Christophe Lapierre : « Les mutuelles ne souhaitent pas rembourser à l’aveugle »
INTERVIEW – Christophe Lapierre, directeur du département des systèmes d’information de la Mutualité Française, explique pourquoi les organismes complémentaires souhaitent avoir accès aux codes de nomenclature détaillés, dans le cadre de la réforme du 100% santé.
Pour quelle raison l’Assurance Maladie a saisi la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ?
La réforme du 100% Santé est entrée en vigueur le premier janvier. De nouvelles règles de prise en charge par les complémentaires sont prévues, qui impactent les échanges d’informations entre l’assurance maladie et les complémentaires. La question qui a été posée à la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) est de savoir si l’assurance maladie obligatoire peut envoyer des codes de nomenclature détaillés à l’assurance maladie complémentaire via le flux Noémie.
Pouvez-vous nous expliquer la différence entre un code détaillé et un code de regroupement ?
Un code détaillé est un code produit qui décrit des caractéristiques techniques : le type de verre, l’épaisseur, la correction. Il n’y a pas de notion médicale ni de pathologie dans un code détaillé. Les codes de regroupement existent pour des raisons techniques, ils sont utilisés dans les échanges entre l’Assurance maladie et les complémentaires santé. Mais ils peuvent concerner plusieurs produits, qui doivent être remboursés différemment. Avec la réforme du 100% Santé, les complémentaires ont besoin de connaître précisément les produits à rembourser et les codes de regroupement ne sont plus suffisants. Cependant, depuis l’entrée en vigueur du Règlement européen sur la protection de données (RGPD), un code produit ou un numéro adhérent sont considérés comme des données de santé. Il est donc préférable de solliciter la Cnil sur le sujet.
Un code détaillé contient-il des données médicales ?
Non sinon les organismes complémentaires ne pourraient pas les recevoir. Quand nous avons rencontré la Cnil, nous avons insisté sur le fait que ce n’est pas parce que le RGPD qualifie un code produit de donnée de santé d’un point de vue juridique qu’il véhicule pour autant une information médicale.
Pourquoi souhaitez-vous avoir accès aux codes détaillés ?
Les organismes complémentaires souhaitent avoir connaissance de l’équipement qu’ils remboursent à un assuré, et le cas échéant pouvoir vérifier que l’équipement qu’ils remboursent est bien celui qui a été délivré à l’assuré. La réforme du 100% Santé prévoit un panier « sans reste à charge », pour des verres et des montures définies avec précision et des montants remboursés fixés par les textes.
Dans un contexte où ce panier peut entraîner une réduction de marge pour les opticiens, un système fragile serait à condamner. Les organismes complémentaires se doivent en outre de montrer qu’ils ne remboursent pas à l’aveugle.
Les organismes complémentaires ont-ils déjà accès à ces codes détaillés ?
Aujourd’hui, 80% des ventes en optique se font déjà en tiers payant et via un réseau de soins. Un opticien envoie déjà des codes détaillés quand il adhère par un réseau de soins. Les organismes complémentaires peuvent également solliciter leurs assurés pour leur demander le détail des prestations dont ils ont bénéficié. La Cnil nous a autorisé par le passé à avoir accès à ces codes détaillés dans des avis de 2008 et 2013 lorsqu’elle avait été sollicitée sur la mise en place de normes d’échanges en optique. La Commission avait considéré à l’époque que ces codes étaient peu porteurs de données médicales. La Cnil a été saisie par l’Assurance Maladie car suite à l’entrée en vigueur du 100% santé, il faudrait que la Cnam puisse envoyer aux organismes complémentaires ces informations via le flux Noémie. Au final on se pose la question de savoir si l’Assurance maladie peut transmettre une information que les complémentaires ont déjà, mais par d’autres voies !
Qu'a-t-il changé donc au 1er janvier 2020 ?
L’opticien qui est dans un réseau de soins continue à saisir, comme auparavant, les informations de prise en charge en ligne via la plateforme technique du réseau. Si l’opticien ne fait pas de tiers payant, l’assuré recevra une facture qu’il devra transmettre à la Sécurité sociale – il la transmet également à sa complémentaire en général. Enfin, l’organisme complémentaire reçoit un code de regroupement via le flux Noémie. Pas de changement de ce côté-là donc. Ce qui a changé, c’est plutôt lorsqu’un opticien qui ne fait pas partie d’un réseau veut proposer une offre 100% Santé à son client, en tiers payant.
Quand est-ce que la Cnil devrait rendre son avis ?
Pas avant mi-janvier. En attendant cet avis, les organismes complémentaires devront se contenter de codes de regroupement pour les actes qui ne transitent pas par les réseaux de soins. Même si la Cnil rend un avis favorable, la Cnam aura besoin d’au moins 18 mois de développement informatique pour adapter la nomenclature.
Les opticiens qui ne passent pas par un réseau peuvent-ils faire du tiers payant ?
Depuis le 1er janvier, les opticiens qui souhaitent pratiquer le tiers payant dans le cadre du 100% Santé peuvent passer par une des plateformes en ligne d’un réseau de soins, même s’ils ne font pas partie de ce réseau. L’opticien peut se connecter à la plateforme du réseau et faire du tiers payant sur l’offre 100% Santé, dans des conditions tarifaires fixées par les textes.
Où en est le tiers payant en dentaire ?
Aujourd’hui, le tiers payant complémentaire est largement pratiqué en optique. Pour les consultations en ville et certains spécialistes comme les kinésithérapeutes, les complémentaires ont mis en place des services en ligne communs à tous les acteurs, qui permettent de connaître les droits des assurés en temps réel, et d’obtenir en ligne une garantie de paiement de la complémentaire du patient. Certains éditeurs de logiciel médicaux ont intégré ces services en ligne pour faciliter le tiers payant (les éditeurs peuvent proposer ces services dans le cadre d’une version payante de leur outil de facturation à destination des professionnels de santé).
Dès 2020, les services en ligne de tiers payant complémentaire seront également déployés dans les hôpitaux publics grâce au projet ROC piloté par le ministère de la Santé.
La situation pour le dentaire est très différente : aujourd’hui, quasiment aucun dentiste libéral ne propose le tiers payant, aussi bien sur la partie obligatoire que complémentaire. Suite à l’entrée en vigueur du 100% Santé, l’association Inter-AMC a décidé en avril 2019 de lancer les travaux pour développer une nouvelle norme d’interrogation en ligne (la norme IDB) à destination des centres dentaires qui souhaitent mettre en place le tiers payant complémentaire. Cela prendra un peu de temps, la norme dentaire est prévue courant 2020, et ensuite il faudra que les éditeurs de logiciel s’en emparent.
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