Xavier Colonna : "Nous avons engagé une vaste restructuration du groupe"
INTERVIEW – Dans son premier entretien accordé à la presse, Xavier Colonna, président du courtier éponyme, revient sur son exercice 2019 et décline pour News Assurances Pro la stratégie de développement du cabinet familial, entre refonte de l'image du groupe, projets d’acquisition et expansion des services.
Pouvez-vous nous faire un point sur l'activité du groupe aujourd'hui ?
Le groupe Colonna entame en 2020 ses 48 ans d'existence. Mon père a créé cette entreprise en 1972. Nous étions une vingtaine de collaborateurs à l'époque, nous sommes plus de 400 aujourd'hui. J'ai rejoint l'entreprise en 1998 avant d'en prendre les rênes en 2006. Depuis, nous avons multiplié par 6 le chiffre d'affaires, sans acquisition, avec une progression moyenne de 15% par an sur la période.
Fin 2019, nous enregistrons un niveau de commissions à 48M d'euros, soit une progression de 6% sur l'exercice, ce qui fait de nous le 8e acteur du marché français du courtage en assurances de personnes.
Quels sont vos objectifs de développement ?
Nous avons la volonté de doubler notre chiffre d'affaires et d'atteindre les 100M d'euros à 5 ans. Une partie de cette progression se fera par la croissance organique, l'autre par des acquisitions. Nous sommes en train d'identifier nos cibles, mais il n'y aura pas d'opération en 2020.
Et vos objectifs à moyen terme ?
Nous sommes dans un marché de concentration. Dans les 5 à 10 ans à venir, nous pensons qu'un groupe indépendant et innovant comme Colonna peut surperformer et devenir le leader indépendant de son marché.
Pour ce faire, nous avons engagé une vaste restructuration du groupe depuis 12 / 18 mois, avec une importante introspection. Nous avons refondu notre image et notre entreprise est en train de devenir une marque à part entière, avec un ADN fort et un projet porté par tous les collaborateurs.
Nous avons également réorganisé le groupe en trois piliers : Colonna Broker (Courtage / Conseil), Colonna Facility (Gestion / Services) et xCO Analytics, structure d'analyse de la data que nous avons lancée récemment. Elle s’appuie sur la technologie d’une société de big data fondée il y a 5 ans dont nous avons fait l’acquisition et qui nous permet d'utiliser la puissance des données dans l'environnement du social. Notre offre de services peut ainsi capitaliser sur l'humain.
Qui sont vos porteurs de risques ?
Nous travaillons aujourd'hui avec une trentaine de porteurs de risques du marché et un noyau dur de quatre /cinq assureurs avec lesquels nous avançons en confiance depuis des années.
Nous avons la particularité d'être spécialisés sur les très grands comptes. Nous avons par exemple enregistré au 1er janvier 2020 trois nouvelles sociétés de plus de 5.000 salariés dans notre portefeuille. Notre haut niveau de technicité et notre forte implication client nécessitent de travailler avec des compagnies dont l’éthique, la capacité financière et la stabilité des équipes techniques permettent de piloter au mieux le risque.
Le marché de la santé/prévoyance est-il plus resserré ?
Il est certain que le marché est plus concurrentiel, notamment avec l'arrivée de nouveaux acteurs de la bancassurance, des mouvements de concentration et des approches tarifaires extrêmes de la part de certains opérateurs. La résiliation et l'ordre de remplacement sont une constante chez le courtier qui vit avec cette menace depuis toujours.
Toutefois, la nature de l'assurance de personnes fait que le marché est moins volatile qu'en IARD, par exemple. Dans une grande entreprise, changer de courtier en santé / prévoyance a des impacts humains, sociaux et techniques (transférabilité de provisions, revalorisation de rentes, etc ) qui rendent le turnover plus complexe. Cela explique que lorsque vous perdez un client, vous le perdez pour longtemps.
En collective, comment appréhendez-vous la question des arrêts de travail par exemple ?
Plus de 80% de notre chiffre d'affaires est réalisé en collective, tant en France qu'à l'international et la question des arrêts de travail est un des sujets de fond qui a conditionné notre restructuration et le déploiement de xCO Analytics.
Une entreprise ne peut pas supporter des hausses de cotisations successives entraînées d'un côté par les réformes réglementaires et de l'autre par la dégradation du risque. Elle a donc un intérêt économique à traiter le fond du problème.
Nous proposons à nos clients de les accompagner dans l'identification des arrêts de travail avec des outils de pilotage opérationnel, prospectif et anticipatif. Ainsi, nous analysons la data client pour cibler au plus près les populations les plus assujetties aux AT avant de proposer ensuite des mesures de prévention.
La couverture prévoyance représente 1% de la masse salariale actuelle en France (0,5% si elle est financée à moitié par l’employeur). L'arrêt de travail représente lui 4,30% de la masse salariale. Et ce taux grimpe de 7 à 10% dans certains secteurs d’activité où nous sommes présents. Notre solution agit sur l’absentéisme mais aussi le turnover, l'analyse de l’optimisation des environnements de travail, etc… et peut renouveler le dialogue social en impliquant les IRP. Elle permet in fine à l'entreprise d'avoir non seulement un effet bénéfique sur la tarification de sa prévoyance mais surtout d’améliorer son efficience en limitant tous les coûts induits dont elle n’a pas toujours la mesure.
Quelles seront les orientations tarifaires à venir en santé et prévoyance ?
Notre enjeu est de travailler dans l’intérêt de nos clients en leur faisant payer le juste prix et en analysant sur les grands comptes l'impact du 100% santé ou d'une possible réforme des retraites sur leur régime de protection social.
Il y a aujourd'hui peu de baisses de cotisations, mais les hausses restent faibles, tant en santé qu'en prévoyance. Dans notre secteur d'activité où le niveau de couverture moyen n'est pas élevé, la pondération va dépendre de l’évolution de la façon de consommer du client. Au final, la hausse de notre chiffre d'affaires liée à la majoration des cotisations cette année est inférieure à 2%.
Quelle est aujourd'hui votre stratégie de services ?
Notre stratégie, grâce à la data, est de permettre à nos clients de mesurer le bénéfice des services qu’ils mettent en place. Les données que nous collectons et que nous analysons nous permettent ensuite de mettre en place des plans d'action adéquat. Nous travaillons en partenariat avec des sociétés de services ou des assureurs, dont certains proposent de nombreuses offres. In fine, c'est toujours le client qui choisit ses partenaires et nous restons neutres comme l’exige notre position de tiers de confiance.
Où en est votre activité de gestion pour compte de tiers en marque blanche ?
Après avoir lancé en marque blanche son activité de gestion pour compte de tiers l'année dernière, Colonna Facility gère aujourd’hui plus d’un million de bénéficiaires et, même si nous avons peu communiqué sur le sujet, nous avons récupéré, depuis, un peu moins de 20.000 bénéficiaires sous gestion. Notre objectif sur cette activité est de doubler ce nombre à 5 ans.
Il y a sur ce business une forte demande du marché car peu de courtiers ont la capacité de mener correctement cette activité. Les organismes assureurs se désengagent de cette activité qui est de moins en moins un enjeu pour eux. Toutefois, la gestion pour compte de tiers demande de la différenciation et notre positionnement en à revendre
Comment appréhendez-vous la réforme du 100% santé ?
Sur le 100% Santé, l’information du gouvernement, des entreprises du marché des assurances s’est traduite par une cacophonie source de confusion pour les assurés. C'est donc au gestionnaire de rassurer le client et pour ce faire, nos collaborateurs ont été formés pour accompagner les assurés sur ce type de réforme.
Depuis sa mise en place au 1er janvier, nous avons enregistré un pic d'activité, avec des appels supérieurs en nombre, mais surtout en durée car les assurés ont besoin d'explications. Nous avons également enregistré un pic d'activité en gestion car il faut désormais éditer trois devis au lieu d'un précédemment. C'est un challenge, d'autant que plus de 30% des CPAM n'ont pas encore paramétré le 100% santé et que tous les concentrateurs de tiers payant ont dû revoir leurs process et leurs flux avec nous, mais surtout avec les professionnels de santé. Cela va donc prendre encore un peu de temps à se normaliser.
Au final, les réformes de ces dernières années ont redonné une forte dimension de conseil et de service aux courtiers gestionnaires. Par exemple, l'impact du 100% santé fait entrer le marché dans une dimension plus complexe où les courtiers techniques vont pouvoir retirer leurs marrons du feu.
A l'époque des rendements financiers forts, il n'était pas difficile de replacer des régimes déficitaires pour les assureurs. Désormais, les taux négatifs vont pousser des acteurs comme Malakoff Humanis et Axa à augmenter les taux de cotisation en prévoyance de 10 à 15% sur le prochain exercice. Le côté positif c'est que chacun refait son métier d'origine et c'est salutaire pour le client.
Pourriez-vous faire entrer un fonds d'investissement à votre capital ?
Nous sommes sollicités plus que la moyenne car nous évoluons dans le secteur du courtage le plus attractif aujourd'hui. De plus, notre projet d'entreprise est atypique, valorisant et donc valorisable, avec un « track record » de croissance organique qui inspire confiance.
Toutefois, j'ai réussi à disposer depuis peu de 100% du capital du groupe, ce n'est pas pour le donner. Si je continue à vouloir rester indépendant avec une vraie histoire à raconter autour de Colonna, ce n'est pas pour en faire cadeau. Je ne ferme donc pas la porte, mais à court terme, nous sommes bien chez nous, chaque chose arrivant en son temps.
Propos recueillis par Mariona Vivar et Thierry Gouby
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