Cercle LAB : Retour sur " Les Assises de la lutte contre la fraude à l'Assurance"
Une synthèse par Marc Nabeth – Directeur Digital et Innovation chez Valmen Consulting.
Le 25 juin le Cercle LAB organisait la conférence « Les Assises de la lutte contre la fraude à l'Assurance » en partenariat avec Shift Technology, Neraudau Avocats, Groupe Leon Cogniet, Mazars et Universign. [gallery type="slideshow" ids="839412,839411,839410,839409,839407,839401,839402,839403,839404,839405,839406,839400,839399,839398,839396,839395,839394,839388,839389,839390,839391,839392,839393,839387,839386,839385"]Une fraude aussi vieille que l’Assurance
La fraude à l’assurance, cet acte intentionnel réalisé par une personne morale ou physique afin d’obtenir indûment un profit du contrat d’assurance, a une longue histoire. Nous en retrouvons la trace sur la stèle de basalte érigée par le roi Hammurabi de Babylone (1792-1750 av. J.-C.) : « Si un berger, à qui ont été confiés des bœufs ou des moutons, est coupable de fraude, ou trompe sur la croissance naturelle du troupeau, ou en vend, il doit être jugé et payer dix fois la perte ». La sentence à Babylone est parfois plus lourde et définitive avec le supplice de la noyade. Jusqu’au XVII° siècle, la peine de mort fut d’ailleurs de mise pour les fraudeurs à l’assurance, plutôt par pendaison.
La fraude et ses sanctions sont filles de leur temps. La fraude est protéiforme, à l’image de la diversité des fraudeurs : l’assuré confus qui masque difficilement son mensonge, le fraudeur d’opportunité qui profite d’un sinistre pour ajouter une facture, le criminel dont l’éventail va du blanchiment d’argent aux souscriptions de contrats en responsabilité, suivis de sinistres. Dans des sociétés démocratiques de plus en plus fragilisées, ce phénomène de criminalité organisée mériterait une réponse à la hauteur des enjeux et notamment une coopération européenne, voire internationale, entre les instances chargées de lutter contre la fraude.
De la difficulté de quantifier et qualifier la fraude à l’assurance
Mais comment quantifier la fraude et ses impacts ? Des statistiques ont bien été avancées lors de ces Assises : 500 M€ de fraudes en IARD (dont 69 M€ de prestations payées à tort) ; 5% à 22% du coût total des sinistres, selon les pays et les branches, d’après une étude d’Insurance Europe [1], la fédération européenne de l'assurance et de la réassurance.
Ces chiffres ne sont pourtant qu’indicatifs car les données manquent, notamment en Prévoyance et en Santé. La difficulté des assureurs est également criante dans la lutte anti-blanchiment. Sur 65 000 déclarations Tracfin, environ 4 600 sont émises par les assureurs qui, selon l’un des intervenants, n’auraient ni les dispositifs ni l’outillage des acteurs bancaires.
Qualifier la fraude constitue également un défi majeur. Le cadre réglementaire et juridique est contraignant (charge de la preuve, CNIL, Secret médical, RGPD…). Une situation simple peut devenir complexe. Les preuves à apporter pour un dossier de suspicion concernant une simulation d’aggravation des dommages corporels témoignent de cette complexité. Face à une fraude de plus en plus organisée et informée juridiquement, les assureurs doivent professionnaliser leur lutte contre la fraude.
Certains professionnels de santé sont d’ailleurs sous surveillance. Au-delà des protocoles permettant de réclamer des pièces justificatives en cas de suspicion de fraudes, des investissements assez importants sont effectués pour contrôler systématiquement les prises en charge facturées, notamment en optique et en dentaire.
Le métissage de l’humain et de la machine est en cours puisque que des algorithmes auto-apprenants sont implémentés pour détecter des cas de fraude qui sont ensuite analysés par des experts.
Digital et Insurtechs : une Promesse de l’aube ?
Le digital justement, une Promesse de l’aube, permettrait-il de réduire sensiblement les fraudes ? Le foisonnement actuel des insurtechs impressionne. Le spectre des applications est large : surveillance, génération des alertes, gestion des cas à investiguer, stockage des données permettant d’avoir une vision 360° du client, reporting en temps quasi réel, data visualisation, agents conversationnels (chatbot ou callbot), etc.
La technologie ouvre ainsi des perspectives passionnantes, mais la montée en force du digital, l’ouverture des canaux et le déluge des données structurées et surtout non structurées offrent également un terrain de jeu redoutable aux hackers et mafias. Lutter contre la fraude à l’assurance sans tenir compte de l’écosystème serait vain.
L’ouverture vers des systèmes d’informations et des bases de données d’institutions publiques et privées permettrait de résoudre bien des difficultés, d’autant que nous assistons à une vague de développement d’API web et des micro services.
De l’importance du métissage du digital et de l’humain
Restent pourtant quatre écueils.
Le premier est celui de la réglementation. Nécessaire et légitime au regard de scandales touchant certains acteurs du privé quant à l’usage des données personnelles, la réglementation pourrait pourtant fort bien ressembler à une ligne Maginot à force de dogmatisme et d’isolement. Les GAFAM ou les BATX [2] modifient déjà les règles du jeu.
Le second écueil est technique. L’exploitation des données permettant de mieux détecter les fraudes nécessite de bien connaitre son client. Or, l’empilement des systèmes d’information et des applicatifs, l’obsolescence des outils, les problématiques d’interfaçage, conduisent à des problèmes de qualité et de gouvernance des données. La vision 360° d’un client, facilitée généralement par la mise en place d’un lac de données (data lake), reste encore une vue de l’esprit pour de nombreux acteurs de l’assurance. Ces derniers privilégient souvent la rapidité et la simplicité de souscription à la richesse d’une collecte de données. Lutter contre la fraude nécessiterait pourtant de mieux connaitre son client.
Ce qui nous renvoie au troisième écueil, probablement le plus résistant à moyen terme. Celui-ci est organisationnel et humain. Exploiter efficacement les données requiert une fluidité dans la communication. Or, les organisations reconstituent toujours des silos peu sensibles à l’altérité et l’interdisciplinarité, en dépit des méthodes agiles et des séminaires MBTI. On ne peut être que frappé, comme le résume fort bien le sociologue Dominique Wolton, par ce décalage immense entre le rêve de l’intercompréhension et le résultat, bien modeste, qui en résulte : « Une des hypothèses, selon moi, du désamour à l’égard du concept de communication vient de cela : on le dévalorise à la mesure de ces difficultés anthropologiques et de nos échecs humains. On adore les Techniques qui échangent de « l’information » à la mesure de leur apparente efficacité… La technique est le grand marchand d’illusion. Elle donne l’illusion de combler le manque, est une sorte de leurre, de rêve. La limite de tous les tuyaux, c’est qu’à un moment, il faut se rencontrer « en vrai ». Tant qu’on ne se confronte pas trop à la réalité, le tuyau est tout-puissant » [3].
Le quatrième écueil est un alliage subtil de mathématiques et d’humain. Les algorithmes permettant de détecter des fraudes comportent des biais cognitifs, statistiques et économiques. Pour la mathématicienne Cathy O’Neil, un algorithme ne serait ainsi en réalité qu’une « opinion intégrée aux programmes »[4].
Changer la perception des Assureurs
Aussi, plutôt que de chercher le Salut dans la seule puissance technologique, ne faudrait-il pas déjà s’arrêter sur la perception des assureurs par les citoyens ? Une meilleure perception du secteur peut réduire à terme les abus de fraudeurs occasionnels qui usent de fausses déclarations sous prétexte que les assureurs sont eux-mêmes soupçonnables d’irrégularités. Un travail considérable est effectué dans les compagnies pour instaurer plus de confiance, améliorer la relation client, réduire les délais de règlements de sinistres et les réclamations. Cependant, le chemin est encore long pour effacer définitivement de la mémoire collective l’une des quatre définitions du Grand Robert de la langue française : « Assureur (argot) = voleur spécialiste du vol à la prime d’assurance ».
Marc Nabeth - Directeur Digital et Innovation chez Valmen Consulting
Mes remerciements pour sa relecture attentive à Bertrand Néraudau, Avocat au Barreau de Paris.
[1] Insurance Europe, The impact of insurance fraud, 2013
[2] GAFAM et BATX sont respectivement les acronymes des géants du Web américains (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et chinois (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi).
[3] Hermès, « Incommunication et altérité – Entretien de Franck Renucci avec Dominique Wolton », Revue 2014/1 (n° 68)
[4] Cathy O'Neil, Weapons of Math Destruction : How Big Data Increases Inequality and Threatens Democracy, Crown, 2016
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