Emploi des seniors : La prévention de l’usure professionnelle, mode d’emploi
Un rapport préconise l’intégration de la prévention de l’usure professionnelle dans les actions de prévention menées dans le cadre du degré élevé de solidarité.
Le rapport « Favoriser l’emploi des travailleurs expérimentés » a été remis au gouvernement le 14 janvier. Sophie Bellon, présidente du conseil d’administration de Sodexo, Olivier Mériaux, ancien directeur général de l’Anact et fondateur de Plein Sens et Jean-Manuel Soussan, directeur général adjoint en charge des ressources humaines de Bouygues Construction, y formulent 38 propositions pour favoriser l’emploi des seniors. Ils recommandent, entre autres, d’« intégrer explicitement les actions de prévention de l'usure et de la désinsertion professionnelle des salariés âgés parmi les actions de prévention finançables par le "degré élevé de solidarité" des accords de branche prévoyance/santé ».
Dans un contexte de rallongement des carrières, maintenir les seniors en emploi et en bonne santé sera essentiel dans les prochaines années. L’Association de journalistes de l’information sociale (AJIS) a organisé une table-ronde sur l’emploi des seniors. En France, le taux d’emploi des personnes d’entre 55-64 ans a progressé de 15 points en 15 ans pour atteindre 52,5% en 2019, mais il existe des différences notables en fonction des tranches d’âge. Uniquement 32% des Français d’entre 60 et 64 ans sont en activité professionnelle.
Pour Anne-Marie Guillemard, sociologue, professeur émérite à l'université Paris Descartes, c’est une « remontée en trompe-l’œil ». « La France se caractérise par une déconnexion entre âge de sortie du marché de travail et l’âge de liquidation de la retraite. L’âge de liquidation se déplace mais la sortie du marché du travail se produit deux ans avant, vers 60 ans », explique la chercheuse. Les seniors ayant quitté leur poste sont soit au chômage, soit ils bénéficient des minima sociaux, mais ils ne cotisent pas. Une de voies de sortie des salariés seniors est le licenciement pour inaptitude, ce qui pose un problème ensuite pour retrouver du travail.
« Personne ne parle de cette déconnexion. La France, en matière de prolongation de la vie active, devrait marcher sur deux jambes : politique de travail et politique de la retraite, comme l’a fait la Finlande, qui a revu sa politique d’emploi des seniors entre 2000 et 2005, avant de réformer le système de retraite. Il existe un problème du marché de travail senior parce que les seniors n’ont pas été rendus attractifs pour les entreprises », considère-t-elle.
Un des déterminants du maintien dans l’emploi est « la prévention de l’usure professionnelle, selon Marion Gilles, sociologue, chargée de mission à l'Anact. Pour les PME, le maintien des personnes seniors dans l’emploi n’est pas perçu comme un problème. Elles sont davantage préoccupées par la montée de l’absentéisme, le turn-over ou la difficulté de gérer les inaptitudes. Dans certaines entreprises il y a des départs pour inaptitude dès la quarantaine », .
« Ce qui se passe en milieu de carrière est déterminant pour la fin de carrière. Il convient donc de mettre en place des politiques de prévention qui agissent sur les conditions du travail. L’usure professionnelle est une détérioration de la santé suite à l’exposition à des contraintes élevées dans la durée », formule Marion Gilles. « La prévention de l’usure professionnelle consiste à construire des politiques de prévention pour tenter de réduire le niveau des contraintes et penser des parcours qui prévoient de retirer des contraintes », poursuit-elle.
Revoir les conditions de travail
L'Anact, agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail, a accompagné des entreprises volontaires dans les secteurs du bâtiment et de l’aide à domicile pour les aider à prévenir des cas d’usure professionnelle, en collaboration avec la Direccte et des Opco. Les questions d’organisation du travail, du management et de la formation ont été analysées.
Par exemple, Midali Frères, une entreprise de bâtiment d'Auvergne Rhône-Alpes, constatait que tous ses plombiers canalisateurs partaient de l’entreprise à partir de 45 ans pour des problématiques de santé. Après avoir analysé les conditions de travail, l’entreprise a généralisé le port de genouillères et des tenues de pluie, et mis à disposition du matériel adapté (boulonneuses et disqueuses).
"Revoir l’organisation du travail, permet, par exemple, d’anticiper l’organisation du chantier en amont et permet de réduire certaines manutentions de charges lourdes menées dans l’urgence. Réfléchir sur l’organisation, l’ergonomie et ne pas travailler toujours dans l’urgence a également une influence sur absentéisme", explique Marion Gilles.
L’Anact a également accompagné un service d’aide à la personne, qui présentait beaucoup d’absentéisme, et travaillé sur l’organisation du travail et le planning. « En un an, le taux d’absentéisme a baissé, en travaillant avec des aides à domicile, qui ont mis en place une organisation autonome. Les salariées, parce qu’elles connaissent le métier, peuvent s’organiser au mieux. Des équipes de 6 à 8 personnes décident entre elles une forme de répartition de leurs interventions. C’est un temps d’échange qui leur permet de ne pas être isolées. La question de l’absence se pose autrement dans un espace collectif. Grâce à la baisse de l’absentéisme, la collectivité locale a accordé des moyens supplémentaires à la structure », explique Marion Gilles.
Annie Jolivet cite l’exemple du groupe Seb, spécialisé dans le petit électroménager domestique, qui a stoppé les pré-retraites, travaillé sur la santé au travail et placé des ergonomes au milieu des ingénieurs afin de prévenir les postures difficiles. Cela a conduit à une baisse de l’absentéisme. Le maintien des seniors n’a pas eu de surcoût pour l’entreprise car l’absentéisme de l’entreprise a diminué.
Culture de la sortie précoce
Anne-Marie Guillemard pointe du doigt « la culture française de la sortie précoce » du marché du travail. La France a été en effet un des pays d’Europe a faire le plus de pré-retraite depuis 30 ans « et cela marque les esprits », considère-t-elle.
Pour supprimer cette culture de la sortie précoce, elle propose d’agir sur la manière dont les travailleurs âgés sont perçus, en agissant pour prévenir l’obsolescence des compétences et de l’usure au travail. En Finlande, des instruments d’évaluation pour les entreprises ont permis de montrer que l’intégration des seniors pouvait amener un retour sur investissement en matière de productivité. « En France, le vieillissement est perçu comme un coût alors que la longévité ce sont également des opportunités nouvelles », considère la sociologue.
Annie Jolivet, économiste du travail, chercheuse au Centre d'études de l'emploi et du travail du Cnam, explique que jusqu’en 2000, la pré-retraite et la sortie anticipée étaient des dispositifs très généralisés. « A partir de 2000, nous avons réussi à faire baisser les pré-retraites et à partir de 2012, à supprimer définitivement la dispense de recherche d’emploi. Aujourd’hui, il n’y a plus de dispositifs de pré-retraite. En revanche, dans les grandes entreprises, il y a encore plusieurs modes de sortie : le congé de fin de carrière (1 an), le passage à mi-temps, le mécénat de compétences avec bonus fiscal... », détaille-t-elle.
Depuis 2004, il est possible de partir en retraite anticipée à partir de 60 ans, mais « ce n’est pas la même chose que la pré-retraite car il y a un glissement des âges, explique Annie Jolivet. En France, on pense qu’il suffit de repousser l’âge d’ouverture des droits et que cela va suivre. On dégrade la situation des retraités, pour avoir un effet indirect sur les employeurs en espérant que les gens resteront en emploi plus longtemps », dénonce-t-elle.
Plutôt que de prendre des mesures coercitives pour les salariés, les intervenantes préconisent des mécanismes incitatifs pour prolonger l’activité. Elles demandent aussi de revoir les dispositifs de formation pour les rendre plus attractifs et en adéquation avec le travail effectué.
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