Santé : Le 100% santé oblige les réseaux de soins à se repositionner

lundi 6 mai 2019
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Information aux assurés, lutte contre la fraude, nouveaux services, négociation des tarifs sur les paniers libres, contrôle des prix limites de vente… La réforme sur le 100% santé oblige les réseaux de soins à se réinventer.

Les réseaux de soins comme Kalixia, Carte Blanche Partenaires, Itelis ou Santéclair se sont positionnés comme des acteurs clés de la négociation tarifaire avec les professionnels de santé. 73 % des bénéficiaires de mutuelles, 77% des assurés d’une IP et 90% de ceux d’une société d’assurances sont couverts par un organisme lié à un réseau d'opticiens, selon la Drees.

La réduction du reste à charge des assurés en optique, dentaire et audioprothèse est leur raison d’être historique. Le pouvoir de négociation tarifaire des réseaux a été considérable ces dernières années, avec un réduction de 20% du tarif pour des verres adultes, 10 % pour des montures, 10% sur les aides auditives et jusqu‘à 37% pour certaines références de verres, selon la Drees.

Or, à compter du 1er janvier 2020, tous les assurés se verront proposer systématiquement une offre sans reste à charge en optique et dentaire, dans le cadre de la réforme sur le 100% santé. Privés de leur objectif premier, les réseaux de soins sont-ils toujours nécessaires ? Pour trouver une nouvelle raison d’être, les réseaux ont emprunté la voie de la diversification et notamment celle des services.

Dans un contexte de marché contraint par la réglementation et dans un souci de diversification, les plateformes santé se sont intéressées aux services santé. Sur ce domaine, ils sont en compétition notamment avec les sociétés d’assistance qui voient également ces services comme de possibles relais de croissance. « Les sociétés d’assistance agissent pour améliorer l’expérience client au moment du sinistre. Les réseaux de soins, ont pour objectif d’agir sur l’accès aux soins et les coûts moyens des dépenses de santé. L’assistance et les réseaux de soins sont deux secteurs bien structurés, avec une concentration des acteurs, chacun étant en forte proximité capitalistique et commerciale avec un ou plusieurs assureurs. En revanche, le marché des services santé est encore un marché peu mature, avec beaucoup d’acteurs, et des offres en construction. D’ores et déjà on observe les prises de position de certaines plateformes santé, et il est vraisemblable que cette dynamique va s’accélérer. Parallèlement les assisteurs, ne semblent pas avoir l’intention de rater cette opportunité de développement comme cela a été le cas historiquement sur l’activité de réseaux de soins », analyse Marie-Sophie Houis, associée de PMP Conseil. Par ailleurs, des axes de coopération intéressants commencent à se développer entre assisteurs et réseaux de soins. Citons pour exemple le partenariat entre IMA et Santéclair, qui capitalise sur la complémentarité des compétences et des offres.

La ruée vers les services

Des services de prévention sur les arrêts de travail en entreprise, des solutions digitales pour réaliser le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), des annuaires en ligne pour trouver des professionnels de santé à proximité voient le jour. Des réseaux comme Itelis vont dans le domaine des sociétés d’assistance avec des services autour de l’hospitalisation comme hospiway. Parmi les perspectives de développement, de nouvelles activités sur les médecines douces vont se développer dans les prochaines années. Kalixia a déjà lancé son réseau de soins d’osthéopathes, Kalixia ostéo. « Nous attendons les réseaux également sur les actes hors nomenclature comme les médecines douces, le paramédical ou l’accompagnement du parcours d’hospitalisation. Nous avons besoin d’offrir des solutions sur la France entière à nos assurés, et pas uniquement dans les grandes villes, avec des normes de qualité et des tarifs négociés », indique Philippe Dabat, directeur des assurances de personnes d’AG2R La Mondiale Matmut.

Un re-positionnement stratégique nécessaire

Pour Isabelle Hébert, directrice des services innovants du groupe Vyv, le 100% santé change la donne et oblige les réseaux de soins à se repositionner. « Le réseau de soins va préserver son rôle de négociation du tarif pour un engagement de qualité donné. En optique, le réseau pourrait favoriser les différents services proposés par les partenaires optiques ». Pour Isabelle Hébert, le réseau est un maillon de la chaîne dans une logique de parcours qui doit pouvoir s’articuler autour des épisodes de vie.

L’information aux assurés, une priorité

Ligne Claire, plateforme de service en santé et social partagée entre la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH), la Mutuelle nationale territoriale (MNT) et La Mutuelle Générale s’est positionnée comme une plateforme d’information et de conseil. Elle renseigne les adhérents sur la prise en charge de leurs actes médicaux-chirurgicaux, dentaires, leurs prestations en optiques et audioprothèses et sur l’accompagnement social (difficultés financières, handicap, arrêts maladies, petite enfance). En plus des 20 téléconseillers et des 15 gestionnaires, Ligne Claire compte des chirurgiens-dentistes, un médecin directeur médico-social, des opticiens, un diététicien et un psychologue du travail.

Ils analysent des devis dentaires, optiques, d’audioprothèse et d’honoraires médicaux et ils communiquent au patient le niveau de prise en charge du régime obligatoire et complémentaire, ainsi que le coût moyen dans sa région pour le même type d’acte. « Notre modèle est très adapté au 100% santé car nous communiquons déjà le reste à charge aux adhérents », indique Anne Georgieff, directrice de Ligne Claire.

« Les réseaux vont avoir, plus que jamais, un rôle de conseil et d’information vis-à-vis des assurés. Ils vont devenir le service après-vente de la complémentaire santé », pense Charles Philippe Mourgues, deputy H&B practice Leader d’Aon.

Contrôler les prix limites de vente

Dans le cadre du 100% santé, les réseaux de soins pourraient vérifier que le dentiste respecte le plafond d’honoraires sur le panier B ou que l’audiprothésiste respecte le prix limite de vente, selon plusieurs sources.

Sur le panier libre, en dentaire, Ligne Claire communiquera le niveau moyen d’honoraires dans la région de l’assuré. La plateforme vérifiera également que le libellé renseigné par le professionnel de santé correspond exactement à la prestation attendue. Pendant les premiers mois d'entrée en vigueur du 100% santé, la plateforme prévoit une hausse des erreurs, suite à la modification de la nomenclature. La plateforme peut être amenée à dialoguer avec les dentistes sur la bonne utilisation de la nomenclature dans la prescription des soins.

En optique, dentaire ou audiologie, « la réforme 100% santé renforcera notre rôle de conseil car les adhérents se verront proposer plusieurs devis avec et sans reste à charge, et notre rôle sera d’orienter les patients vers la meilleure solution », prévoit le docteur Jean Luc Paturel qui anticipe une hausse de l’activité conseil. En optique, le fait de pouvoir panacher des verres 100% santé avec une monture hors panier va également augmenter les choix des assurés. « Les assurés devront choisir entre un équipement 100% santé et un équipement avec reste à charge. Cela demande un conseil spécialisé et des avis pointus sur les avantages et inconvénients de telle ou telle décision », anticipe Anne Georgieff.

Une hausse de l'activité en audio

Sur les aides auditives, la demande peut exploser pendant les premiers mois de mise en place de la réforme, provoquant ainsi le tant redouté effet d’aubaine, selon Anne Georgieff. Carte Blanche Partenaires partage le même constat. « Nous prévoyons la vente de 450.000 aides auditives supplémentaires pendant la première année, soit une hausse de 50% des ventes en un an et nous estimons que 30% des assurés auront recours au panier 100% santé ». Comme ses concurrents, Carte Blanche veut contrôler la qualité, la traçabilité et les éventuelles fraudes.

La lutte contre la fraude, une nécessité

Certains acteurs comme AG2R La Mondiale Matmut souhaitent s’appuyer sur les réseaux de soins pour lutter contre la fraude. Itelis qui exerçait cette activité à posteriori (après l’acte d’achat) en optique et dentaire, a lancé cette année une solution en prépaiement. Cette solution s’ajoute au service d’analyse des prix existant depuis plusieurs années et complète ainsi l’offre d’Itelis dans le domaine du contrôle.

Le réseau prépare pour la fin de l’année un module de lutte contre la fraude post-remboursement sur les prestations hospitalières comme la chambre particulière. La commercialisation de ce service de lutte contre la fraude est prévue pour début 2020. « Certains gestionnaires ont exprimé leur intérêt car ce module peut s’insérer facilement dans les échanges de flux existants entre Itelis et les gestionnaires », indique Jean-Marc Boisrond, directeur d’Itelis.

Pour Ligne Claire, la fraude reste très accidentelle et le fruit d’erreurs non intentionnelles. « Dans 6 à 10% des devis analysés, nous devons rappeler le praticien suite à une erreur », indique Anne Georgieff. Par ailleurs, la directrice de Ligne Claire s’inquiète du fait que « tous les logiciels des praticiens ne sont pas encore prêts » pour intégrer le 100% santé.

Jean-Marc Boisrond signale que 88% des assurés qui passent par le réseau Itelis en optique n’ont pas de reste à charge et que les Français ont déjà la possibilité d’accéder à des offres sans reste à charge en optique grâce aux réseaux de soins. La réforme du 100% santé ne remet pas en cause l’activité des réseaux de soins, selon Jean-Marc Boisrond. Les réseaux auront un rôle important tant sur le panier A pour le contrôle et la qualité des prestations proposées par les professionnels de santé que sur le panier B pour apporter des solutions adaptées aux besoins des assurés ayant des besoins spécifiques. Sont concernés en optique notamment la possibilité de proposer des traitements contre des rayons nocifs et la lumière bleue ou encore, des verres individualisés qui s’adaptent à la morphologie et au style de vie des porteurs. Autant de prestations qui restent en dehors du panier 100% santé. « Je ne suis pas sûr que les Français changent leurs habitudes. Nous avons majoritairement des assurés qui consomment des équipements au-dessus du panier 100% santé », indique Jean-Marc Boisrond

Carte Blanche Partenaires a également une offre sans reste à charge depuis 2016, avec des montures de fabrication française et des verres de fabricants majeurs au niveau mondial. « Nous avons décidé de maintenir notre offre Carte Blanche-Prysme. Pour nous adapter au 100% Santé, nous ajouterons des montures à 30 euros fabriquées en Chine car il n’est pas possible de fabriquer en France des montures à ce prix-là », indique Jean-François Tripodi, directeur général de Carte Blanche Partenaires. « Notre objectif est de proposer des équipements complets verres et monture de meilleure qualité que ceux du panier 100% santé, pour le même prix, si on passe par un opticien de notre réseau », indique-t-il.

L’implantologie, un nouveau marché

En dentaire, les réseaux de soins peinent à se développer car les assurés préfèrent se faire soigner par leur dentiste de confiance et payer plus cher plutôt que de passer par un professionnel du réseau. Uniquement 52% des assurés d’une mutuelle ont accès à réseau de dentistes (contre 70% pour les institutions de prévoyance et 58 % pour les sociétés d‘assurances), selon la Drees.

Carte Blanche Partenaires indique un taux de recours à son réseau dentaire de l'ordre de 15%. Ce faible succès des réseaux de dentistes amène certains observateurs à prédire la fin de ce type de réseaux. « Nous pensons que nous allons perdre notre valeur ajoutée en dentaire sur une partie significative de l’activité de modération tarifaire sur les paniers RAC Zéro et modérés, mais en gardant toutes nos actions sur la qualité et la traçabilité », indique Jean-François Tripodi. Carte Blanche souhaite compenser cette perte avec un nouveau réseau en implantologie. Les implants dentaires ont en effet des restes à charge très importants, avec des différences notables dans le choix des matériaux utilisés et la qualité.« Nous pensons avoir un rôle à jouer dans le contrôle de la qualité et la modération des tarifs, ainsi que dans l’accès aux soins pour les bénéficiaires », indique Jean-François Tripodi.

D’autres, comme Jean-Marc Boisrond sont convaincus que le panier 100% santé est largement insuffisant. Dans le domaine dentaire, « la prothèse en métal en fond de bouche reste inesthétique et désagréable en bouche », pointe-t-il. Les réseaux continueront donc à jouer leur rôle de négociation tarifaire sur les paniers B et C en dentaire et sur le panier 2 en audiologie, selon le directeur d’Itelis. « Plus de la moitié des personnes que nous protégeons n’auront pas recours à des offres sans reste à charge », pronostique-t-il car les Français expriment des doutes sur la qualité des équipements. En tout état de cause, il conviendra d’être vigilant à la qualité des prestations proposées dans le cadre des paniers « 100% santé ». Itelis proposera aux utilisateurs de ses réseaux le « 100% satisfait avec notamment des marques de qualité, de la traçabilité et la promesse d’intervenir si besoin auprès du professionnel de santé en cas de problème ».

Le 21 mai Le Cercle LAB organise la conférence "Les plateformes santé confrontées au casse-tête au 100% santé : Entre remise en cause et nouvelle raison d’être !" Avec des interventions d'Isabelle Hébert (Kalixia), Jean-Marc Boisrond (Itelis), Anne Georgieff (Carte Blanche Partenaires) Jean-François Tripodi (Carte Blanche Partenaires)... Animée par Marie-Sophie Houis, associée de PMP Conseil. Inscriptions ici.

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