Philippe Dabat : "Le courrier des ministres interroge à deux niveaux"
INTERVIEW - Philippe Dabat, directeur des assurances de personnes et de la distribution d’AG2R La Mondiale, considère que l’effort des organismes complémentaires pour financer les dépenses exceptionnelles de la crise devrait être ajusté en fonction de leur taille ou de la diversification de leurs activités.
Que pensez-vous du courrier envoyé par les ministres Olivier Véran et Gérald Darmanin aux organismes complémentaires pour leur demander de financer les dépenses liées à la crise ?
Ce courrier interroge à deux niveaux. Le premier, parce qu’il applique le raisonnement de l’assurance automobile à la santé. Les Français ont eu moins d’accidents de la route pendant le confinement et leur nombre ne devrait pas significativement augmenter après le déconfinement par rapport aux chiffres habituellement constatés. En revanche, en santé, une bonne partie des soins qui n’ont pas eu lieu pendant deux mois seront reportés, notamment les achats de lunettes et les soins prothétiques. Nous ne pourrons calculer cet effet de rattrapage qu’en fin d’année. La deuxième question qu’il soulève est celle de l’assimilation de l’assurance santé individuelle à l’assurance santé collective. Par exemple, les mutuelles de la fonction publique ont moins souffert du manque de cotisations encaissées. Les acteurs de l’assurance collective, en revanche, sont pleinement touchés d’abord par le chômage partiel et par les demandes de report de cotisations des entreprises puis par la hausse du chômage et la portabilité des garanties. Le résultat 2020 des acteurs de l’assurance collective risque d’être déficitaire.
Allez-vous répondre favorablement à la demande des ministres ?
Les complémentaires santé participeront à l’effort de solidarité nationale. Toutefois, je pense que demander un effort maintenant n’est sans doute pas le bon timing au regard des efforts déjà consentis et de la pérennité de leurs équilibres économiques et financiers. Nous ne connaîtrons les chiffres réels que fin 2020 et fin 2021. Par nature, l’assurance collective va au-delà de la mutualisation des risques en intégrant des dispositifs de solidarité ce qui n’est pas le cas de l’assurance individuelle. D’après ces éléments, il me semblerait opportun de moduler l’effort en fonction du type d’acteur.
Quelles leçons tirez-vous de cette crise ?
La crise a montré qu’il était temps de prendre en compte le risque de pandémie et à quel point la prévoyance est au cœur de ce sujet. Or les Français sont très inégalement couverts sur ce risque. Par exemple, entre ceux qui sont soumis à une franchise de 90 jours, ceux qui ont une franchise de 30 jours et ceux qui sont couverts par des contrats de mensualisation avec des franchises de trois jours. On note également des inégalités entre ceux qui sont couverts contre le risque d’incapacité ou pas et entre ceux qui bénéficient d’un maintien de salaire net à 50% ou à 80%. Je pense que cette crise a montré l’intérêt d’avoir des garanties complètes et étendues. Les contrats de mensualisation mis en place dans certaines branches ont prouvé leur pertinence en cas de coup dur.
La couverture de certains arrêts de travail a été contestée par les organismes complémentaires. Que va-t-il se passer en cas de prochaine crise ?
Les propositions de la place sur le régime de catastrophe exceptionnelle se limitent à la perte d’exploitation sans dommage. Je pense que nous devrions également prendre en compte le risque prévoyance notamment sur la prise en charge des nouveaux types d’arrêts de travail hors maladie et accident.
Comment avez-vous couvert ces arrêts de travail dits dérogatoires ?
Nous faisons face à une avalanche d’arrêts de travail que nous sommes en train de trier. Nous avons décidé de prendre en charge ceux liés à la vulnérabilité des personnes.
Concernant les arrêts de travail pour garde d’enfant, qui ne sont pas couverts par les contrats d’assurance, nous avons mis en place une aide exceptionnelle sous forme de forfait de 300 euros par salarié sous conditions. Ce forfait est accessible aux salariés avec des arrêts de travail supérieurs à 30 jours, travaillant dans des entreprises de moins de 500 collaborateurs, ayant souscrit un contrat de mensualisation.
La contribution des assureurs ne concerne pas uniquement le volume d’arrêts de travail mais surtout les demandes de report de cotisations du 1er et du 2ème trimestre 2020 (avec maintien intégral des garanties), le chômage partiel qui réduit de 30% nos cotisations prévoyance et enfin, le coût de la portabilité qui risque de doubler à cause du chômage.
Combien de demandes de report de cotisations avez-vous reçues ?
Nous avons 15% des cotisations non payées sur le premier trimestre 2020, dont la moitié concernent des entreprises qui acceptent de payer plus tard et l’autre moitié, des entreprises qui ne nous donnent pas de visibilité sur leur échéancier. Au 2ème trimestre, nous nous attendons à une montée en puissance des demandes de report de cotisations, puisque la loi l’autorise. C’est un motif de préoccupation majeur, car malheureusement certaines d’entre elles ne seront jamais recouvrées alors que les garanties des salariés auront été maintenues et les prestations payées.
Allez-vous revoir votre politique de services suite à la crise ?
Nous nous posons beaucoup de questions suite à cette crise, notamment par rapport aux demandes des assurés. Qu’est-ce que les Français attendent de notre système de santé ? La santé ne doit pas uniquement être considérée comme un coût. Quelle est la place de la complémentaire et quels sont les risques que nous souhaitons couvrir ? Concernant les services, la crise va limiter le pouvoir d’achat des Français donc nous devons nous recentrer sur ceux qui sont réellement utilisés et qui ont un intérêt majeur pour l’assuré. Soit on les rend payants en option pour ceux qui souhaitent les ajouter, soit on intègre leur coût dans le tarif.
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