Grégoire Vuarlot : "L’écoblanchiment est une priorité de l'ACPR"
INTERVIEW – Pour News Assurances Pro, Grégoire Vuarlot, directeur du contrôle des pratiques commerciales à l’ACPR et Axel Vigneron, chargé de coordination à la direction du contrôle des pratiques commerciales, reviennent sur les ambitions de l'autorité en matière de lutte contre l'écoblanchiment.
Pensez-vous que les assurés sont en position de faire des choix éclairés en termes de finance durable ?
Grégoire Vuarlot : Nous sommes actuellement en train de mettre les outils en place afin que les épargnants puissent faire des choix éclairés et transparents en matière de finance durable. Il s’agit d’un travail exigeant car les réglementations en cours de construction sont complexes et nécessitent un temps d’adaptation. Nous collaborons avec nos homologues européens et l’EIOPA dans la définition des modalités d’application des textes, notamment concernant les dispositions de la Directive sur la distribution en assurance (DDA) amendées pour intégrer la durabilité.
En outre, l’ACPR conduit avec l’AMF une action importante en matière de commercialisation : nous avons par exemple observé une recrudescence de l’écoblanchiment dans un certain nombre de publicités. Notre veille met en lumière la nécessité de mieux encadrer les communications qui s’appuient sur des arguments de durabilité. Nous souhaitons donc définir rapidement des limites pour freiner ce phénomène.
Quel est le but des travaux du pôle commun ACPR/AMF ?
Grégoire Vuarlot : Nous avons décidé de faire de la lutte contre l’écoblanchiment une priorité en matière de protection de la clientèle en réponse aux enjeux climatiques. Un groupe de travail dédié a été constitué avec l’AMF. Dans ce cadre, nous avons effectué un travail de coordination sur l’interprétation des réglementations européennes, mais aussi sur les définitions des activités vertes, notamment vis-à-vis du règlement SFDR qui crée des obligations de publication d’informations supplémentaires sur les produits présentés comme « verts » aux clients. Nous avons également participé activement aux discussions à l’échelle européenne.
Il faut savoir qu’il existe déjà un principe général, qui s’applique au-delà de la finance durable : celui d’une information claire, exacte et non trompeuse. La commercialisation d’offres ayant une visée extra-financière, notamment les contrat d’assurance-vie, est soumise à ce principe. Pour ce faire, un cadre réglementaire est développé au niveau européen, afin de garantir au client plus de la transparence au moment de la vente, mais également tout au long de la vie du contrat d’assurance-vie et de ses supports.
Sur quels points allez-vous vous pencher concernant les assureurs ?
Grégoire Vuarlot : Notre action auprès des assureurs s’articule autour de deux priorités : les accompagner dans la mise en œuvre de la réglementation et s’assurer de sa bonne application, d’une part ; veiller au caractère équilibré des arguments publicitaires utilisant la finance durable, d’autre part.
Sur ce dernier point, nous surveillons particulièrement les publicités qui mettent en avant des arguments « verts », pour vérifier la juste proportion entre les arguments utilisés et la réalité des caractéristiques de durabilité des produits.
Sur les 2.400 publicités analysées par l’ACPR en 2021, nous avons remarqué que la moitié utilisait un argument lié à la finance durable. Pour près de 30% d’entre elles, les termes utilisés ont été considérés comme exagérés : ces offres n’avaient pas leur place dans le paysage de la finance durable. Sur la base de ces enseignements, nous allons prochainement présenter à la profession des recommandations afin de préciser les bonnes pratiques de communication. Nous dialoguons actuellement avec la profession pour encadrer la présentation des informations relatives aux produits ayant des caractéristiques de durabilité.
Allez-vous enquêter sur leur casquette d’investisseur également ?
Axel Vigneron : L’activité d’investisseur des assureurs entre dans le champ de compétences de l’ACPR. Des travaux ont déjà été réalisés : nous suivons avec l’AMF les engagements climatiques des acteurs de la Place et avons publié en 2021 et 2022 un rapport synthétisant nos recommandations.
Nous avons notamment souligné la difficulté de comparer les engagements pris par les institutions du fait d’une grande disparité. Il faut pouvoir mieux évaluer la portée de ces derniers, par exemple en précisant davantage les expositions et engagements sectoriels sur l’ensemble des énergies fossiles (pétrole, gaz) comme cela a été réalisé pour le charbon.
En février, l’ACPR a également publié un premier rapport sur la gouvernance du risque climatique en assurance, indiquant que celui-ci devient un élément important dans la stratégie des organismes.
L’ACPR travaille également à l’analyse des publications réglementaires des assureurs en tant qu’investisseurs institutionnels, notamment en vertu de l’article 29 de la loi énergie climat et du règlement SFDR. Elles permettent notamment de mettre en lumière la manière dont les décisions d’investissement sont prises et intègrent les risques en matière de durabilité.
S’agissant des produits assurantiels, l’ACPR a-t-elle l’intention de mettre en place des contrôles annuels ?
Grégoire Vuarlot : La supervision s’effectue à plusieurs niveaux. Un contrôle permanent est réalisé sur la commercialisation des produits, avec comme nous l’avons mentionné une veille publicitaire pour contrôler l’emploi des arguments extra-financiers.
En 2021, nous avons également réalisé une enquête sur les pratiques des assureurs en matière de commercialisation et de communication sur les produits durables, notamment en assurance vie, dont les conclusions ont été transmises à la Place. Nous intensifierons nos contrôles lorsque les modalités d’application des différents textes seront finalisées. L’action de l’ACPR se veut progressive et attentive aux éventuelles difficultés que peuvent rencontrer les acteurs dans la mise en œuvre de leurs obligations.
L’initiative vient-elle du superviseur européen ou est-ce une volonté des régulateurs français de se pencher sur le sujet de l'écoblanchiment ?
Axel Vigneron : La lutte contre l’écoblanchiment est une priorité pour les superviseurs français mais également européens. L’enjeu commun devant nous est de construire, puis de maintenir, la crédibilité de l’offre financière présentant des caractéristiques ou des objectifs de durabilité. Cela plaide naturellement pour une approche coordonnée au niveau européen des travaux des superviseurs nationaux en matière d’écoblanchiment.
Les labels, les régulations, les directives et les suggestions ne manquent pas en termes de finance verte. À quand les sanctions ?
Grégoire Vuarlot : Comme nous l’avons dit, le corpus réglementaire est dans une phase de construction. La mise en œuvre de la réglementation représente un défi de taille pour les entreprises, avec un nombre important d’informations à recenser, interpréter et maîtriser. Nous sommes actuellement dans une logique d’accompagnement de la Place, tout en nous inscrivant pleinement dans l’impératif d’action face à l’urgence climatique. Nous nous engageons pour les générations à venir, c’est un vrai travail de fond qui doit tenir sur le long terme.
Existent-ils des travaux effectués au niveau mondial sur ces sujets ?
Grégoire Vuarlot : Il existe des initiatives au niveau du G20 où le sujet du développement durable est débattu dans divers groupes de travail. Cependant au niveau mondial, l'Europe est la région la plus avancée et structurée sur ces questions. Des discussions préliminaires ont même été engagées au sujet d’un nouveau reporting comptable.À voir aussi
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