Complémentaire santé : La résiliation infra-annuelle, un épiphénomène
Un an après l’entrée en vigueur de la résiliation infra-annuelle sur les contrats de complémentaire santé, les impacts de cette nouvelle règlementation restent mineurs en comparaison au 100% santé.
Le 1er décembre 2020 entrait en vigueur la résiliation infra-annuelle sur les contrats de complémentaire santé. Depuis cette date, les assurés individuels et les entreprises peuvent résilier leur contrat à tout moment, après la première année. Les mutuelles et institutions de prévoyance ont beaucoup milité contre la RIA en santé, mettant en avant les risques de comportements opportunistes, de démutualisation et de hausse des frais d’acquisition. Qu’en est-il un an après l’entrée en vigueur de cette réforme ?
Aurélie Lavandier, directrice technique santé prévoyance individuelle chez Allianz France, annonce « une croissance de 2,6% sur le portefeuille en santé individuelle en 2021. Les sorties ont augmenté en 2021 par rapport à 2020, année atypique à cause de la crise sanitaire. La résiliation infra-annuelle représente 30% des sorties. En comptant les nouvelles affaires et les résiliations, le solde reste positif, à 13.700 contrats en 2021 ».
Quel impact sur les prix ?
Cette réforme était censée augmenter la concurrence et permettre aux assurés de changer de contrat facilement pour bénéficier de tarifs plus avantageux. Pourtant, les craintes des assureurs ont eu l’effet contraire sur les tarifs. « Il est certain que pendant la campagne de renouvellement qui a précédé l’entrée en vigueur de la réforme, celle de fin 2020, les assureurs nous ont demandé des hausses de tarif un peu plus importantes pour les contrats individuels et standards TPE, en anticipant les risques d’anti-sélection pour l’année 2021. On aurait pu craindre beaucoup de nomadisme ou des entreprises qui chercheraient exclusivement du prix et qui changeraient de contrat. A ce stade, en nombre et proportion sur les portefeuilles, on a assez peu de résiliation infra-annuelle », explique de son côté, Barbara Mayer-Ansquer, directrice santé prévoyance Paris de Mercer France. Le nombre de demandes de résiliation qui arrivent de la part du nouvel assureur pour le compte de son client sont « assez anecdotiques ».
Ludovic Cohen, directeur général adjoint d’April Santé Prévoyance, a constaté un changement de paradigme majeur sur la saisonnalité de l’activité commerciale, avec un lissage tout au long de l’année. En 2021, le courtier a enregistré « un volume dynamique des résiliations dès janvier, juste au moment du lancement de la réforme, qui s'est poursuivi jusqu'à l'été, suivie d’une baisse marquée sur la fin de l’année. Au total, le taux annuel de résiliation est équivalent aux années précédentes ». Pour sa part, Santiane.fr a enregistré un peu moins de prospects en octobre et un peu plus en novembre et en janvier.
Mercer France, en revanche, considère que 2021 a été une année relativement calme en matière de rotation de portefeuille, aux alentours de 5% alors que d’autres années, la rotation a atteint 7, 8 ou 9%. « Je me demande si les assurés individuels et les TPE/PME, n’ayant pas le couperet de fin d’année, n’ont pas reporté cette décision à plus tard, car janvier a été un mois plus dynamique que les autres », avance Barbara Mayer-Ansquer.
« Concernant l’approche commerciale, la résiliation infra-annuelle va progressivement changer le rythme commercial et l’intérêt du démarchage tout au long de l’année pour les inspecteurs et les consultants chez les courtiers. Auparavant, le rythme était ralenti sur les 6 premiers mois de l’année », affirme Barbara Mayer-Ansquer, même si « on ne change pas les habitudes des calendriers sociaux des entreprises en un an ».
Qui change de contrat ?
Parmi les gens qui font valoir leur droit à la résiliation infra-annuelle en cours d’année, les profils sont très différents : les plus jeunes arrivent par les canaux digitaux, les middle-âge découvrent le mécanisme, puis les seniors entament les démarches, souvent accompagnés par des courtiers. Ce sont ces derniers qui font valoir le plus la RIA en santé, selon Clément Janicot, directeur marketing de Santiane.fr
Risque de démutualisation ?
A ce stade, il est encore tôt pour parler de risque de démutualisation. Certains acteurs ont cependant renouvelé entre 10 et 20% de leur portefeuille. Les assureurs n’ont pas observé une hausse des comportements opportunistes de la part des assurés qui feraient jouer la résiliation infra-annuelle après des soins importants. Il faudra donc attendre encore quelques années pour tirer des conclusions sur l’impact de la RIA en santé. « Des gens qui cherchent l’optimisation financière il y en a toujours eu et la RIA n’a rien changé », indique Barbara Mayer-Ansquer.
Comment défendre son portefeuille ?
La qualité de la gestion est devenue une obsession de tous les acteurs, car dans le contexte de résiliation infra-annuelle toute source d’insatisfaction du client dans sa prise en charge peut devenir un motif de résiliation. « Comme l’assurance santé est une activité qui conduit à des contacts fréquents avec les clients, sources potentielles d’insatisfaction, cette réforme sera probablement douloureuse pour les acteurs qui au contraire de Santiane n’investissent pas énormément sur la qualité de la gestion et de l’expérience client », indique Clément Janicot, de Santiane.fr.
Pour fidéliser les clients, et de façon préventive, les distributeurs ont négocié avec les assureurs la possibilité de proposer des offres promotionnelles aux assurés qui pouvaient être tentés de partir. Ils ont par ailleurs mené des campagnes téléphoniques pour rappeler aux clients les services inclus dans le contrat.
« Nous avons mis en place un pilotage accru sur le niveau de résiliation de nos différents portefeuilles, avec un suivi hebdomadaire et une approche courtier par courtier », indique Ludovic Cohen.
Stratégies de rétention
Comme pour l’assurance dommages, le nouvel assureur peut résilier le contrat auprès de l’ancien assureur au nom de son client. « Les actions de rétention réactives une fois que le client a signé ailleurs sont inefficaces. Pour fidéliser les clients, nous nous attachons à proposer une offre de qualité, avec une position tarifaire attractive et une bonne gestion », selon Ludovic Cohen. La qualité de la gestion est devenue une obsession de tous les acteurs, car dans le contexte de résiliation infra-annuelle toute insatisfaction du client dans la prise en charge peut devenir un motif de résiliation.
Opportunité business
Les courtiers se sont mobilisés pour aller conquérir de nouveaux clients, en lançant des offres du type mois gratuit offert pour toute nouvelle adhésion. « L’accroissement de la concurrence et l’importance des comparateurs pousse à baisser les prix. Le niveau de résiliation n’a pas évolué de façon significative, mais la RIA a donné un accès facilité à des offres à meilleur prix sur les nouveaux contrats », selon Ludovic Cohen. Difficile de dire si la réforme a eu un impact direct sur les tarifs des nouveaux contrats. Certains observateurs estiment que la prime moyenne du marché a baissé tandis que les contrats n’ont pas baissé leurs tarifs.
Démarchage téléphonique
« La résiliation infra-annuelle a favorisé le développement du démarchage téléphonique qui s’était déjà développé suite à la crise sanitaire, d’autant plus que ce mode de distribution se professionnalise avec la loi sur le démarchage téléphonique qui entrera en vigueur en avril 2022 », considère Ludovic Cohen.
RIA compatible avec le précompte ?
La résiliation infra-annuelle va faire réduire la durée de vie des contrats, selon plusieurs acteurs du marché. « A date nous pouvons penser que la duration pourrait légèrement diminuer (5 ans) mais que cette réforme ne va pas déboucher sur une révolution en termes de durée de vie moyenne des contrats », indique Clément Janicot.
« Cette réforme rend la pratique du précompte encore plus dangereuse économiquement. On en avait déjà réduit le risque avec un pilotage des courtiers. Nous faisons du précompte avec des courtiers sérieux dont les contrats durent dans le temps. Cela nous oblige à suivre le taux d’annulation et le taux de chute précoce de nos courtiers comme du lait sur le feu », pointe un courtier qui préfère rester anonyme.
Finalement, la résiliation infra-annuelle a eu un faible impact sur le marché, en comparaison avec la hausse des prestations en 2021 à cause du rattrapage des soins, du 100% santé et du vieillissement de la population.
À voir aussi
Résultats 2024 T3 : Allianz revoit ses objectifs à la hausse
Allianz : Coup d'arrêt à Singapour