Assurtech : La course à l’agrément, un parcours du combattant
L’obtention d’un agrément d’assureur reste un parcours complexe pour les assurtech souhaitant porter des risques. Pour autant, l’ACPR met aujourd’hui en place un accompagnement accru afin de permettre aux jeunes compagnies d'atteindre leur but. Décryptage.
Le secteur de l’assurtech ne cesse de s’agrandir. Avec l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché et les ambitions qu’ils affichent, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a publié en 2022 une charte dédiée aux jeunes ambitieux qui souhaiteraient concrétiser leur envie de devenir assureur. Avec une moyenne de 2 demandes d’agréments déposées chaque année, le gendarme tente de les accompagner au mieux dans leur parcours, parfois intimidant.
Avant de faire une demande d’agrément, les échanges préalables avec l’ACPR peuvent durer des mois. « L’agrément d’un organisme d’assurances est exigeant. Nous accompagnons les jeunes entrepreneurs en amont dans la préparation de leurs dossiers afin d’optimiser le travail de chacun », explique Geoffroy Goffinet, directeur des autorisations de l’ACPR.
Ne pas se précipiter
Alors que les députés et sénateurs ont trouvé un compromis sur la proposition de loi « assurance emprunteur », la jeune compagnie Assurly, spécialisée dans ce domaine ne cache plus son ambition de devenir assureur. « Il y a une réelle volonté de l'ACPR à accompagner les insurtech innovantes dans les démarches de demandes d'agrément. Une cellule nous est dédiée afin d’analyser la valeur ajoutée et la transformation que nous pouvons apporter au marché. Ils s’assurent que les risques soient sous contrôle, tout cela avec une approche positive, explique Toufik Gozim, CEO et co-fondateur d’Assurly. L’Autorité nous a alloué une brigade composée de quatre experts afin de nous épauler dans la mise en conformité ».
5 agréments d’assureurs depuis 2016
Sur ces cinq dernières années, 5 assurtech ont fait leur entrée dans la cour des grands. Alan a ouvert le bal en 2016. À coup de digitalisation, simplification et petits prix, la jeune compagnie venait à la charge avec l’ambition de dépoussiérer l’assurance santé. Témoin de ce courage, il aura fallu trois ans à Seyna pour s’emparer du sésame tant désiré et s’attaquer à l’assurance dommages. Suivra ensuite MIC sur le marché de l’assurance construction en 2020, puis Acheel sur l’habitation (2021) et la dernière en date Mila, une compagnie IARD.
Pour la jeune compagnie d’assurance Seyna, le processus d’agrément aura duré près d’un an et demi. « Lors de notre demande d’agrément, l’ACPR a été extrêmement ouverte et disponible. Nous nous sommes rencontrés une quinzaine de fois avant de déposer un dossier afin que Seyna devienne une compagnie d’assurance. L’autorité a été très rigoureuse et s’est assurée que le projet soit viable », explique Philippe Mangematin, co-fondateur de Seyna et Stoïk.
Avoir les reins solides
Nombreux sont les critères à respecter afin de montrer patte blanche lors d’une demande d’agrément. Sur le plan financier, le capital minimum requis dépend de la branche d’activité sur laquelle l’assurtech souhaite exercer. En détail, pour les entreprises d'assurance non-vie, y compris les captives d'assurance, le capital minimum s’élève à 2,5M d’euros. Pour les entreprises d'assurance vie, y compris les captives d'assurance, le montant s’élève à 3,7M d’euros et pour les acteurs qui souhaitent se lancer sur plusieurs branches d’activité, il faut au moins 6,2M d’euros. Cette base financière ne comprend pas les exigences de fonds propres imposées par la directive de Solvabilité II.
Business plan solide
Mais l’obtention de l’agrément ne se résume pas à une affaire financière. Pour se lancer, les jeunes entrepreneurs doivent, entre autres, s’assurer d’avoir deux dirigeants effectifs, un conseil de surveillance et des équipes dédiées à suivre le risque et le reporting. Elles sont également dans l’obligation de présenter un business plan solide et résistant au « scénario dégradé » auquel l’autorité va les confronter. Ce stress test permet à l’autorité ainsi qu’aux dirigeants de vérifier la stabilité de l’entreprise sur les trois prochaines années.
« En France, tout le travail doit se faire avant le dépôt du dossier. L’ACPR vous demande des comptes sur votre niveau de fonds propres, la réassurance, la mise en place d’un conseil d’administration, les recrues que vous comptez engager. En tant que startup, nous avons eu le sentiment de ne pas pouvoir y arriver. Finalement, le fait d’être devenu assureur agréé par l’ACPR nous a donné de la crédibilité puisque tout le monde sait que cette démarche est complexe », ajoute le co-fondateur de Seyna.
Dans la charte publiée un peu plus tôt en 2022, l’ACPR a pris des engagements vis-à-vis des délais de traitement des dossiers. « À partir du dépôt de la demande d’agrément, le délai de traitement prévu par la règlementation est de six mois. Ce délai peut néanmoins varier en fonction de la qualité du dossier : certaines demandes peuvent aboutir au bout de 4 à 5 mois, d’autres en revanche nécessitent plus de temps, en particulier quand le dossier n’est pas complet », ajoute Geoffroy Goffinet.
Devenir courtier, un premier pas
« Nous constatons que plusieurs acteurs se dotent dans un premier temps d’un statut de courtier avant d’entreprendre les démarches pour devenir assureur. Cette approche qui nécessite de franchir différentes étapes leur permet d’avoir du recul sur leur activité, de se confronter à la réalité du marché, et d’analyser les perspectives de développement possibles », ajoute le directeur des autorisations de l’ACPR.
Ces jeunes pousses pleines d’ambition n’ont qu’à bien se tenir. Après une demande d’agrément sinueuse, vient la réalité du marché. Alors qu’une compagnie d’assurance implique d’engager une somme significative en capital ainsi qu’en fonds propres - la plupart du temps financés par des levées de fonds - le démarrage est également synonyme d’importante pertes. « Les compagnies d’assurance peuvent enregistrer de grosses pertes au début de leur activité. C’est pour cela que les montants de fonds propres requis au moment de l’agrément peuvent être significatifs. Si certains acteurs n’en ont pas conscience, c’est à nous de leur rappeler et de les accompagner dans leur choix d’agrément », commente Geoffroy Goffinet.
Si le parcours du combattant que représente une demande d’agrément n’a pas découragé certains acteurs, l’ACPR ne souhaite qu’une chose : « Parler le même langage ».
À voir aussi
J.P Faugère : "Garantir la sécurité des échanges de données"
François Villeroy de Galhau : "Simplifier n’est pas déréguler"
Devoir de conseil : L’ACPR publie une recommandation