Degré élevé de solidarité : Des paroles aux actes
Comment s’organisent les assureurs pour gérer les fonds de solidarité imposés par certains accords de branche dans le cadre du degré élevé de solidarité ?
Deux arrêts de la Cour de Cassation du 9 octobre confirment la liberté contractuelle des partenaires sociaux pour mettre en place un système de mutualisation du financement des prestations de solidarité, dans le cadre d’un accord de branche.
Dans un premier arrêt, la Cour de Cassation a donné raison aux partenaires sociaux de la branche des entreprises de manutention ferroviaire et travaux connexes qui le 29 juin 2015 avaient mis en place une clause de recommandation, avec un système de mutualisation du financement et de la gestion de certaines prestations de solidarité. La Fédération française de l’assurance contestait la liberté contractuelle des partenaires sociaux, en l’absence de cadre législatif. En effet, le décret sur les modalités de mise en œuvre du degré élevé de solidarité a été publié début 2017, bien après la signature de cet accord.
La Cour de Cassation a débouté la FFA et a reconnu la liberté des partenaires sociaux de mutualiser le financement et la gestion d’un fonds de solidarité et notamment « son financement par un prélèvement de 2% sur les cotisations versées à l’organisme recommandé, ou un prélèvement équivalent à cette somme exigible auprès des entreprises qui n’adhèrent pas à l’organisme recommandé ».
Un autre arrêt daté du 9 octobre donne cette fois-ci raison aux partenaires de la branche des industries et du commerce de la récupération et du recyclage face à Allianz France sur les mêmes raisons.
Très peu d'organismes collecteurs désignés
Cette décision confirme donc la possibilité pour les branches de désigner un organisme collecteur pour gérer le fonds de solidarité de la branche. Malgré cette possibilité, très peu de branches ont nommé un organisme chargé de collecter les 2% auprès de chacune des entreprises de la branche assurés par des organismes non recommandés.
A part les branches du ferroviaire et du recyclage précédemment citées, celle du travail temporaire confie la gestion de son fonds de solidarité au FASTT (Fonds d’Action Sociale du Travail Temporaire). Les entreprises doivent contribuer à hauteur de 4% du montant de l’ensemble des cotisations d’assurances acquittées pour l’ensemble de ses salariés intérimaires au titre de leur régime obligatoire. Cette contribution est collectée par le gestionnaire du régime (Siaci Saint Honoré) qui la reverse ensuite au FASTT.
"En 2018, ce fonds de solidarité, doté de 3,4 millions d’euros a été utilisé à hauteur de 5,8 millions d’euros, compensant ainsi les sous-utilisations constatées sur les 2 premières années de mise en place", explique le FASTT.
Par exemple, le fonds attribue un abondement mensuel sous conditions de ressources pour réduire le coût des cotisations optionnelles des salariés intérimaires à faible revenus. Le fonds de solidarité attribue également un abondement pour la prise en charge de la totalité de la cotisation pour les salariés intérimaires en arrêt de travail de longue durée et permettre ainsi le maintien gratuit de la couverture pendant 5 mois au-delà de la mise en œuvre de la portabilité assurantielle. Enfin, le fonds intervient en direction des salariés intérimaires les plus fragiles qui se trouvent en difficulté financière pour pouvoir accéder aux soins.
Dans le cadre de la prévention des risques professionnels, cette branche a organisée une tournée pour sensibiliser les intérimaires sur les risques santé. Par ailleurs, la branche organise des événements sportifs familiaux et propose le service de téléconseil médical Médaviz. Enfin, la branche mène des campagnes de prévention sur le sommeil ou sur le bruit.
La branche a également mis en place d’un dispositif de signalement par le gestionnaire du régime de prévoyance (AG2R) de tous les salariés en arrêt de travail de plus de 30 jours pour réaliser un diagnostic des risques de désinsertion et proposer le dispositif d’accompagnement.
Les groupes de protection sociale ne souhaitent pas endosser le rôle d'organisme collecteur. Interrogés, AG2R La Mondiale et Apicil affirment que les coûts de récolte seraient très élevés. « La problématique est d’ordre opérationnel, économique et statutaire. Cela vaut-il le coup d’aller collecter 2% d’une prime moyenne de 37 euros ? », s’interroge Jérôme Bonizec, directeur des branches et partenariats de développement d’Apicil.
Dans la grande majorité des branches, les assureurs non recommandés gèrent leurs propres actions de solidarité auprès des entreprises qu’ils couvrent. Certains organismes paritaires émettent des doutes sur la réelle mise en œuvre de cette obligation. « L’employeur encourt un risque juridique en cas de non respect de la convention collective. Le degré élevé de solidarité doit être intrinsèque au régime. Je ne suis pas favorable à la distinction des montants. Cela ne rendra pas le régime de prévoyance plus solidaire », affirme David Giovannuzzi, directeur des accords de branche d’AG2R La Mondiale.
Ce groupe de protection sociale incite les partenaires sociaux à intégrer des prestations non-contributives du degré élevé de solidarité à l’intérieur du régime. Dans le cadre du programme Branchez-vous santé, AG2R La Mondiale pousse les branches à intégrer des prestations très précises sur la récidive du cancer, la prévention bucco-dentaire ou les risques psycho-sociaux des chefs d’entreprise.
Pour la branche de la boulangerie, la contribution au titre le degré élevé de solidarité atteint 12% de la prime d’assurance. Dans les branches avec co-recommandation, la négociation entre différents acteurs pour mettre en place un fonds de solidarité prend du temps, selon David Giovannuzzi. 60% des branches où AG2R La Mondiale est recommandé ont intégré des éléments de solidarité du programme "Branchez-vous santé" dans leur contrat avec AG2R La Mondiale et dans certaines branches, les prestations ont été intégrées directement dans la convention collective.
Les assureurs s’organisent pour gérer les fonds de solidarité
Certains assureurs se sont structurés pour répondre aux obligations des branches en matière de solidarité. Groupama Gan Vie collecte des fonds sociaux dans une quinzaine de branches professionnelles. Uniquement sur la branche du travail temporaire, l'assureur transfère 2% des cotisations prévoyance et 4% des cotisations santé encaissées au Fonds d'action sociale des intérimaires (FASTT). « Le transfert des fonds à un super-collecteur reste l’exception. Je ne pense pas que cette organisation va beaucoup se développer car il faut avoir des outils et des compétences dédiés », estime Guillaume Pleynet-Jésus, directeur adjoint assurances collectives de Groupama Gan Vie.
Les fonds sont utilisés pour mener des actions de prévention, pour payer la cotisation des salariés précaires ou pour réduire des restes à charge importants. « Nous respectons les orientations de la branche en matière de prévention. Sur certaines branches, nous pouvons arriver à des montants qui dépassent les 100.000 euros par an. Par exemple, sur la branche de la bijouterie, nous proposons des formations pour mieux se préparer en cas d’agression ou post traumatisme psychologique à destination des entreprises qui en font la demande. La prestation moyenne est d’environ 1.500 euros », explique Guillaume Pleynel-Jésus.
« Les fonds montent en puissance mais les budgets ne sont pas toujours dépensés rapidement. Nous avons mis en place des outils de communication de type mini-sites internet pour inciter les entreprises à nous faire des demandes. Les fonds appartiennent aux entreprises de la branche. S’ils ne sont pas consommés, ils passent en report à nouveau », détaille G. Pleynet-Jésus. La branche de la mutualité constate également un faible recours à son fonds de solidarité. Un plan de communication a été déployé à destination des entreprises et salariés de la branche pour faire connaître l’existence de ce fonds et la possibilité de le mobiliser pour des actions de prévention ou d’action sociale.
Quel avenir pour les clauses de recommandation ?
En 2015, suite à la fin des clauses de désignation, 70% des branches n’ont pas opté pour la recommandation mais pour des accords de labellisation, selon le cabinet AOPS Conseil. Le nombre de clauses de recommandation ne va pas augmenter dans les prochaines années, selon plusieurs observateurs, car les conditions imposées à l’organise recommandé sont trop contraignantes. 2020 sera une année importante en termes de négociation puisque 70 accords signés en 2015 arrivent à échéance. Bon nombre de clauses de recommandation pourraient être remplacées par des accords de labellisation de gré à gré entre la branche et plusieurs organismes assureurs.
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