Cercle LAB : Retour sur la 1ère réunion du club RH (saison 2020-21)
Le 24 septembre s’est tenue la première réunion du club RH, sous le marrainage de Bénédicte Crété Dambricourt, DRH du Groupe Groupama.
[gallery type="slideshow" size="full" ids="1425675,1425681,1425668,1425669,1425670,1425673,1425672"]Le télétravail s’est imposé par la force des choses à la majorité des collaborateurs de l’assurance suite au confinement. Les circuits de décision ont été raccourcis, les processus, simplifiés, les hiérarchies, aplaties. Coopération, transversalité, autonomie… quels types d’organisations vont perdurer dans un contexte post-covid ? Le club RH a abordé cette question le 24 septembre.
Florence Osty, sociologue, a invité les participants à se saisir de « cette expérience inédite, singulière », pour ouvrir le questionnement sur le travail demain au lieu de reprendre les fonctionnements d’avant la crise.
« Cette crise c’est à la fois un miracle et un monstre », selon une expression d’Harmunt Rosa, sociologue allemand, cité par Florence Osty. « On a arrêté la planète, alors que c’était inimaginable de tout arrêter. C'est un miracle parce qu'on l'a fait ! Cette crise est donc l'opportunité de s'emparer de questions qui apparaissaient inaccessibles. Cette crise rappelle aussi que l’on ne contrôle pas grand-chose, alors que notre société s'est construite sur la maîtrise, voire l’illusion d’une toute-puissance absolue de l’homme sur la nature. Cette crise serait donc une sorte de « miroir grossissant de ce qu'on vivait ». Il convient donc de « regarder le monde d’avant avec des lunettes d’aujourd’hui », invite la sociologue.
« L'impossible est devenu possible »
Florence Osty tire des enseignements de la période : Premier constat : « L'impossible est devenu possible ». Les entreprises se sont organisées en un temps record pour poursuivre l’activité dans des conditions qui étaient inenvisageables auparavant. Le télétravail était jusqu’à présent abordé dans le cadre d’une « expérimentation prudente » sous la forme d’un « nouveau droit pour les salariés ? Une conquête sociale ? Ou bien une nouvelle manière pour l’entreprise de rationaliser les mètres carrés et d’organiser le travail ». Le télétravail durant le confinement a produit des effets contrastés et a été différemment vécu selon les personnes, selon la taille du logement, la composition familiale, la possibilité d’avoir un espace à soi ou la qualité de la connexion internet. Le télétravail s’est imposé comme une expérience massive dont il est important de retirer des enseignements.
La crise a également révélé le travail en réseau et de nouvelles formes de partenariat entre différentes organisations.
« On n'a jamais si bien travaillé »
Deuxième constat, « On n'a jamais si bien travaillé », affirme Florence Osty. « Les salariés étaient dans leur cœur de métier, allégés de tout ce qui vient entraver le travail, comme le reporting ou les injonctions contradictoires qui viennent enkyster l’activité. Cela a donné du sens au métier. Quand les salariés sont concentrés sur leur cœur de métier, ils peuvent être fatigués mais l’on observe peu de burn-out ».
Troisième constat identifié par Florence Osty, « la figure de la parenthèse enchantée ». Les salariés ont fait l’expérience d’avoir travaillé sans entrave, sans les guéguerres internes sur les défenses de territoire et dans des relations de coopérations plus fluides. En revanche, depuis le déconfinement, le retour sur site des collaborateurs a été accompagné de tous les problèmes d’avant. « Ce que vous avez vécu au sein de vos structures dans cette période pourrait inspirer d’autres pratiques pour l’avenir », suggère la sociologue.
Sur la question de l’organisation, Florence Osty évoque deux tendances opposées :
Dans certains cas, elle a observé « la débrouille locale, de l'initiative foisonnante de la part des salariés pour trouver des solutions face à des situations nouvelles, grâce à la coopération ». Elle a remarqué « peu de présence des institutions « d’en haut », souvent défaillantes, désemparées, démunies, ou bien en extériorité, avec une vision surplombante de la crise ».
Florence Osty indique que dans d’autres organisations, les entreprises ont joué le jeu d’une certaine « décentralisation des décisions, invitant à ce que des règles générales puissent trouver une traduction locale ajustée ». Les fonctions support ont eu un rôle déterminant pour aider localement à mieux gérer les situations. Ces modalités organisationnelles ont montré que « l’organisations peut aider à équiper les individus ». Cela a permis de « mobiliser les liens de confiance ». Cette organisation s'est avérée adéquate pour gérer l'incertitude.
Par ailleurs, la question de l'utilité sociale des métiers est devenue centrale. « À quoi ça sert ce que je fais ? ». Cette crise invite à réinvestir la question du sens du travail, et d’une nouvelle échelle de prestige où temporairement, les métiers les plus prestigieux sont devenus ceux qui répondent aux besoins fondamentaux de société : soignants, caissières, enseignants…
La crise a également accentué la porosité des sphères travail/hors travail. « Le présentiel ou distanciel ne se traduisent pas par proximité ou éloignement. On peut être proche à distance et éloigné en présentiel », illustre Florence Osty. Il conviendrait donc de repenser les modalités du travail. « C'est quoi le travail quand l'unité de temps, de lieu et d'action vole en éclat, et où travailler doit s’articuler avec d’autres activités privées ? ».
Nous sommes à « un moment carrefour pour inventer d'autres formes du travail afin de répondre à la fois à des impératifs de service (produire), à des contraintes de conciliation entre le travail et le hors travail et également à prendre en compte que le travail est aussi une fabrique de lien social. Face à la désaffection de certains salariés vis-à-vis du bureau, Florence Osty invite àrepenser la qualité du présentiel au lieu de penser les conditions du travail à distance. Elle invite à repenser les conditions de la présence pour que le travail sur site soit désirable.
Bénédicte Crété-Dambricourt évoque la reconnaissance exprimée par des collaborateurs vis-à-vis de l’entreprise, car elle les a mis en sécurité très rapidement et a su prendre en compte les situations individuelles pendant et après le confinement.
Le travail créateur de lien social
Pour que les liens collectifs existent, les relations se construisent dans l’expérience du travail, mais également pendant des moments de pause, des moments informels qui constituent les ingrédients nécessaires pour que le travail puisse se faire. « Les liens de coopération, de solidarité et de confiance se construisent pendant les moments informels. Ces formes dans le monde d’avant passaient par le présentiel et dans le monde d’après, elles méritent d'être réinvesties », selon Florence Osty.
Des forces antagonistes sur le télétravail
Sur la question du télétravail, nous sommes à un moment carrefour où des forces contraires et antagonistes départagent ceux qui raisonnent comme avant avec ceux qui essaient de trouver des alternatives. Au lieu d’adopter des positions clivantes, Florence Osty considère que « cette expérience nous permet d'enrichir le panel de toutes les formes que peut prendre le travail en organisation, dont le télétravail serait une des formes possibles, mais ni la panacée ni le diable incarné non plus ». Bénédicte Crété-Dambricourt signale les risques d’avoir une organisation à deux vitesses entre les métiers télétravaillables et le non télétravaillables. Le risque serait de moins valoriser les deuxièmes.
Une forte demande de télétravail
Actuellement et en raison de la situation sanitaire du bassin parisien, Groupama permet actuellement 3 jours de télétravail par semaine pour les métiers télétravaillables, dans certaines entités. Parallèlement, et dans le cadre des renouvellements des avenants de télétravail, le groupe mutualiste a enregistré une forte hausse des demandes de salariés pour pouvoir télétravailler ou pour passer de 1 à 2 jours de télétravail. A noter qu’actuellement, les avenants sont suspendus car il s’agit d’une période de télétravail exceptionnel. « Sur certaines entités du bassin parisien, 65% des collaborateurs ont demandé à faire 2 jours de télétravail par semaine », signale Bénédicte Crété Dambricourt.
La demande de télétravail est forte même au sein des métiers qui en étaient exclus avant la crise, comme les métiers de la gestion. Certains métiers comprennent des tâches qui sont télétravaillables et d’autres non, or il est compliqué de découper une semaine en concentrant sur certains jours uniquement les tâches qui ne seraient pas. Bénédicte Crété Dambricourt considère que ce découpage de l’activité en tâches interroge l’organisation car de fait peut limiter ou exclure la prise en compte des « interdépendances » entre les services et directions de l’entreprise.
Expérimenter pour déployer
Dans les mois qui viennent Groupama souhaite lancer plusieurs expérimentations sur les différents scenarii de télétravail : comment rendre des activités télétravaillables ; une organisation en full télétravail est-elle possible ; un même métier peut-il être exercé sur un rythme de télétravail différent selon l’entité d’exercice…. L’idée est d’expérimenter pour implémenter de nouvelles organisations par la suite, et pas uniquement dans une logique de partage de bonnes pratiques. « Notre objectif est de trouver les ressorts d'adaptabilité plutôt que d'essayer de tout codifier », conclut Bénédicte Crété Dambricourt.
« Cette notion de recul, de bilan, de point d’étape et d’enquête pour construire des indicateurs est nécessaire avant de prendre des décisions sur le télétravail. Si la performance de l’entreprise n’est pas au rendez-vous, cela ne pourra pas marcher », indique Gaëlle le Gloanec, de Planète CSCA.
Norbert Girard, secrétaire général de l’OEMA, considère que la crise est « un accélérateur d'un mouvement de transformation qui est engagé dans la profession depuis au moins trois décennies. Ces différentes phases de modernisation marquent ainsi la fin de l'ère industrielle et l'engagement dans une révolution servicielle ».
Pour Bénédicte Crété Dambricourt, la crise a été « un révélateur des attentes des collaborateurs et un accélérateur des tendances d’une révolution servicielle qui s’impose désormais au monde entier et remet en question nos repères et certitudes ». La DRH de Groupama est convaincue que « cette crise va transformer les entreprises, la fonction RH et le rapport des collaborateurs au travail ». Entre remise à plat et retour en arrière, les acteurs RH doivent faire le tri entre les organisations temporaires et celles qui seront pérennisées dans le long terme.
Certains managers ont fait pour la première fois l’expérience du management à distance. Cela a pu fatiguer beaucoup les managers de proximité, suite à de multiples sollicitations, avec une démultiplication des temps de coordination. Norbert Girard propose de s’inspirer de l’animation des réseaux de commerciaux sur le management à distance.
Les managers submergés par l'hyperplanification
Les demandes de flexibilité des collaborateurs, avec une organisation du travail parfois « à la carte » obligent le manager à une « hyperplanification » des temps de présence et d’absence des équipes. Ces modes de fonctionnement hybrides entraînent plus de complexité. Pour Bénédicte Crété Dambricourt, les choix personnels ne peuvent pas s’imposer à l’entreprise, par exemple le choix des lieux de vie trop éloignés du bureau. Bertrand Vasnier, chargé de mission chez Groupama, souligne le risque d’inéquité au sein du corps social, suite à la forte demande d’individualisation de la part des salariés.
Autre question évoquée, « Comment procéder à distance quand cela se passe mal avec le collaborateur, en cas de rupture ou de licenciement ? Comment va-t-on mener les entretiens individuels ? Qu’est-ce qu’on va évaluer ? », s’interroge Bénédicte Crété-Dambricourt.
Par ailleurs, les risques psychosociaux ont pris une autre forme et acuité, car certains salariés sont sortis du confinement très fatigués. Les plus jeunes se sont parfois sentis isolés.
Autre constat, la direction des ressources humaines a été repositionnée au cœur de la stratégie de l’entreprise, alors que les fonctions régaliennes ont été reléguées au deuxième plan.
Transport, productivité, surface immobilière, interdépendances, lien social, engagement… Il convient de prendre en compte tous ces paramètres pour évaluer l’expérience du télétravail, sachant qu’il n’y a pas de modèle unique.
Le club RH se réunira de nouveau le 18 décembre, le 4 février et le 6 avril.À voir aussi
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