Solvabilité II : La mise au vert soulève des questions
Actifs verts, taxonomie, besoin en capital, bulle verte, les questions persistent concernant la révision de Solvabilité II, ce qui pourrait déstabiliser les prises de décisions des assureurs à court terme.
En théorie la révision de Solvabilité II pourrait bien être une occasion, pour le secteur de l’assurance, de s’investir plus amplement dans la course contre le réchauffement climatique. En pratique, l’Union Européenne ne s’est toujours pas positionnée sur la question de l’investissement vert et les propositions ne font pas l’unanimité du côté des acteurs.
Après un rapport de l’Eiopa, c’était au tour de la Commission Européenne de se prononcer sur la question de la révision de la directive Solvabilité II. Les objectifs affichés : « financer la relance post-covid » et « canaliser des fonds pour mettre en œuvre l’accord vert européen », sont tous deux des enjeux qui se résolvent pour l’un à court terme et l’autre à long terme.
« La réglementation Solvabilité 2 exige de l’assureur qu’il reste solvable l’année suivant la survenance d’un choc majeur, et pour ce faire définit un niveau minimal de capital proportionnel aux risques pris par l’assureur, ainsi qu’une gouvernance adaptée. La directive Solvabilité II a été votée en 2009 et dès sa mise en place le 1er janvier 2016, le principe d’une révision à moyen terme était déjà posé. Le niveau d’exigence en capital à allouer et la gouvernance requise pour faire face aux chocs sur les investissements conditionnent la stratégie d’investissement des assureurs. Plus ces exigences sont élevées, plus le coût de portage des actifs est important pour les assureurs, explique Rémi Saucié, directeur financier chez Allianz France. L’enjeu de la révision de Solvabilité 2 consiste à trouver le bon équilibre entre les risques à court terme vs les risques à long terme pour définir le niveau d’exigences adapté permettant de concilier le rôle d’investisseur de long terme des assureurs avec le niveau de solidité requis pour la sécurité des assurés ».
La question verte remise à plus tard
Lors de la publication de ses propositions concernant la révision de la directive, la Commission européenne a remis à plus tard les questions concernant les exigences de fonds propres pour les actifs verts. « Le pilier 1 de Solvabilité II doit demeurer un thermomètre aussi factuel que possible du besoin économique de fonds propres des assureurs. L’introduction de green ou brown factors reviendrait à fausser artificiellement ce thermomètre, cela ne nous semble pas souhaitable », indique Grégoire de Montchalin, directeur des comptabilités chez Axa France.
De plus, des questions persistent sur la taxonomie européenne, un outil qui devrait permettre aux investisseurs de se positionner. « Nous avons besoin d’une taxonomie reconnue et relativement stable dans le temps pour permettre de drainer les investissements vers les actifs permettant la transition vers une économie bas carbone », explique Rémi Saucié. Bien que la Commission Européenne ait présenté une première série de modalités en avril dernier, l'incertitude vis-à-vis du nucléaire et du gaz se poursuit. Sur ce sujet, l’Allemagne et la France ne se rejoignent pas. La première puissance européenne - engagée à sortir de façon accélérée du charbon - défend le gaz sur lequel elle mise tandis que la France reste sur ses positions et défend sa première source de production d’électricité, le nucléaire.
« L’incitation des autorités à investir dans des actifs qualifiés de vert ne doit pas créer une bulle spéculative, prévient Rémi Saucié. L’objectif est bien de soutenir les investissements contribuant à la transition écologique et il est donc indispensable de trouver le bon équilibre entre les innovations, la recherche et les besoins de financement nécessaire ».
90Mds d’euros de marge de manœuvre
« La Commission Européenne a communiqué sur le fait que ses propositions permettraient de dégager 90Mds d’euros de besoin de fonds propres afin de donner aux assureurs une marge de manœuvre supplémentaire pour jouer leur rôle d’investisseur de long terme. Néanmoins, cet effet positif n’est en réalité que temporaire, car elle propose aussi d’introduire de façon progressive d’autres mesures dont l’effet va dans le sens contraire. De sorte que d’ici 2032 l’effet positif initial de la réforme aura été entièrement gommé. Cela est dommage, car cela diminuera significativement le bénéfice réel de ces mesures : lorsque les assureurs conçoivent un produit de long terme, parfois plusieurs dizaines d’années, ils doivent tenir compte de son environnement réglementaire à terme, et non de celui transitoire des quelques premières années », explique Grégoire de Montchalin.
Cependant, la prochaine étape est entre les mains du Parlement européen et les Etats membres au Conseil pour négocier les textes législatifs définitifs sur la base des propositions faites par les experts de l’Eiopa et celle de la Commission européenne. « Je crois au fait que l’Union européenne a pris conscience que les assureurs pouvaient jouer un rôle significatif vers la transition », conclut Rémi Saucié. L’application de cette révision ne se fera néanmoins pas avant 2024 bien que certaines directives annoncées puissent être d’ores et déjà prises en compte dans les plans stratégiques et décisions des assureurs.
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