Christian Schmidt de la Brélie : "Le débat sur la soutenabilité financière du système de soins demeure entier"
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TRIBUNE - Christian Schmidt de la Brélie, directeur général de Klesia, prend la plume pour dresser le bilan 2024 de la protection sociale et se projette sur 2025.
Entre les transferts de remboursements de l’assurance maladie, la polémique sur les hausses de cotisations et les réflexions sur le périmètre du contrat solidaire et responsable, le débat sur la place des assurances maladies complémentaires (AMC) dans le système de santé a été vif tout au long de l’année 2024. L’absence d’instance pérenne de concertation entre les parties prenantes n’a malheureusement pas permis de partager sereinement un diagnostic sur les besoins de santé de la population, la situation du système de soins et leur financement. Si bien que les organismes complémentaires en ont été, une fois de plus, réduits à tirer les conséquences du « partage de l’effort » imposé par les pouvoirs publics.
Autrement dit à continuer d’être les payeurs aveugles du système de soins, bons pour prendre les mesures de redressement nécessaires à la préservation de l’équilibre de leurs contrats et pour endosser les incompréhensions et les critiques liées à des choix politiques sur lesquels ils n’ont eu en réalité aucune prise.
Le débat sur la soutenabilité financière du système de soins n’en demeure pas moins entier, comme en témoignent les perspectives de déficit de l’assurance maladie, estimées autour de 15Mds€ par an d’ici 2028. Après les soubresauts liés à la pandémie de Covid-19, la consommation de soins médicaux a en effet repris de plus belle sous la pression des progrès de la médecine personnalisée, de la révolution technologique en cours et du vieillissement de la population.
En l’état, le système de soins n’est pas capable d’absorber la multiplication des pathologies chroniques, lesquelles ne se limitent aux 13 millions de bénéficiaires du dispositif administratif de prise en charge des affections de longue durée, mais concernent en réalité 24 millions d’assurés. Face à ces défis immenses à relever, au mur des déficits à venir, est-il possible, pour une fois, d’abandonner les postures et les anathèmes pour réfléchir à la façon dont les AMC, organismes privés évoluant dans un environnement concurrentiel, pourraient utilement œuvrer, aux côtés du régime universel d’assurance maladie, pour améliorer l’état de santé de la population et accroître l’efficience du système de soins ?
En matière de prévention, la connaissance des spécificités de l’environnement de nos clients, entreprises et particuliers, nous ont permis de bâtir des dispositifs d’accompagnement efficaces en matière de nutrition, d’hygiène de vie, d’activité physique, ou encore de dépistage. Pourquoi dès lors ne pas reconnaître la valeur ajoutée de ces initiatives qui s’inscrivent dans le cadre des priorités de santé publique ? Pourquoi empêcher, à tout prix, les AMC d’en accroître l’impact en leur refusant le droit de les pousser auprès des assurés en ayant le plus besoin, sachant que les coûts d’un déploiement à large échelle seraient prohibitifs. Ces dispositifs ne sont pas des gadgets marketing et encore moins des outils de sélection du risque mais bien de leviers complémentaires à ceux de l’assurance maladie pour diffuser cette indispensable éducation à la santé à tous les âges qui fait encore tellement défaut en France.
Utiliser les données pour freiner les abus
En matière d’efficience du système de santé, les enjeux sont énormes aussi, sachant qu’au moins 20% des actes médicaux sont redondants, inutiles ou abusifs. La réforme du 100% Santé a généré des effets d’aubaine de la part de professionnels moins attentifs, souvent au nez et à la barbe des assurés, aux conséquences réputationnelles désastreuses. Pourquoi dès lors empêcher les complémentaires d’utiliser les données à leur disposition pour freiner ces abus, en commençant par les autoriser à suspendre non pas leur remboursement mais le tiers payant sur la part de financement qui leur incombe ? Cela ne va-t-il pas dans le sens de de la responsabilité et de l’intérêt général ?
Conscients que l’atomisation de ses membres peut constituer un frein, l’Association Inter AMC permet de se doter d’outils de place et de normes communes pour fluidifier les circuits de remboursement de soins directement auprès des professionnels de santé. Le succès du tiers payant hospitalier et la mobilisation déployée pour être au rendez-vous du lancement, le 1er avril 2025, du programme de prévention bucco-dentaire, Génération sans carie, en témoignent. Ces outils partagés se révèleront tout aussi incontournables pour accompagner financièrement la prise en charge à domicile des patients suivis médicalement à distance et pour favoriser le déploiement d’équipes de soins pluriprofessionnels à leur côté.
Sur tous ces sujets, les organismes complémentaires, toujours respectueux du cadre de santé publique, montrent qu’ils sont prêts à engager un dialogue constructif avec les pouvoirs publics, l’assurance maladie ou encore les représentants des professionnels de santé et des patients afin d’adapter le système de santé aux besoins de nos concitoyens. Encore faut-il que ce dialogue ne se limite pas à vouloir faire entrer les complémentaires coûte que coûte dans un moule réglementaire. En période de disette budgétaire, les pouvoirs publics n’ont plus les moyens de se priver de la seconde jambe sur laquelle repose le financement du système de santé. Et encore moins – du moins nous l’espérons - de se priver de leur agilité à expérimenter et à innover au plus près des besoins de leurs assurés.