Corinne Cipière : « Les femmes dirigeantes ont une certaine responsabilité en tant que 'modèles' »
INTERVIEW - Corinne Cipière, directrice générale d'AGCS France, fait le point sur l'activité de la compagnie et ses perspectives de développement. Entre redressements tarifaires et nouvelles offres, elle revient également sur ses deux premières années à la tête de la filiale d'Allianz spécialisées sur les grands risques.
Comment s'est passée l'année 2018 pour AGCS France ?
2018 a été un bon exercice pour AGCS France. Pour la première fois depuis plusieurs années nous avons généré une croissance significative avec un chiffre d'affaires en hausse de 7,5% à 395M d'euros. Nous enregistrons également de bonnes performances en termes de rentabilité avec un ratio combiné sous les 90%, malgré une importante sinistralité dommages et un sinistre majeur sur le segment énergies (Varo Energy) qui ont impacté notre résultat de souscription.
Quelles activités ont le mieux performé ?
Les segments dommages et RC ont « drivé » notre croissance, tout comme celui des lignes financières dans lequel nous incluons le cyber - qui a connu en 2018 une très forte progression des demandes de garanties ou d'achats de capacités supplémentaires - ainsi que les opération d'IPO. Le dommages et la RC représentent aujourd'hui la moitié de notre portefeuille. C'est un bon « mix » et cette diversification nous permet de rester performants dans un marché aux multiples mouvements.
Les niveaux tarifaires sont-ils, selon-vous, revenus à la normale ?
Nous n'avons pas encore retrouvé les niveaux tarifaires optimums sur certaines lignes, malgré une amélioration. La situation reste parfois tendue pour des raisons différentes. 2017 a été une année « cas d'école », de par sa sinistralité exceptionnelle, tant en catastrophes naturelles qu'en supply chain ou en cyber. L'exercice 2018 a été différent, sans événement exceptionnel, mais avec davantage de sinistres moyens et une fréquence atypique, notamment en incendie.
Ces deux exercices nous ont montré que les niveaux tarifaires en dommages ne nous permettaient plus de faire face à la fréquence observée, même sur des grands groupes industriels. Il nous a donc fallu engager des actions sur nos portefeuilles. C'est notamment ce que nous faisons en dommages, où, au cas par cas et en fonction du profil de risques, nous revoyons nos conditions de souscription pour les comptes sinistrés et les comptes exposés aux catastrophes naturelles car les prix de la réassurance ont augmenté. C'est également le cas pour les comptes exposés en carence de fournisseurs (Contingent Business Interruption CBI) ainsi qu'en RC sur les comptes sinistrés ou exposés en rappels produits (alimentaire, automobile, etc...).
En Marine, le Cargo et le Hull atteignent des niveaux de ratios combinés très élevés. La tendance de donner des conditions tarifaires très basses pour attirer des volumes de prime importants s’est faite ces dernières années au détriment de la profitabilité. Ce phénomène a été très marqué en Hull fortement influencé par les Lloyd’s, et sur le marché du Cargo par un nombre important d’acteurs, engendrant une surcapacité importante. Sur le Hull, nous voyons un redressement net du marché, là où en Cargo, les comptes sont revus au cas par cas avec un redressement des comptes sinistrés.
Enfin, en Aviation, 2018 a été une mauvaise année et la crise Boeing va tendre encore plus le marché. Au final, nous avons la volonté d'évoluer rapidement vers des conditions tarifaires plus durables dans un moment où notre business model est challengé.
Dans ce contexte, quelles relations entretenez-vous avec les courtiers ?
Les courtiers évoluent dans un marché en grande concentration, mais nos partenaires clés sont toujours là et nous n'avons pas la sensation de perdre de guichets. A mon arrivée, l'un des grands axes de développement était de renforcer nos relations avec les courtiers et nous avons aujourd'hui, avec le client final, une très bonne relation tripartite. Nous sommes plutôt concentrés en matière de courtage et nous travaillons soit avec des cabinets de niche (pour toutes les affaires de spécialités) soit avec les grands courtiers pour les risques industriels.
Plus largement, la séquence actuelle est un défi pour beaucoup d'acteurs et d'un point de vue générationnel, les collaborateurs qui n’ont jamais connu de marché haussier sont nombreux tant dans nos équipes, que chez les courtiers ou les clients. Nous sommes donc face à un marché qui a moins cette habitude de la négociation et les renouvellements se sont faits dans une atmosphère plus tendue en fin d'année dernière.
Quelle est votre politique en matière d'apérition ?
Devant les transformations du marché, tout le monde s'interroge sur ses modèles opérationnels et sa profitabilité et chacun est attentif à ses coûts et revenus. Notre ADN c'est l'apérition, mais cela ne nous empêche pas de nous positionner en coassurance pour mieux appréhender et connaître certains risques. En tant qu'apériteur, nous sommes également ouverts à la coassurance pour modérer nos capacités déployées au profit d'autres projets.
Mais apériter un programme d'assurance coûte également de l'argent et implique beaucoup de travail. Ainsi, je fais un important travail de lobbying auprès des courtiers sur la notion de commission d'apérition qui, je le rappelle, ne coûte rien aux intermédiaires, ni aux assurés. La mobilisation d'experts ou la gestion des sinistres font que cette prestation d'apérition doit être mieux valorisée et je milite pour que les commissions d'apérition soient augmentées et plus représentatives du travail réalisé, sachant que je ne serai pas choquée que mes confrères fassent la même chose lorsque je suis coassureur.
Dans un marché qui déborde de capacités, le nombre d'acteurs capables d'apériter de gros programmes d'assurance est faible et l'enjeu est d’assurer la pérennité du modèle de ces acteurs avec le bon niveau de rentabilité.
Quels segments aimeriez-vous explorer à l'avenir ?
Nous avons lancé une nouvelle solution cyber en partenariat avec Allianz France pour les clients de leurs agents généraux ; cela vient compléter l’offre existante en RCMS que nous avions déjà lancée avec eux. De manière globale, nous essayons de travailler nos complémentarités avec les autres entités du groupe que sont Euler Hermes, Allianz Partners et Allianz Global Investors sur des segments connexes. Enfin, nous travaillons sur une offre d'assurance pour les drones.
Voilà deux ans que vous êtes à la tête d'AGCS France, quel bilan tirez-vous ?
A mon arrivée, j'ai été très impressionnée par le caractère international et le niveau d'expertise et d'engagement des collaborateurs pour nos clients. Ma volonté était donc de maintenir l'ADN de l'entreprise tout en développant notre proximité avec les courtiers.
L'objectif était également d'aligner les forces d'AGCS France sur des objectifs communs de long terme et une stratégie que nous avons organisée autour des trois piliers :
- « L'amour du risque » (explorer et construire notre expérience avec les clients et courtiers)
- « La crème de la crème » (mettre à disposition les meilleurs experts et travailler à de meilleurs outils)
- « Bien dans nos baskets » (faire que nos équipes soient engagées, soudées, diversifiées et travaillent avec un sentiment d’appartenance)
Lorsque l'on prend un poste de direction, on dit qu'il faut six mois pour échouer ou deux ans pour réussir. Après deux ans à la tête d’AGCS France, je suis très heureuse du chemin parcouru avec tous les collaborateurs de l’entreprise et je considère que nous avançons dans la bonne direction.
Votre profil de femme dirigeante est-il synonyme d'évolution des mœurs sur le marché ?
Dans la pratique, beaucoup de chemin a été parcouru et mes consœurs de Chubb, Zurich, HDI, CNA ou Generali GC&C en France en sont la preuve. Cependant, on parle ici de succursales de grands groupes étrangers. Je constate que les femmes restent moins bien représentées à la tête de grands cabinets de courtage ou dans des compagnies d’assurances à proprement parler. Il reste encore des progrès à faire.
Je pense que les femmes dirigeantes ont une certaine responsabilité en tant que « modèles » : il me semble important de montrer qu’il est possible d’accéder à ce type de postes sans renoncer à sa vie personnelle. Cela passe par le fait d’assumer ses choix et les contraintes que nous sommes prêtes ou non à accepter.
Ce que nous apportons en tant que femmes leaders va également être fondamental pour les hommes, notamment ceux des futures générations. Ce que j'ai pu accomplir ou dire parce que j’étais une femme, certains se l’interdisent encore parce qu’il est difficile de s’affranchir des stéréotypes masculins qui existent encore dans les entreprises. Tant que des hommes n’oseront pas dire à leur responsable qu'ils veulent voir leurs enfants, ou qu'ils ne sont pas tentés par la sacro-sainte « bière d'après-boulot », nous aurons encore du chemin à parcourir en matière d’inclusion.
Notre génération a cette responsabilité de démontrer qu'il n'y a pas de dictat. Tout l'enjeu de nos organisations est de construire des équipes qui osent exprimer leur diversité et leurs différences afin d’éviter des phénomènes de clonage et d’angle mort. Pour preuve, AGCS France a une équipe de direction paritaire qui mélange genres, générations et cultures et j'en suis fière.
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