VIDEO - Avec de nouveaux retraits d'assureurs LPS sur le marché français de l'assurance construction, la situation reste délicate. Les spécialistes tirent une nouvelle fois la sonnette d'alarme pour sensibiliser les pouvoirs publics.
Loin d'être réglée, la situation du marché français de l'assurance construction reste préoccupante. Fin janvier, un amendement déposé au Sénat dans la cadre de la loi Pacte est venu rappeler les conditions d'exercice contestées des assureurs étrangers opérant en LPS et les conséquences des faillites en cascades de ces opérateurs depuis 2016. « Ce texte a mis tout le monde devant ses responsabilités et plus particulièrement l'Europe qui permet à ces assureurs qui ne répondent pas aux normes Solvabilité 2 de souscrire des risques sur notre marché », s'interroge Evrard de Villeuneuve, le président du cabinet spécialisé Chevreuse Courtage, sollicité par les sénateurs pour cet amendement. « Cette escroquerie organisée ne peut plus rester sans réaction des pouvoirs publics. Nous espérons pouvoir faire avancer les choses, c’est-à-dire mieux contrôler les sociétés européennes LPS qui souhaitent s’installer sur le marché de l’assurance construction en leur imposant les mêmes règles techniques et financières que les assureurs français. Cette distorsions de concurrence entraîne l’impensable ».
Alors que les témoignages d'assurés lésés se multiplient, « un certain nombre de ces acteurs continue de sévir sur ce marché dans les mêmes conditions. Ceux qui les ont introduits sont toujours là et se sont refait une virginité... », indique dans l'interview ci-dessous Pascal Dessuet, directeur délégué construction et immobilier d'Aon France, interrogé lors des 27èmes rencontres de l'Amrae à Deauville.
Le cas d'EISL, retiré du giron de CBL depuis quelques mois en est la parfaite illustration. L'agence de souscription officie désormais sous le nom de "Proficia" et indique travailler avec des « assureurs européens », sans plus de précision, sur le marché français et notamment en construction (TRC, RC Maître d’Ouvrage ou RC Pro).
Stop ou encore
Côté porteurs de risques opérant en LPS, les défaillances, liquidations ou retraits de ces 18 derniers mois ne semblent pas terminés. Selon nos informations, AmTrust pourrait à son tour cesser définitivement toute activité sur le marché tricolore de la construction en mars prochain. L'assureur, distribué d'abord par SFS, puis par EISL (désormais Proficia), notamment en DO et RCD, était également actif via d'autres courtiers comme Verspieren ou Axelliance.
Dans un mail envoyé en fin d'année 2018 à ses partenaires et que News Assurances Pro a pu consulter, le grossiste (désormais intégré au groupe Ciprés) avait pourtant informé ses partenaires de changements sur ses contrats RC Décennale, à compter du 1er janvier 2019. « L'imminence du Brexit nous amène à revoir la composition de notre dispositif de coassurance (ndlr : avec Beazley) sur nos produits construction. À compter du 1er janvier 2019, AmTrust monte sa participation de 70% à 100%, en remplacement de Beazley ».
Interrogée sur le sujet, Sylvie Langlois, directrice générale de Ciprés / Axelliance explique avoir « d'ores et déjà résolu le sujet » sur une activité en croissance de 30% sur l'exercice passé. Toujours selon nos informations, Ciprés / Axelliance devrait désormais s'appuyer sur Fidelidade, qui, réassuré par Scor, a décidé de se lancer sur ce marché. Par ailleurs, Axelliance fait déjà appel à Groupama (via sa caisse Rhône-Alpes Auvergne) ou l'assureur belge Protect.
Du côté de MIC (Millennium Insurance Company), c'est là encore l'anticipation du Brexit qui préoccupe courtiers et assurés. Dans une note d'information publiée il y a peu sur son site internet, l'assureur immatriculé à Gibraltar et qui souscrit des risques dans plusieurs pays de l'UE semble ne pas avoir de solution de repli en cas de « hard Brexit ». La compagnie indique qu'elle communiquera « dans un délai suffisant » la solution la plus appropriée pour assurer la pérennité de ses contrats en cours. L'assureur joue-t-il la montre ou parie-t-il sur le maintient d'un marché unique ? En tout cas, MIC précise par ailleurs que des « procédures très avancées lui permettront de déplacer son siège social dans la péninsule ibérique pour mener ses activités commerciales autour de la communauté européenne en utilisant la licence communautaire en dehors du Royaume-Uni », sans plus de précisions.
Sur ce sujet du Brexit, l'Eiopa vient d'ailleurs de publier en début de semaine une recommandation qui vise une nouvelle fois à la convergence des tâches de surveillance entre autorités nationales compétentes pour assurer la cohérence des pratiques en matière de contrôle.
Pertes colossales
Quels que soient les atermoiements des acteurs sur ce marché, les dégâts restent considérables et pourraient encore s'aggraver d'années en années. « Nous estimons que, suite aux retraits ou faillites d'assureurs LPS ces derniers mois, entre 120.000 et 150.000 contrats sont toujours sans solutions, ni couvertures sur les 350.000 souscrits initialement sans contrepartie assurantielle (en RC, RC Décennales et TRC cumulés) », lance Evrard de Villeneuve. « Toujours selon nos estimations, nous pensons qu'il y aura entre 5 et 7Mds d'euros de sinistres non payés par les assureurs LPS dans les 8 prochaines années sur le marché construction. Outre les particuliers lésés, de nombreux établissements publics, SDIS, écoles ou hôpitaux n'ont toujours pas retrouvé de porteurs de risques », ajoute le courtier.
Pour ne rien arranger, le fonds de garantie danois, dont dépendent les deux assureurs en liquidation Alpha et Qudos, a annoncé début 2019 qu'il ne couvrira plus les sinistres déclarés en France après le 1er janvier 2019. Dans un document dévoilé par le blog spécialisé Insurwatch, l'autorité de supervision financière locale indique que seules les demandes de recouvrement de contrats souscrits au Danemark et pour des risques localisés dans le pays seront désormais autorisées.
Matière de spécialistes
Au-delà des règles de provisionnement et de fonds propres strictes imposées aux assureurs tricolores domestiques, la technicité et le fort niveau d'exposition financière de l'assurance construction demande une approche de spécialistes. « La vente d'un produit aussi technique doit être correctement tarifée. Aujourd'hui, la branche construction enregistre environ 2Mds d'euros de primes annuelles pour 2,8Mds d'euros de sinistres, soit une perte technique de 800M d’euros avant produit financier. Cette perte s'explique par le fait que certains assureurs qui ne cherchent que le profit sur ce segment ne collectent pas assez de primes et rattrapent ce retard par une baisse des tarifs, et ainsi de suite. Au final, chaque année, c'est entre 800M€ et 1Md d'euros de perte technique avant produit financier qu'enregistre la branche », poursuit Evrard de Villeneuve.
Selon le courtier, aujourd'hui, plus de 90% des sinistres construction trouvent leur origine dans la mise en œuvre. Ce dernier alerte sur l'équilibre de la branche malmené par les pratiques de certains professionnels du bâtiment que les assureurs spécialisés ont écarté du fait d'une sinistralité trop importante. « Sur le logement, la prime d'assurance moyenne qui tournait autour de 2,30% de la valeur du bien dans les années 2000 est plutôt aujourd'hui à 1,20% », conclut ce dernier.
À voir aussi
Dora : L’Eiopa demande d'exempter les petits organismes dès 2025
Eiopa : Attention au risque lié à la transition énergétique
Fusion : Le portefeuille de CGI Bâtiment transféré à SMABTP
Crypto-actifs : L’Eiopa propose un traitement prudentiel spécifique