté au conseil d’administration de la MNT, au même temps que la fusion. J’ai été élu l’année suivante, et depuis j’ai rapidement été élu vice-président. J’ai accepté la présidence en 2013 et là, c’est ma huitième et dernière année. Je suis touché par la limite d’âge de 70 ans.
Quelles évolutions avez-vous observé tout au long de votre vie mutualiste ?
La première révolution est technologique. Déjà dans les années 1980, le système d’information c’est un des premiers éléments structurants dans les regroupements entre mutuelles.
Avant 1984, les territoriaux n’avaient pas le statut de fonctionnaires. Mutualité fonction publique existait mais nous n’y étions pas. Nous l’avons intégrée en 1998, sous la présidence de Robert François.
Autre révolution, les différentes lois sur la décentralisation, notamment celles de 2004 et 2010, et les transferts de personnels de l’Éducation nationale, de l’équipement et des routes, qui sont devenus des agents territoriaux. Cela a conduit à des collaborations entre des mutuelles de la fonction publique. Nous avions créé une union, Mutaris, avec La Mutuelle Générale et la Mutuelle Nationale des Hospitaliers. Notre premier chantier consistait à mettre en commun nos SI. Il s’est avéré que ce n’était pas suffisant, Mutaris n’était pas la solution adaptée. LMG a été la première mutuelle touchée par la privatisation des services publics, et la première soumise à un contrat collectif à adhésion obligatoire. Ce chapitre de l’histoire me rappelle curieusement l’actuelle réforme de la protection sociale complémentaire des fonctionnaires.
La dernière vague de décentralisation, avec des transferts de l’Éducation nationale a amené à une collaboration entre la MGEN et la MGET, pour ne pas se phagocyter mutuellement. Après, avec la Mgéfi, la MAEE et la MCDef nous avons créé Istya, une UMG non prudentielle à l’époque. Notre volonté était de créer une UMG rassemblant l’essentiel des forces de la fonction publique. Nous avons même réussi à embarquer la MNH au départ.
Puis, la MNH a quitté l’aventure. Nous avions trop orienté la collaboration sur les moyens et ce n’était pas adapté à chacune des mutuelles. Cela a conduit les membres à élargir la vision au-delà de la simple fonction publique et de la simple complémentaire santé. Par la suite, cela a abouti à la création du groupe Vyv.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans la création du groupe Vyv ?
A l’époque, il y avait des différences philosophiques entre les mutuelles interprofessionnelles et celles de la fonction publique. Les premières étaient très attachées à la relation avec les employeurs qui, dans le secteur privé versaient généralement une participation importante, même avant l’ANI. Les secondes quant à elles demeuraient attachées à l’adhésion libre et individuelle. En effet, dès lors qu’il s’agit de marchés qui reposent sur une adhésion obligatoire par le salarié, c’est davantage le contrat qui prend le dessus sur l’adhésion individuelle et volontaire.
L’histoire et la réforme de la PSC nous montrent que les frontières privé-public sont plus poreuses que ce qu’on avait prévu.
L’UMG Vyv a eu le mérite de s’affranchir de ces différences, d’être entièrement mutualiste, et de permettre d’élargir le champ et nos collaborations à l’ensemble des Français, qu’ils soient salariés, non-salariés, fonctionnaires ou indépendants. Le projet, original en son genre, vise à accompagner les personnes et les individus, à mettre en synergie les services, les offres de soins et l’habitat.
Quelle est l’origine de la collaboration historique entre MNT et Smacl ?
La MNT a un partenariat particulier avec la Smacl. L’UGM Territoires d’avenir, créée 2015, est le fruit de cette collaboration. Le futur rapprochement de Smacl avec Maif ne remet pas en question notre UGM. Ce n’est pas une rupture pour Smacl, mais une réflexion commune entre Vyv, Smacl et Maif qui a conduit à cette solution afin d’avoir des synergies métier que nous ne pouvions produire dans VYV et parce que Smacl n’avait pas une taille suffisante pour satisfaire tous les besoins du groupe. Pour autant, autant pour la SMACL que pour la MNT, nous restons très attachés au maintien, voire l’amplification, de notre partenariat. Nous sommes en effet tous les deux spécialisés sur le champ territorial, MNT sur la complémentaire santé, et la Smacl, en IARD et risque statutaire. Les nouvelles perspectives de distribution rendent encore plus pertinente la collaboration avec Smacl.
Est-ce que votre rôle d’administrateur a changé au cours des années ?
Auparavant, nous étions davantage orientés vers l’entraide. Cette philosophie d’entraide s’est convertie progressivement aux techniques d’assurance. Avec l’entrée dans l’Europe, les différentes directives d’assurance, et la dernière particulièrement, les mutuelles sont de plus en plus banalisées dans un paysage qui se technicise beaucoup et où le rapport humain et de proximité a tendance à se distancier. Mais nos mutuelles restent attachées à faire participer les adhérents aux décisions, même si nous sommes contraints à nous adapter au contexte.
Regrettez-vous une perte de la vitalité démocratique au sein du mouvement mutualiste ?
Certes, avant tout le monde se connaissait. Les relations entre personnes comptaient plus que les détails techniques. Nous sommes tous devenus des entreprises de taille nationale. On voit bien la tendance de ce mouvement de concentration, mais je ne crois pas que nous avons perdu en vitalité démocratique. Nous avons un réseau de 94 agences, un réseau d’agents et de militants de proximité qui entretiennent le lien avec les collectivités et les agents et cela demande de l’énergie bénévole et des moyens que nous déployons à la MNT
Que vous a apporté sur le plan personnel d’être président de la MNT ?
Cela m’a obligé de sortir de ma coquille. Cela m’a permis de me réaliser au travers d’une œuvre d’utilité publique, de me rendre utile. C’est déjà un des principaux moteurs du militantisme. En tant que président, cela m’a amené à côtoyer des gens d’exception. Grâce à ces rencontres intéressantes, cela m’a sorti de mon métier d’origine puisque j’étais ingénieur en bâtiment, cela m’a permis de voyager, d’observer nos différences territoriales, y compris ultramarines. En revanche, le prix de l’engagement c’est le temps. Cela se fait au détriment de la vie familiale.
Quelle est votre plus grande fierté ?
Je n’aime pas faire de l’autosatisfaction. J’ai essayé de remplir honnêtement la mission qui m’avait été confiée Nous avons eu quelques épisodes difficiles : la résiliation de la réassurance de CNP Assurances, la réforme territoriale, la réforme de la PSC avec les décrets de 2007 et 2011 puis maintenant cette nouvelle ordonnance. Cela n’a pas été un long fleuve tranquille, mais en même temps c’était un chantier enthousiasmant. Je suis fier d’avoir su maintenir ce militantisme particulier de la MNT, en emportant l’adhésion du collectif.
Que pensez-vous de ce projet de décret qui veut enlever aux présidents de mutuelle la faculté de dirigeant effectif par défaut ?
Ce décret s’inscrit dans un contexte de technicisation poussée du monde mutualiste. De mon côté, j’ai fait l’effort nécessaire pour me former et j’ai engagé mes collègues à le faire à leur tour. Cela demande des efforts conséquents pour l’ensemble des administrateurs afin d’améliorer le niveau général. Il est légitime d’avoir des dirigeants un minimum formés et compétents pour diriger les entreprises. Plus d’un milliard d’euros de placements et 680M d’euros de CA, ce n’est pas rien. Pour autant, je pense que nous devrions garder le choix d’opter pour un président dirigeant effectif ou pas. Je comprends la nécessité de faire preuve de compétence mais pas pour imposer un modèle dans lequel les mutuelles seraient un peu plus banalisées.
À voir aussi
PSC : Le résultat de l’appel d’offres du CESE
Clément Michaud : "En assurances collectives, nous pouvons aller plus loin"
PSC : Le ministère de l’Agriculture choisit Harmonie et Mutex