Scénarios du HCAAM : L’Institut Sapiens alerte sur les "effets pervers"
L’Institut Sapiens publie une note intitulée « La face cachée des propositions du HCAAM », dans laquelle il analyse les « effets pervers » des scénarios de rupture.
Le rapport du HCAAM publié en janvier 2022 sur l’articulation entre l’assurance maladie obligatoire et les complémentaires continue à faire couler de l’encre. L’Institut Sapiens propose dans une publication de 38 pages une lecture très critique des trois scénarios de rupture détaillés dans le rapport, plus celui du bouclier sanitaire.
La publication qui analyse les conséquences de chaque scénario est signée par Josette Guéniau, directrice de l’Observatoire santé et innovation, et Guillaume Moukala Same, chargé d’études économiques d’Astères. En conclusion, les auteurs considèrent que les évolutions proposées par le HCAAM « vont dans le sens d’une diminution de l’accès financier aux soins présentant des dépassements tarifaires, de la création d’un système à deux vitesses et d’une forte dégradation des comptes sociaux ».
Au détriment de l'innovation
Le deuxième scénario, celui qui envisage une obligation de souscription à une complémentaire santé pour toute la population, « sacrifie l’innovation » et l’adaptation de la couverture aux besoins spécifiques des populations couvertes, selon l'Institut Sapiens.
Les auteurs signalent que ce scénario d’Agirc Arrco de la santé risque d’accentuer « les difficultés d’accès aux soins dans les zones où les dépassements d’honoraires et tarifaires sont courants, même si l’obligation de souscription à une complémentaire entrainerait aussi une diminution du reste à charge final pour certains Français (les moins ou les non couverts actuellement) ».
En revanche, pour la majorité des Français (96%) qui ont déjà une couverture, ils risquent de basculer vers la couverture universelle sans prise en charge des dépassements d’honoraires et donc de voir baisser leur niveau de couverture par rapport à la situation actuelle. Ce scénario conduirait à une amélioration de la couverture, uniquement sur les médicaments qui rendent un service médical faible. Côté positif, « la réforme améliorerait l’accès aux soins des 4% de Français non couverts ».
Concernant le prix de la couverture, le HCAAM envisage plusieurs possibilités (tarif libre, tarif unique et tarif encadré). « Dans l’hypothèse d’une tarification unique au risque collectif (400 euros par an pour les adultes et 130 euros pour les moins de 26 ans), le coût des primes d’assurance augmenterait pour de nombreux Français, à l’exception des retraités », signale l’Institut Sapiens.
Privées de la liberté tarifaire et du choix des garanties, « la seule variable sur laquelle les complémentaires pourraient jouer serait celle des coûts de gestion », pointe l’Institut Sapiens. Leur capacité d’innovation serait supprimée et elles deviendraient « de simples organes de remboursement ». « Étant donné le caractère incompressible d’une partie des coûts de gestion, les OCAM seraient incités à rogner sur les services qui bénéficient à leurs assurés », craint l’Institut Sapiens.
Une médecine à deux vitesses
Concernant le scénario de Grande Sécu, l’Institut Sapiens pointe le risque de créer un système à deux vitesses : d’un côté les assurés aisés ou couverts par un contrat d’entreprise et de l’autre les moins aisés. Ce scénario prévoit un remboursement à 100% sur les principales dépenses de santé, mais sans prise en charge des dépassements d’honoraires. Du fait d’une meilleure prise en charge par la Sécurité sociale, la moitié des Français actuellement couverts choisirait de ne plus avoir de complémentaire santé. L’Institut Sapiens anticipe donc une hausse du reste à charge et un renforcement des difficultés d’accès aux soins pour une partie de la population privée de complémentaire. Un tiers des Français devra choisir entre une hausse de son reste à charge final (s’il passe par un médecin pratiquant des dépassements) ou l’allongement du temps d’attente pour se soigner.
En revanche, « la contribution au financement des soins serait plus solidaire » et les personnes présentant un risque plus élevé ainsi que les moins aisés seraient gagnants. Cependant, l’Institut Sapiens considère que le HCAAM « ne prend pas en compte, dans ses simulations, l’impact qu’aurait une hausse du reste à charge final sur le renoncement aux soins ». Autrement dit, le renoncement aux soins pour des raisons financières risque d’augmenter car bon nombre d’actes auraient un reste à charge plus élevé, du fait de la liberté tarifaire des médecins et professionnels de santé. Les organismes complémentaires remboursent 49% des dépassements d’honoraires des Français, rappellent les auteurs.
Autre conséquence majeure du scénario de Grande Sécu, « le risque de creuser davantage le déficit de la Sécurité sociale ». La prise en charge à 100% du ticket modérateur aurait un coût de 22Mds d’euros pour les finances publiques dès son instauration, puis un montant croissant d’année en année avec le vieillissement de la population. Les chambres particulières à l’hôpital, actuellement remboursées par la majorité des complémentaires, ne seraient plus accessibles pour environ un Français sur deux, selon l'analyse de l'Institut Sapiens.
Qui dit décroisement dit démutualisation
Le scénario du décroisement des champs d’intervention de l’assurance obligatoire et des complémentaires conduirait à une « inflation des charges publiques sans gage d’efficacité », selon l’Institut Sapiens. L’impact de ce scénario dépend du nombre de désaffiliations. Si peu de Français décident de se désaffilier, ce scénario aurait peu d’impact sur l’accès aux soins. En revanche, en cas de forte vague de désaffiliation, les Français verront leur reste à charge final augmenter, induisant une hausse du renoncement aux soins.
Autre effet pervers, la démutualisation, qui conduirait aussi à un système à deux vitesses et à une diminution de l’accès à certains soins pour les plus démunis, selon Josette Guéniau et Guillaume Moukala Same. L’Institut Sapiens écrit que « le petit risque coûterait plus cher à assurer et certains risques ne seraient peut-être même plus assurables » car la base de mutualisation serait trop faible. Ce scénario de décroisement « créerait une incitation à la non-assurance » ; notamment chez les assurés avec de faibles besoins en optique, dentaire et audioprothèse, mais également chez les plus aisés qui pourraient choisir de s’auto-assurer et encore chez les personnes à faibles revenus qui pourraient décider de faire l'économie de leur complémentaire santé.
L’Institut Sapiens anticipe que la dérèglementation du cadre des contrats conduira à une plus grande segmentation du marché. La moindre mutualisation provoquerait par ailleurs une hausse mécanique des tarifs des contrats.
Enfin, l’Institut Sapiens indique que ce scénario implique un cloisonnement entre les différents types d’intervention, alors que les malades diabétiques ont également besoin de lunettes et que les malades de cancer qui choisiraient de ne pas avoir de complémentaire santé seraient privés du remboursement de « certaines vitamines, prothèses capillaires, médicaments non remboursés par la Sécurité sociale ».
Le bouclier sanitaire, une usine à gaz
Enfin, sur le scénario de bouclier sanitaire avec un plafonnement du reste à charge annuel, l’Institut Sapiens évoque une « solution très complexe dans sa mise en œuvre ». En effet, il faudrait chaque année calculer ex-post le RAC AMO de chaque individu, reconstituer le RAC de chaque ménage, le comparer à ses revenus… Ce scénario « ne tient pas compte des mesures déjà en place ou en cours de déploiement : 100 % Santé, rémunération forfaitaire des soins, qui pourraient fortement réduire la fréquence et le coût moyen des RAC des soins de ville et hospitaliers et il tente de résoudre un problème de taux d’effort pesant sur certains retraités alors que tous les efforts n’ont pas encore été déployés pour que les plus modestes adhèrent à la CSS », conclut l’Institut Sapiens.
Par ailleurs, la note indique que « la prise en charge systématique par l’Etat des dépenses de santé à partir d’un certain seuil invite à s’interroger sur un potentiel aléa moral ».
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