Collectivités : Groupama s’inquiète sur la réassurance en cas d’émeutes
INTERVIEW - Delphine Létendart, directrice assurances de Groupama, revient sur les difficultés d’assurance des collectivités locales. Inquiète sur les risques sociaux, elle suggère un meilleur partage de risque avec l’État.
Comment expliquez-vous les difficultés que rencontre actuellement le marché de l’assurance des collectivités locales ?
La dégradation du résultat sur ce marché est un sujet cyclique. Selon France Assureurs, le marché des collectivités représentait 470 millions d’euros de primes en 2017 et 385 millions d’euros en 2022, soit une baisse de 18%. Pendant ces 5 ans, l’ensemble du marché de l’assurance de dommages aux biens professionnels a parallèlement augmenté de 23%.
Le marché est aujourd’hui largement sous-tarifé. En 2020, il a commencé à se retourner et certains acteurs généralistes en sont sortis dès lors que les résultats se sont avérés impossibles à équilibrer. Puis le point d’orgue est arrivé en 2022 et 2023, des années fortement sinistrées, avec beaucoup de sinistres climatiques en 2022 et les émeutes en 2023.
Comment expliquez-vous la sous-tarification sur ce marché ?
Il faut distinguer le marché des petites communes et celui des grandes collectivités. Sur le premier, qui constitue le cœur de métier de Groupama, les contrats se négocient de gré à gré entre l’assureur et la collectivité. Les petites communes ne présentent pas de difficulté particulière, sont gérés de façon traditionnelle et ne constatent pas de retrait d’assureur massif ni de problème d’assurabilité. Chez Groupama, nous couvrons 20 000 communes sur l’ensemble des 33 000. Sur les collectivités, 98% de nos clients sont des communes de moins de 10 000 habitants.
Sur le segment des grandes collectivités, en revanche, la procédure de l’appel d’offres tire les prix vers le bas et ne permet pas à l’assureur de sortir du cadre rigide fixé par le cahier des charges. C’est surtout ce segment qui est confronté à des appels d’offres infructueux.
Vous avez rencontré des problèmes de sinistralité en 2022 et 2023 ?
Nous avons collecté 120 millions d’euros de primes en 2022. Le ratio sinistres à primes (S/P) sur ce marché a été supérieur à 100% en 2022 et 2023, en raison des événements climatiques et des émeutes.
Quelles mesures avez-vous entreprises à la suite de l’augmentation de la sinistralité ?
Si les deux dernières années ont été marquées par des évènements exceptionnels, nous constatons, comme pour d’autres marchés, une tendance nette d’augmentation de la sinistralité climatique. Nous avons donc, au cas par cas, adapté nos tarifs et réévalué certains niveaux de garanties et de franchises. Nos volumes de résiliation sont restés stables et se situent autour de 1% de notre portefeuille, contre 2 à 3% pour le reste du marché. D’ailleurs, nous préconisons de créer un Observatoire de l’assurance des collectivités afin d’objectiver le phénomène. Car à date, beaucoup de chiffres circulent, mais nous ne disposons pas de données officielles qui chiffreraient le nombre de communes sans assurance.
La mission sur l’assurance des collectivités conduite par Jean-Yves Dagès et Alain Chrétien doit rendre ses résultats au printemps. Quel type de solutions soutenez-vous ? Êtes-vous favorable à l’auto-assurance ?
La responsabilisation des assurés passe bien sûr par la franchise, dont le niveau doit être adapté à la situation et aux caractéristiques de chaque collectivité. Nous avons constaté une sinistralité de fréquence sur des petits dommages, du type bris de glace, qui peuvent appeler de nombreux sinistres et pourraient rester sans difficultés à la charge de la collectivité.
Par ailleurs, nous pensons que beaucoup de problèmes proviennent de la procédure de l’appel d’offres, qui nécessiterait d’être aménagée. Il est, en particulier, indispensable de permettre aux assureurs d’accéder à des informations plus complètes sur le risque proposé dans l’appel d’offre. On ne peut pas demander aux assureurs d’y répondre sans connaissance des biens à assurer ! Nous soutenons l’idée de mener une expertise préalable sur certains points de conformité.
Puis, il est nécessaire d’assouplir la procédure de l’appel d’offres. L’allongement des délais de réponse permettrait de construire des réponses en co-assurance, comme on le fait sur le marché des entreprises. Offrir la possibilité aux assureurs de proposer des variantes au cahier de charge nous paraît également pertinent.
Pensez-vous que les collectivités sont bien couvertes sur le risque d’émeute ?
Les émeutes de 2023 ont coûté 190M d’euros au marché de l’assurance, trois fois plus que le mouvement des gilets jaunes et que les événements de 2005. L’année dernière, les réassureurs ont revu leurs conditions, réduit les couvertures et augmenté leurs tarifs. Résultat des courses, si les émeutes de 2023 se reproduisaient en 2024, Groupama assumerait seul l’intégralité de sa sinistralité. Cette situation nous semble problématique pour l’assurabilité de certaines collectivités. Un meilleur partage de risque avec l’État ne devrait-il être envisagé ?
Avez-vous d’autres propositions ?
Nous n’insisterons jamais assez sur l’importance de la prévention. Il est nécessaire d’introduire une culture du risque auprès des élus locaux et des agents territoriaux. Généraliser les formations à la gestion des risques, créer une commission assurance au sein de chaque collectivité peut s’avérer pertinent, comme cela se fait dans le monde des grandes entreprises autour de la figure du risk manager.
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