Florence Lustman : "Les travaux du HCAAM ont perdu leur crédibilité"
INTERVIEW – Florence Lustman, présidente de la Fédération Française de l’Assurance (FFA), estime que la Grande Sécu ne coûterait pas 22,4Mds d’euros aux finances publiques comme l’estime le HCAAM mais bien plus car de nombreux manques à gagner ont été sous-évalués.
Que pensez-vous de l’impact financier de la Grande Sécu que contient la dernière version du rapport du HCAAM ?
Tout d’abord, il y a un problème de méthode. Nous avons appris ces estimations par voie de presse, avant que le HCAAM ne les partage avec ses membres. Nous pensons que cette fuite est une manœuvre pour court-circuiter le débat entre toutes les parties prenantes.
Les représentants des assureurs sont-ils les seuls à contester ce scénario de Grande Sécu au sein du HCAAM ?
Loin de là. A quelques exceptions près, le scénario de Grande Sécu ne convainc pas les membres du HCAAM. Pour l’instant, les représentants des organismes complémentaires se sont opposés publiquement au scénario de Grande Sécu : nous attendons que les autres acteurs du système de santé qui n’y sont pas favorables prennent part au débat public même s’ils ne l’affirment pas publiquement.
Le HCAAM estime que la Grande Sécu coûterait 22,4Mds d’euros aux finances publiques et permettrait même de dégager 5,4Mds d’euros d’économies au titre des frais de gestion des organismes complémentaires. La FFA, dans son livre blanc, évoquait plutôt 39Mds d’euros de surcoût. Contestez-vous les calculs du Haut conseil ?
Nous pensons que le surcoût de 22,4Mds d’euros a été largement sous-évalué. Dans son scénario de Grande Sécu, le HCAAM considère que les organismes complémentaires pourront préserver 30% de leur activité. Ils continueront à rembourser la chambre particulière à l’hôpital, les dépassements d’honoraires en ville, les médecines douces et l’optique, le dentaire et l’audition au-delà du panier 100% santé.
Cette répartition à hauteur de 70% pour la Sécu et 30% pour les complémentaires correspond à une hypothèse forte du rapport HCAAM. Nous pensons que l’activité des complémentaires sera davantage réduite. Pour l’activité des complémentaires, il y a deux conséquences possibles : soit l’offre disparaît, soit elle renaît mais dans un équilibre technique qui sera nécessairement très différent, vraisemblablement à un coût plus élevé et on se retrouvera dans le système à deux vitesses.
Concernant les aspect fiscaux et sociaux, le rapport du HCAAM estime le coût fiscal à 3,6 Mds€ par an extrapolant la baisse de l’activité sur la seule taxe de solidarité additionnelle (TSA). Plusieurs autres effets fiscaux ont été omis par le rapport.
Notamment la moindre CSG-CRDS et la baisse de l’impôt sur le revenu ont largement été sous-estimées. Elles proviennent pourtant mécaniquement, dans le cadre des contrats d’entreprise, du surplus de contributions versées par les employeurs par rapport à celles des salariés. Il y a aussi les baisses d’impôts et de taxes (IS, Taxe sur les salaires, TVA rémanente…) afférentes aux mutuelles, puisque leur l’activité serait amputée de 70%, qui n’ont pas été du tout prises en compte. Enfin, la contribution au médecin traitant a également été complètement omise.
Au total, ces omissions représentent une sous-évaluation de plus de 50% de l’impact du scénario « Grande Sécu » sur les recettes publiques.
Pensez-vous que la dimension sociale de la réforme a été bien évaluée ?
Quel secteur d’activité pourrait supporter une contraction de 70% de son activité et se taire ? Dans son rapport, le HCAAM ne prend en compte aucun impact économique ni social en lien avec la contraction d’activité. Quid des 70 000 à 100 000 emplois impactés sur le secteur ?
Par ailleurs, le HCAAM n’envisage pas de frais d’expropriation pour les organismes complémentaires. Or, si les assureurs sont privés d’un pan important de leur activité, il est légitime de demander une compensation financière au titre de la perte de valeur de leur entreprise. Si le tracé d’une autoroute traverse votre maison et que vous devez déménager, vous êtes forcément dédommagé par l’État.
Quelle est votre stratégie pour combattre ce scénario ?
La Grande Sécu serait la fin de la médecine libérale et conduirait vers un système de santé à deux vitesses comme au Royaume-Uni. Nous pensons que le débat est idéologique et initié par le ministère de la Santé. Qu’attendent vraiment les Français ? Qu’on s’occupe de leur santé et que l’on règle le problème des inégalités dans l’accès aux soins et des déserts médicaux. En cette période pré-électorale il est tentant de tester des idées politiques fortes auprès de l’opinion publique. Moi je pense que les Français sont attachés à leur complémentaire santé qui apporte de la flexibilité et de la personnalisation. Nous voulons défendre le modèle français et espérons que les candidats à la présidentielle écouteront les Français.
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