Crue de la Seine : Le patrimoine artistique en première ligne

lundi 9 juillet 2018
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Louvre, Quai Branly, galeries privées... Le patrimoine artistique en bord de Seine est très exposé au risque de crue centennale. Pour autant, les primes des assurances de l'art ont fortement baissé ces dernières années. Hiscox pointe un phénomène de sous-assurance et de concurrence accrue.

Les crues de la Seine de juin 2016 et de janvier 2018 ont réveillé le souvenir de la crue de 1910 et mis en évidence la forte exposition des musées et galeries situés en bord de Seine. L'impact d'une crue de la Seine sur le patrimoine artistique et culturel a été l'objet d'une table ronde organisée par Hiscox, assureur britannique spécialisé en œuvres d'art et patrimoine artistique.

Selon CCR, une crue centennale de la Seine aurait un impact financier d'entre 8 et 23Mds d'euros. « Ce n'est pas parce que c'est une crue lente que l'on pourra la prévoir. On connaît assez mal l'évolution de la nappe phréatique, ce qui fait qu'il peut y avoir des réactions en décalé par rapport aux débordements en surface », indique en introduction Magali Reghezza, maître de conférence à l'Ecole Normale Supérieure. Dans un scénario de crue lente, les musées et galeries auront 48 heures pour déclencher leur plan de sauvegarde du patrimoine. « Un grand nombre de réseaux techniques et de transport vont être fermés par précaution. A partir de 6m d'eau sous le pont d'Austerlitz le système se fragilise et à partir de 7m il n'y a plus de métro et les principaux axes routiers sont coupés », explique M. Reghezza. Un bon nombre d'institutions ont prévu des plans d'urgence ou de sauvegarde pour évacuer les collections, mais encore faut-il que le personnel puisse se rendre sur place pour mettre les œuvres à l'abri.

Le niveau d'exposition des musées est très différent en fonction de leur ancienneté. Ainsi, le Louvre ou Orsay sont beaucoup plus vulnérables que le musée du Quai Branly, construit en 2006. Hiscox, assureur d'un bon nombre de galeries privées, indique qu'« il est important d'inventorier et d'estimer tout le patrimoine, afin de pouvoir prioriser les actions à mener en cas d'inondation. L'on va privilégier les œuvres uniques aux oeuvres à caractère multiple, par exemple », indique Julie Hugues, responsable des visites de risque Art et Clientèle Privée, d'Hiscox.

Des mesures de prévention contre le risque d'inondation sont souvent imposées dans le cadre d'une assurance. Par exemple, relever les ouvres d'art de 20 cm du sol et les ranger dans des casiers étanches lorsqu'elles sont entreposées dans le sous-sol d'une galerie permet de limiter les dégâts en cas d'inondation. « Cela a permis de sauver certaines ouvres d'art, pendant les orages flash du mois de juin 2018 », assure Julie Hugues.

La fondation privée Custodia, située à côté de l'Assemblée nationale, au cœur du VIIeme arrondissement, s'est dotée d'un plan d'urgence en 2015. En cas d'inondation, l'établissement dispose de barrières amovibles permettant de limiter le passage de l'eau. Le Quai Branly a élégamment prévu un plan de sauvegarde en cas de crue de la Seine. Dans les deux établissements, des exercices d'évacuation sont régulièrement organisés pour sensibiliser les salariés. Un travail de hiérarchisation des œuvres à évacuer a également été mené.

Une fois que l'eau a atteint son plus haut niveau, le temps de la décrue sera particulièrement long. En 1910 cela a duré 7 semaines. La priorité sera de nettoyer, sécher et évaluer les dommages. La difficulté, dans ce contexte de décrue, sera de trouver de l'électricité pour les besoins de pompage et d'assèchement. « Trois semaines après la crue de 2016, il n 'y avait plus de séchoir », indique Jérémy Martineau, expert sinistres en bâtiment. « Nous serons donc confrontés à des problématiques de disponibilité et d'accès », avance-t-il. Il est donc important d'agir en amont, si possible dès la conception du bâtiment, pour minimiser l'impact du risque de crue, en choisissant des matériaux peu sensibles et nettoyables. Jérémy Martineau souligne également l'importance de la maintenance des clapets anti-retour.

Amaury Griffe, expert en restauration d'art, indique que la collaboration entre les experts du bâtiment et d'art est indispensable, car « vous pouvez abîmer des boiseries du XVIIIème siècle avec un séchage ». Les deux experts indiquent que la gestion de ce type de sinistre peut prendre environ un an, entre l'instruction du dossier, l'expertise, la réparation et l'évaluation. L'expert en œuvre d'art peut minimiser les dégâts s'il intervient dans les 24 heures après un sinistre en déplaçant les ouvres les plus abîmées aux étages supérieurs et en congelant les oeuvres en papier qui ont été trempées. En effet, une procédure de décongélation ultérieure permettra de passer de l'état solide à l'état gazeux, sans passer par l'état liquide.

Hiscox, de son côté, souligne que le déplacement des oeuvres est le principal risque. La casse accidentelle est « le principal risque de la manipulation. Cela représente des sinistres d'environ 3.000 euros en moyenne qui surviennent à 10% de notre portefeuille », selon Nicolas Kaddeche, responsable art et clientèle privée chez Hiscox Assurances. L'assureur prendra également les mesures nécessaires pour éviter le risque de vol.

Les contrats d'assurance de l'art offrent des garanties très diverses : de la valeur de remplacement à la restauration, en passant par la mise en place de franchises. Après une restaurant, l'objet sera estimé à nouveau pour constater les éventuelles dépréciations.

Hiscox constate que les risques sont sous-évalués et pas toujours bien estimés, ce qui conduit à un phénomène de sous-assurance dans le marché de l'art, avec des garanties plafond qui ne couvrent pas exactement la valeur des biens. Cette tendance à la sous-évaluation s'accompagne d'une baisse des prix des primes d'assurance des œuvres art d'environ 35-50% pendant les 2 dernières années, selon Hiscox. Cette baisse s'explique également par l'arrivée de nouveaux entrants comme Chubb, qui revient dans le marché de l'art, ou Generali. « Trop d'assureurs considèrent que le marché de l'assurance de l'art est un soft market. Les prix baisseront jusqu'au moment où une gros sinistre réveillera tout le monde », prédit Nicolas Kaddeche.

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