Franck von Lennep : "Ce sont les complémentaires qui se désengagent"
Franck von Lennep, directeur de la Sécurité sociale, considère qu’avec l’augmentation des personnes en affection de longue durée, « ce sont les complémentaires qui se désengagent ». Le transfert de charges permet de « rééquilibrer la dynamique entre financeurs ».
Invité par l’Association de journalistes de l’information sociale (AJIS), Franck von Lennep, directeur de la Sécurité sociale, a été interrogé sur les effets de l’augmentation du ticket modérateur sur les soins dentaires.
Ce transfert de charges, initialement prévu de 150M en 2023 et de 300M d’euros en année pleine, sera finalement de 500M d’euros en année pleine. La mesure était prévue dans le cadre de la LFSS 2023. « Le temps est passé, parce qu’il y a eu d’autres travaux, comme la négociation médicale. Maintenant, au moment où l'on se parle, on aborde l’ensemble de ce qui est possible dans le cadre de deux PLFSS successifs, 2023 et 2024. Les 500M d’euros c’est le montant que représentent les 10 points supplémentaires de ticket modérateur sur les soins dentaires. Par ailleurs, nous avons considéré que la mesure qui devait entrer en vigueur en 2023 et qui entrera en vigueur en 2024 sur l’intégration de produits de contraste dans les forfaits d’imagerie va représenter une économie de 70M d’euros pour les complémentaires. Aujourd’hui, les complémentaires paient un ticket modérateur quand les patients se font délivrer ces produits en pharmacie. Demain, ces produits seront intégrés dans un forfait technique financé à 100% par l’Assurance Maladie. Nous sommes donc plutôt sur 400 millions de transfert de charges au lieu de 500 millions. Il n’y aura pas d’autres mesures de transfert de charges vers les complémentaires dans le PLFSS 2024 », déclare Franck von Lennep.
Baisse de la part remboursée par les ocam
Ce transfert de charges a été présenté comme un désengagement de la Sécurité sociale par certains acteurs comme la CGT. Franck von Lennep se défend de tout désengagement et pointe la baisse de la part prise en charge par les organismes complémentaires, dans les frais de santé. En 2021, les organismes complémentaires ont pris en charge 12,9% de la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM), en baisse de 0,7 point par rapport à 2011. La Sécurité sociale, pour sa part, rembourse 79,8% de la CSBM en 2021, en augmentation de 3,5 points par rapport à 2011, selon la Drees.
« Depuis 2011, la Sécu a vu sa part augmenter dans le financement de la santé. Quand on fait des mesures du type ticket modérateur, la Sécurité sociale ne se désengage pas. On fait en sorte que chacun des financeurs, l’Assurance Maladie et les organismes complémentaires, soient dans une dynamique équivalente. Avec l’augmentation des affections de longue durée qui touchent 20% de la population et dont les soins sont remboursés à 100% par l’Assurance Maladie, ce sont les organismes complémentaires qui se désengagent, en quelque sorte, déclare Franck von Lennep. Ce type de mesure n’accroît pas les charges des complémentaires, c’est une mesure qui équilibre les dynamiques des payeurs. Ces près de 400 millions sur deux ans, ce n’est pas à la maille de la déformation structurelle de la dépense qui est plutôt de 400 millions par an ».
Maîtriser les volumes sur les IJ et le médicament
Le directeur de la Sécurité sociale est également revenu sur les mesures annoncées par le ministre de l’Économie lors des Assises des finances publiques. Bruno Le Maire a indiqué que chaque médecin induit 700.000 euros de dépenses publiques par an, au titre de la prescription de médicaments et des indemnités journalières. Afin de réduire les dépenses, le ministre a annoncé des mesures de contrôle de la prescription des arrêts de travail auprès des médecins. Bruno Le Maire a par ailleurs annoncé des mesures sur le médicament.
Interrogé sur ce dernier point, Franck von Lennep a exposé les différents leviers disponibles pour agir sur les dépenses de médicament, qui font actuellement l’objet d’une mission lancée par la Première ministre. Le patron de la DSS a évoqué le levier du prix, de la prescription et du comportement des patients. Il a évoqué « des systèmes incitatifs pour les prescripteurs », ou encore la possibilité d’agir sur les taux de remboursements de l’Assurance maladie et des complémentaires, tout comme le niveau de franchise laissée à la charge du patient.
« Je ne suis pas en situation de dire si ce levier a vocation à être activé. Ce n'est pas une mauvaise politique publique de dire que sur une boîte de médicaments, les Français en paient une petite partie. La gratuité en matière de médicament peut conduire à ce que les Français perdent la notion du coût. Cela peut expliquer pourquoi nous avons plus de boîtes de médicaments dans nos placards que nos voisins européens. Un produit gratuit est un produit qui risque d’être mal utilisé. Rappeler que le médicament coûte de l’argent et demander une petite contribution de la part de l’assuré n’est pas une mauvaise chose, sachant que ces franchises sont plafonnées à 50 euros par an », expose Franck von Lennep.
Sur les arrêts de travail, Franck von Lennep a indiqué que le rapport Charges et produits de la Cnam y consacrera tout un chapitre. « Il y a une évolution dynamique des dépenses d’IJ qui s’expliquent par un effet prix, en raison des augmentations des salaires, mais il y a également un effet volume, avec une augmentation des arrêts courts et longs qui se prolongent. Cette dynamique justifie des mesures sur les contrôles, la bonne pratique et la maîtrise médicalisée. Nous, DSS, on compte beaucoup sur ces actions pour la construction de l’ondam », a-t-il déclaré.
L'acte 2 du 100% santé
Franck von Lennep a également dressé un bilan sur la réforme du 100% santé, qui a « bien atteint les objectifs, en audioprothèse et sur le dentaire. Les complémentaires nous diraient que nous sommes allés bien au-delà des objectifs sur le dentaire, puisque le taux de recours est élevé sur le panier 100% santé ». Sur l’optique, le directeur de la DSS affirme qu’il y a débat car les complémentaires « commencent à faire savoir » qu’elles proposent des lunettes sans reste à charge en dehors du 100% santé. « Les complémentaires ont largement solvabilité le marché de l’optique entre 2005 et 2015 à travers leurs garanties », selon Franck von Lennep. Le directeur a rappelé les mesures adoptées afin de corriger cette tendance inflationniste sur les dépenses optiques. La DSS a plafonné le remboursement des montures et limité le renouvèlement des équipements tous les deux ans.
Interrogé sur l’acte 2 du 100% santé, Franck von Lennep a répondu que « l’objectif est de continuer à faire évoluer les paniers, sur l’audio et sur l’optique. Peut-être sur le dentaire aussi, en intégrant dans le panier 100% santé des produits nouveaux, en maîtrisant les coûts, y compris pour les complémentaires. Cela ne représente pas une marche du même ordre que la création du 100% santé ». Le directeur de la DSS a également évoqué l’extension de la réforme à de nouveaux équipements comme les fauteuils roulants. Pour plus de précision, il faudra attendre le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024.
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