Assurance vie : Les unités de compte entre deux feux
Alors que l’ascension des unités de compte sur le marché continue, les méthodes de distribution sont passées au crible par les autorités. L’Eiopa a notamment engagé des travaux visant à mettre en rapport les frais et le rendement.
Les unités de compte continuent d’être un placement plébiscité malgré les rappels à l’ordre des autorités sur le sujet. Les chiffres de l’assurance vie parlent d’eux mêmes, le mois d’octobre a été le cinquième mois de l’année à enregistrer des cotisations supérieures à 13Mds d’euros, pour un total de 124,5Mds d’euros collectés depuis le début de l’année. L’encours atteignait 1.861Mds d’euros et les unités de compte continuaient de grappiller des parts sur le fonds euro, pour représenter fin octobre 2021, 38% des cotisations.
Cependant, l’optimisme général pourrait bien retomber tel un soufflé. Dominique Laboureix, secrétaire général de l’ACPR, partageait en juin dernier ses craintes face au succès des unités de compte : « Cette tendance appelle à se poser des questions sur la manière dont ces produits ont été commercialisés ». Après une première sonnette d’alarme, c’était au tour de Jean-Paul Faugère, vice-président de l’ACPR, de remettre le couvert lors de son discours le 25 novembre dernier : « Pour tous les produits d’assurance il convient de revoir les processus de conception et de commercialisation à l’aune des objectifs de la directive. Il s’agit d’éviter tout risque de mauvaise commercialisation […] Et on ne peut pas s’engager dans la commercialisation de produits sophistiqués auprès de clientèles dénuées de la culture financière nécessaire pour les comprendre ».
Le « libre choix » des épargnants
Le ton a été donné. Pour autant, les acteurs de la place ne s’en délaissent pas. Du côté des bancassureurs, Crédit Agricole Assurances a enregistré fin septembre 2021 une collecte brute en unités de compte de 8,3Mds d’euros, soit une hausse de 43,5% par rapport à la même période en 2020 et une augmentation de 32,1% par rapport à 2019. Les encours en assurance vie gérés par le bancassureur atteignaient 318,2Mds d’euros, dont 83Mds d’euros en UC. Ils représentaient alors 26,12% de l’encours global, soit 3,7 points de plus qu’en 2019. « Nos conseillers sont engagés dans la démarche globale de conseil patrimonial du groupe. Elle repose sur une analyse personnalisée des besoins de nos clients, leur laissant le libre choix de leurs décisions sans mettre particulièrement en avant une alternative plutôt qu’une autre », précise un porte-parole du groupe.
Du côté de Groupama Gan Vie, l’assureur enregistre depuis 2020 un taux d’unités de compte dans son chiffre d’affaires d’environ 50%. « Le virage des épargnants vers les unités de compte est un changement durable. Notre rôle en tant qu’assureur aujourd’hui est d’assurer une qualité de gestion qui limitera les effets de marché en cas de crack boursier. C’est-à-dire qu’on ne capte pas toute la baisse ou toute la hausse. Par exemple, en octobre 2018, le CAC40 a enregistré une baisse entre 20% et 30%. Cependant, notre profil de gestion déléguée le plus prudent à cette période a affiché une baisse d’environ 1% », explique Guillaume Pierron, directeur général adjoint assurance vie individuelle de Groupama Gan Vie.
Les mutuelles d'assurance, quant à elles, affichent un taux d'unités de compte plus bas que les acteurs du marché. Maif Vie compte aujourd'hui 21% d'UC au sein de sa collecte nouvelle, contre près de 40% en moyenne sur le marché. « Pour comprendre le fort taux d’UC chez nos concurrents, il faut regarder qui doit répondre annuellement à des actionnaires et observer leurs taux d’unités de compte. Effectivement, les sociétaires de la Maif n’ont pas les mêmes demandes de retour sur fonds propres que les fonds d’investissements, par exemple », indique Hélène N’Diaye, directrice générale de Maif Vie et directrice générale adjointe du groupe Maif.
Des intermédiaires sous pression
Concernant les distributeurs en ligne, les courtiers s’activent. « « Il y a une pression des assureurs qui ne souhaitent plus de contrat ayant moins de 30% d’unités de compte », explique Mathieu Ramadier, responsable de l’offre chez Assurancevie.com. Distributeur de produits Generali, Suravenir et Abeille, le courtier en ligne enregistre aujourd’hui 200M d’euros de collecte brute en 2021, dont 60% en unités de compte, contre 20% il y a 3 ans. Afin de respecter son devoir de conseil, le distributeur en ligne a mis à disposition de ses clients des équipes de conseillers par téléphone ainsi que des formations pour améliorer le conseil client et les connaissances des marchés et des supports. D'autres courtiers en ligne comme Linxea se situent, quant à eux, dans la moyenne du marché. La plateforme de distribution en ligne travaille avec Generali, Suravenir et Spirika du groupe Crédit Agricole et compte un stock d'actifs de 2,3Mds d'euros, dont 40% est investi en unités de compte.
« Avec une inflation à plus de 4%, le fonds euro perd de sa valeur. Avec des épargnants qui souhaitent investir sur du moyen et long terme, les unités de compte sont des supports adéquats. Néanmoins, il y a aussi eu des « politiques de collecte en unités de compte », les commerciaux ont clairement eu des objectifs chiffrés de la part des assureurs », lance Albert d'Anthoüard, directeur de la clientèle privée de Nalo.
Afin de pallier cet engouement, les plateformes en ligne ont alors été poussées à développer des services et des conseils. Certains ont également opté pour une méthode bien définie. « Notre approche n’est pas basée sur le produit mais sur un conseil fort. Chacune des allocations sont personnalisées en fonction du profil du client, des raisons pour lesquelles il s’engage ainsi que son horizon. De plus, certains paramètres peuvent être modifiés au cours du contrat », explique Albert d'Anthoüard.
Des frais qui flambent
Et le conseil a un prix. Lors de son discours du 25 novembre, Jean-Paul Fougère n’a pas manqué de soulever le sujet des frais en assurance vie, le qualifiant de « compliqué et sensible ». De ce fait, le vice-président pointe du doigt les structures de frais qui ne font pas toujours apparaître une corrélation évidente entre le niveau de service et la tarification, mais aussi entre le risque porté par l’épargnant et l’espérance de rendement.
« Value for money »
Par conséquence, le gendarme européen s’est emparé du sujet. L’Eiopa a d’ores et déjà engagé un travail d’analyse sous le vocable « Value for money ». L’enquête présente une approche analytique des montants des frais selon caractéristiques du produit, ses composantes et les modes de gestion, en n’omettant pas ceux qui sont inhérents à la gestion des unités de compte et une approche plus économique qui vise à mesurer l’impact des frais sur le rendement attendu.
À travers ces combats, les autorités entendent trouver des pistes d'amélioration autant sur le sujet des frais en assurance vie que le devoir de conseil des distributeurs. « Nous ferons une synthèse lorsque nous aurons suffisamment d’éléments. Et nous échangerons avec la place ainsi qu’avec les membres de la Commission de contrôle des pratiques commerciales (CCPC), en essayant de trouver ensemble un diagnostic partagé voire des pistes d’orientation au regard des constats réalisés. Et nous publierons si nécessaire ensuite des recommandations », conclut Jean-Paul Faugère.
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