André Renaudin : "Le coronavirus conduit à un appauvrissement général du pays"
INTERVIEW - André Renaudin, directeur général d’AG2R La Mondiale, s’inquiète des conséquences économiques du coronavirus et revient sur l’année 2019 du groupe de protection sociale.
Quelles seront les conséquences de la crise sanitaire actuelle sur le secteur de l’assurance ?
Le président de la République a indiqué que nous sommes en guerre. Comme dans toute guerre, il faut donc s’attendre à des victimes, des héros, des dommages et des profiteurs. Par exemple, des malfaiteurs en profitent en ce moment pour lancer des cyber-attaques. Nous sommes entrés dans une période d’économie de guerre. Les conséquences vont être considérables : le nombre d’heures non travaillées, les usines à l’arrêt, les rideaux fermés… Certaines choses ne pourront pas être rattrapées. Ce manque de travail va avoir un impact sur la richesse de notre pays. Par exemple, en 8 jours, 500.000 salariés du secteur du travail temporaire ont perdu leur emploi car leurs donneurs d’ordre ont fermé leurs portes. Cette situation conduira à un appauvrissement général du pays.
Quelles mesures avez-vous mis en place suite à la crise sanitaire ?
Quand le gouvernement a annoncé qu’il y aurait un report des cotisations sociales, les Français ont compris que cela concernait les cotisations pour la protection sociale. Nous accordons des délais de paiement sur les cotisations aux entreprises qui nous en font la demande et nous maintenons les garanties. Nous sommes tributaires des décisions de la Sécurité sociale. Si elle permet une extension de la prise en charge, cela se traduit de fait par une extension de prise en charge des complémentaires.
Autre point inédit, l’arrêt de travail pour garde d’enfant qui n’était pas prévu dans les contrats prévoyance. Or, il y a une automaticité dans la prise en charge des indemnités journalières complémentaires et nous ne connaissons pas le motif de l’arrêt maladie. Ce sera donc pris en charge.
Quelles sont les conséquences de la crise pour le secteur de l’assurance ?
Le secteur de l’assurance n’y échappe pas. Nous soutenons les entreprises en difficulté en les accompagnant au mieux dans leurs démarches et en reportant les cotisations. J’espère que ce ne seront que des difficultés passagères. Mais je crains que certaines entreprises ne s’en remettent pas. Les assureurs que nous sommes encaisserons donc moins de cotisations. Nous ferons face à plus d’arrêts maladie, des charges de sinistres supplémentaires. Nous n’avons pas encore calculé le coût pour AG2R La Mondiale. Mais cela pourrait se compter en dizaine de millions d’euros.
Comment vous êtes-vous organisé chez AG2R La Mondiale pour poursuivre l’activité ?
Un accord sur le télétravail avait été signé en 2018 et les grèves de fin 2019 ont été un bon test grandeur nature pour le télétravail à grande échelle. Depuis le début du confinement, le télétravail monte en puissance tous les jours. Nous avons atteint aujourd’hui 6.000 connexions simultanées et avons enregistré environ 7.000 connexions dans la journée à notre outil de travail à distance. Nous travaillons au déploiement d’un nouvel outil pour pouvoir libérer de la bande passante. Nous pensons qu’environ 9.000 salariés d’AG2R La Mondiale sont en mesure de travailler à distance.
Nous avons actuellement 11 sites ouverts où 150 collaborateurs se rendent régulièrement afin d’assurer des activités de maintenance et le scan du courrier notamment. Car nous devons continuer à payer nos prestations. Je ne sais pas encore si on va s’engager vers du chômage partiel. Concernant notre réseau composé d’environ 1.000 commerciaux, dont la rémunération est liée à l’activité, il faudra trouver des solutions pour les accompagner.
Les Jeux Olympiques ont été reportés. Savez-vous si le Tour de France le sera aussi ?
Nous n’avons pour l’instant pas connaissance d’un report. S’il venait à être annulé, AG2R La Mondiale perdrait le bénéfice d’image, mais cela n’aurait pas de coût additionnel. Je vois plein de manifestations qui sont reportées en juin ou septembre. Je ne pense pas qu’on pourra tout reporter. La reprise va être un vrai sujet, surtout si cela dure.
"Le coût de la rupture avec Matmut est d'environ 4M d'euros de notre côté"
Comment expliquez-vous votre résultat net 2019 en hausse à 350M d’euros dans un contexte de baisse d’activité, notamment en santé et prévoyance ?
Souvent, en assurance des personnes, quand l’activité diminue, le résultat augmente. C’est vrai en assurance vie. Ce qui coûte cher c’est le financement de la production.
En assurance prévoyance santé, nous avons été très sélectifs sur les affaires en portefeuille, nous en avons résilié quelques-unes. Cela nous a permis de redresser les comptes techniques. Cette politique de pilotage des souscriptions va se poursuivre en 2020. En retraite complémentaire, nous sommes dans la trajectoire de baisse des frais de gestion. Nous avons déjà atteint le niveau fixé par la feuille de route des partenaires sociaux pour 2022. Et nous avons obtenu un très bon résultat d’exploitation.
Nous avons enregistré une érosion du portefeuille en santé individuelle suite à la généralisation de la complémentaire santé. Sur le périmètre de la Mondiale, c’était un bel exercice. Nous pilotons la collecte, avec un équilibre entre fonds euro et UC. C’était une très bonne année en épargne et en retraite supplémentaire.
Nous maintenons nos marges, malgré des taux négatifs l’année dernière. Enfin, nous avons réalisé des plus-values de cession (1Md d’euros) et sécurisé le portefeuille actions.
Comment avez-vous freiné la collecte sur le fonds euros ?
Nous avons également été sélectifs à la souscription. Nous n’avons pas pris de nouvelles demandes de versements en euros. Nous ne savons pas comment les épargnants vont réagir sur les arbitrages. Mais pour l’heure nous n’avons pas constaté de transfert d’UC vers le fonds euro. Actuellement, ce n’est pas un sujet de préoccupation. Par ailleurs, au regard des évolutions de la bourse, ce n’est pas le moment de procéder à des transferts.
Envisagez-vous de commercialiser des contrats d’assurance vie sans capital garanti à 100% ?
C’est une bonne piste de réflexion, mais pour l’instant ce n’est pas prévu. Cela correspond au prix du coffre-fort. Certains acteurs envisagent de sortir du fonds euros. Je ne me suis jamais inscrit sur cette ligne, car les assurés, dans ce pays, sont attachés au fonds euros. Nous n’envisageons pas pour l’instant de lancer des contrats dont les valeurs de rachat diminueraient.
Avez-vous intégré la PPE pour le calcul de votre ratio SCR ?
Nous avons décidé de renforcer la provision pour participation aux bénéfices en 2019. Nous avons bénéficié de la PPE pour doper la marge de solvabilité, qui s’élève à 221%. Cela pèse pour 20 points.
Pouvez-vous revenir sur les raisons du divorce avec la Matmut ?
Avec le groupe Matmut, nous avions le projet commun de bâtir un groupe complet d’assurance de personnes et de leurs biens. Il n’y avait pas de doublon puisque la Matmut, basée à Rouen, était un spécialiste de l'assurance dommages et nous, un spécialiste de l’assurance de personnes. Les choses s’emboîtaient assez bien. Malheureusement, nous n’avions pas la même vision de la constitution d’un groupe, avec égale transmission des responsabilités. Rien n’était partagé, au fond. Le plus simple était la rupture.
Quel est le coût de cette rupture ?
En euros, le coût reste très faible, environ 4 millions d’euros de notre côté. Le principal coût est invisible et concerne le temps et l’énergie que nous avons consacrés à ce projet. Cela implique également des pertes d’opportunités de développement dans les deux maisons. La Matmut comptait plus de 3 millions d’assurés et AG2R La Mondiale, 15 millions. Nous avions un million d’assurés en commun, ce qui représentait un potentiel de multi-équipement considérable.
"Nous avons lancé un nouveau plan stratégique en janvier baptisé Impulsion 20-22"
Comment la rupture a-t-elle été vécue en interne ?
Cela a été une surprise pour nos collaborateurs, mais une partie de l’entreprise a été plutôt soulagée. J’ai en tête une seule direction où la fusion avait été faite et il a fallu redistribuer les responsabilités. Pour les autres directions, la vie a repris assez vite comme avant. Je tiens à souligner que c’était un divorce par consentement mutuel.
Êtes-vous donc à la recherche de nouvelles opportunités de développement ?
L’année 2019 a été extraordinaire en ce qui concerne le changement de notre environnement. Je ne me souviens pas d’avoir vu autant de changements tous azimuts : fusion des Fédérations Agirc et Arrco, 100% santé et résiliation infra-annuelle, Loi Pacte et lancement des nouveaux Plans d’épargne retraite. Nous sommes entrés dans un nouveau monde. Les changements ont été tels que j’ai décidé d’interrompre le plan stratégique en cours et de créer un nouveau plan d’entreprise en janvier 2020 nommé « Impulsion 20-22 ».
Quels sont les objectifs de ce nouveau plan stratégique ?
Le plan est bâti par verticales métier : épargne, santé-prévoyance… Parmi nos priorités, la transformation de notre distribution est cruciale. Nos trois réseaux (La Mondiale, AG2R entreprises et AG2R particuliers) cohabitent mais ne travaillent pas ensemble. L’organisation est encore assez silotée. Nous sommes en train de les fusionner pour que, face à un client, le commercial puisse avoir une approche complète.
Un autre chantier important est la simplification de notre architecture informatique. Nous avons encore un nombre trop important d’applications en maintenance. L’objectif est de fusionner les chaines de traitement, dont Arpege Prévoyance.
Nous souhaitons par ailleurs digitaliser davantage nos processus. Nous aimerions permettre à nos assurés de faire toutes leurs opérations à distance, comme le font les banques.
Nous avons également un énorme chantier RH. AG2R La Mondiale se caractérise par la coexistence des 3 codes de l’assurance (assurances, mutualité et sécurité sociale). Nous attendons beaucoup de la fusion des branches professionnelles pour avoir une seule branche de l’assurance.
Êtes-vous à la recherche de nouveaux partenaires pour intégrer votre Sgam ?
Pour l’instant, étant donné les circonstances exceptionnelles que nous vivons, j’appuierais tout naturellement sur la touche « pause ». Nous sommes en discussion avec des mutuelles, nous verrons comment et quand elles peuvent nous rejoindre. S'agissant de La Mutuelle Générale, la discussion est suspendue et vraisemblablement arrêtée pour un certain temps.
La prise de contrôle de La Banque Postale sur CNP Assurances pourrait également faire bouger les choses du côté d’Arial CNP Assurances, dont nous sommes actionnaires.
Envisagez-vous de créer une joint-venture avec un acteur de l’assurance dommages ?
J’ai une vision offre complète pour l’assuré. J’aimerais qu’AG2R La Mondiale ait la capacité de répondre présent sur une offre globale d’assurances, mais je ne vois pas aujourd’hui quelle société, forcément mutualiste, dans le domaine de l’IARD, pourrait nous rejoindre.
Nous avons été longtemps en discussion avec Macif, puis nous avons conclu et avorté un rapprochement avec Matmut, qui avait adhéré à l’association sommitale AG2R La Mondiale. Désormais, nous nous orientons plutôt vers un partenariat stratégique ou joint-venture. Des discussions sont en cours.
Propos recueillis par Mariona Vivar et Florian Delambily
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