Fabrice Domange : "Marsh France a reçu et négocié les clauses Covid de chaque assureur"
INTERVIEW - Alors que les courtiers entament la dernière ligne droite des renouvellements des contrats grands risques pour 2021, Fabrice Domange fait le point sur la situation. Entre tensions tarifaires, revue des contrats et des clauses Covid par les assureurs et engagement des équipes, le Président de Marsh France livre à News Assurances Pro sa vision du marché pour les prochains mois.
Quel retour faites-vous sur cet exercice 2020 qui s’achève ?
2020 a été une année atypique durant laquelle les relations entre assureurs, courtiers et clients n’ont pas été simples. Toutefois, en parfait alignement avec la forte résilience du groupe Marsh dans ce contexte, Marsh France reste solide et enregistre à fin juin une hausse de son chiffre d’affaires d’environ 2%. Notre taux de rétention reste très élevé. Nous enregistrons par ailleurs un peu moins d’opportunités de remporter des affaires nouvelles que l’année dernière, puisque toutes les entreprises se sont retrouvées en état de crise sanitaire.
Dans le détail, nos lignes Crédit / Risques Spéciaux / Cyber / Flottes enregistrent une belle croissance sur la période. A l’inverse, et pour des raisons purement conjoncturelles, les activités non récurrentes ou en mode projet sont impactées. C’est le cas de notre activité Construction, par exemple. Début 2020, nous assurions plus de 6.800 chantiers (pour 16Mds d’euros et 40 millions de m2), dont la plupart ont dû être stoppés. De même, notre activité Ingénierie s’est interrompue de fait, aucune visite n’étant plus possible chez nos clients pendant le confinement. Enfin, notre activité aviation / espace connait un léger ralentissement, tout comme celle des Fusac / Garanties de passif.
Comment vos équipes traversent-elles cette crise ?
Les résultats positifs de Marsh France dans cette période reposent sur l’engagement de l’ensemble de nos salariés. Je veux saluer cet engagement sans faille de nos collaborateurs, malgré les contraintes que peuvent représenter le télétravail, et aussi l’implication de nos managers auprès des équipes, primordiale pour garder notre dynamique, rester performants et mobilisés pour nos clients.
Depuis 2018 et la mise en place du « flex office » chez Marsh France, près de 200 salariés avaient déjà signé un avenant dédié au télétravail. Depuis, cette culture de la confiance dans le leadership et l’autonomie a pris de l’ampleur. Ainsi, nous avons renforcé notre organisation en ce sens et signé la semaine dernière - en concertation avec notre département RH et les organisations syndicales – un nouvel accord d’entreprise sur le télétravail. L’ensemble des salariés pourra désormais bénéficier d’un jour de télétravail par semaine et d’un jour supplémentaire tous les quinze jours.
« Never waste a good crisis », disait Churchill. C’était l’opportunité de faire évoluer nos mentalités, notre culture et de nous projeter post-Covid en adoptant une « flexibilité pragmatique ».
Quel est votre regard sur la situation tarifaire de cette fin d’année ?
Nous constatons ces derniers mois des hausses de tarifs qui viennent s’ajouter à des effets de corrections de rentabilité apparus avant crise. Avec des ratios combinés au-dessus de 100% et des taux d’intérêts bas, voire négatifs, tous les assureurs s’inscrivent aujourd’hui dans un mouvement de correction drastique de leur profitabilité en IARD.
En revanche, nous ne cautionnons en rien le manque d’organisation, d’alignement et la communication tardive de certains assureurs, qui mettent parfois nos clients dans des situations très frustrantes et compliquent le rôle du courtier.
Chez Marsh, nous n’acceptons pas les hausse de tarifs « presse-bouton » ou les majorations appliquées à l’ensemble d’un portefeuille. Pour contrer cela, nous nous sommes inscrits dans une gestion proactive avec nos partenaires porteurs de risques pour trouver, dès le mois d’août dernier, des options et agir en amont de ce type de décisions extrêmes. Pour un courtier, réagir trop tard, c’est mettre ses clients en difficulté : inenvisageable à nos yeux.
Pour les clients de Marsh dont la situation est complexe, nous mettons toutes nos forces en action pour valoriser l’ensemble du compte, la connaissance et la maîtrise de ses risques ainsi que de sa sinistralité ou encore sa politique de prévention. Nous privilégions également l’implication des souscripteurs dans ce dialogue. Dans tous les cas, nous nous battons fortement aux côtés de nos clients pour toujours trouver la meilleure offre du marché.
Faites-vous face à une politique d’avenantage massif de la part des assureurs ?
Dès la fin de l’été nous avons pris l’initiative de contacter l’ensemble de nos assureurs partenaires pour savoir quelle serait leur politique de réécriture des clauses Covid de leurs contrats. Il fallait être naïf pour penser que les compagnies n’allaient pas changer leur wording après cette crise, autant anticiper !
Nous n’avons donc pas attendu pour prendre les devants. Marsh France a reçu et négocié les clauses Covid de chaque assureur afin qu’elles puissent être le plus équilibrées possibles. Au 15 septembre, nous avions validé les contrats de 90% de nos partenaires porteurs de risques.
En ce qui concerne les sinistres en pertes d’exploitation liées au Covid, nous nous battons énergiquement, chaque fois que cela est légitime, pour obtenir que nos clients soient indemnisés.
Dans ce contexte, la revue des contrats par chaque assureur pose aujourd’hui des problèmes dans les programmes de co-assurance. Certaines compagnies ne souhaitant plus suivre les conditions de l’apériteur, cela impose la mise en place de placements différenciés, avec in fine des prix différenciés… C’est une approche très anglo-saxonne que nous devons maîtriser aussi en France.
Cette situation vous pousse-t-elle à vous tourner vers de nouveaux porteurs de risques ?
Nous avons accès à l’ensemble des porteurs de risques du marché, qu’ils soient implantés à Londres, Zurich, aux Bermudes, en Asie ou aux USA. Nos conditions de sélections, notamment concernant le rating et la solidité financière des assureurs, sont parmi les plus strictes du marché. Nous ne travaillons jamais avec des assureurs exotiques mais uniquement avec des compagnies de premier rang.
Dans un contexte où les capacités sont insuffisantes et trop chères, nous réfléchissons à des solutions de financement alternatif du risque. Je ne vous cache pas le défi que représente la situation, et nous passons aujourd’hui en moyenne 3 à 4 fois plus de temps sur un renouvellement que l’année dernière, notamment sur les grands risques.
Compte-tenu du contexte économique, faut-il s’attendre à moins d’appels d’offres en 2021 ?
Sur ce point aussi, l’année 2020 a été complexe. Moins de clients ont souhaité changer de courtier durant l’exercice, en conséquence, on s’attend à ce qu’il y ait davantage d’appels d’offres l’année prochaine, notamment pour les clients dont les courtiers ont été peu proactifs ou qui n’auront pas réussi à trouver des solutions pour les renouvellements de janvier.
Il y a également une composante importante à prendre en compte, celle de la concentration des courtiers du marché. 2021 sera une année de fusions entre grands acteurs ce qui entraînera une revue des dispositifs de certains clients, notamment lorsqu’ils ont concentré l’ensemble de leurs programmes chez le même courtier.
Enfin, concernant le contexte économique, les entreprises sont pour l’heure soutenues par de nombreuses mesures gouvernementales. Toutefois, il y aura de graves difficultés économiques, notamment pour les petites PME, et les courtiers auront un rôle de soutien à assumer auprès de ces entreprises. Avec la complémentarité des trois autres filiales du groupe MMC (Oliver Wyman, Mercer et Guy Carpenter) qui reste solide et résilient, nous avons aujourd'hui un positionnement unique pour préparer l’après-crise avec des solutions d’ensemble.
Nous entrons d’ailleurs dans une phase attentive d’opportunités qui permettrait de soutenir des petits courtiers dans cette période, soit via une acquisition, soit par un accompagnement financier. Ce qui est certain, c’est que cette période atypique va faire bouger les lignes du courtage tricolore.
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