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Frédéric Durot : "C’est la première crise d’ampleur sous Solvabilité 2"

jeudi 26 novembre 2020
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INTERVIEW - Frédéric Durot, directeur technique P&C chez Siaci Saint Honoré, fait le point sur la situation tarifaire du marché des grands risques en cette période de renouvellements. Pour News Assurances Pro, il revient surtout sur les impacts de la crise sanitaire. 

Comment expliquez-vous la situation tarifaire actuelle sur le marché des grands risques ?

Depuis 2018 et l’impact des tempêtes Harvey, Irma et Maria survenues au troisième trimestre de 2017, nous sommes dans un marché qui n’a cessé de se durcir. D’abord les assureurs ont majoré les affaires sinistrées et/ou présentant des risques particulièrement lourds avant d’appliquer depuis l’année dernière des majorations globales, l’exercice 2020 atteignant le paroxysme. Certains assureurs souhaitent également rectifier les déviations tarifaires concédées au fur et à mesure de 14 années successives de marché « soft ».

Les mauvais résultats des principaux assureurs grands risques de la place cumulés aux conséquences de la crise du Covid ont affecté les résultats et les bilans et ont généré des réorganisations (Axa XL, AGCS). En conséquence, les renouvellements de janvier 2021 ont atteint un nouveau palier, avec d’une part de nouvelles majorations et hausses de franchises et d’autre part une remédiation des wordings des contrats pour exclure les risques sanitaires mais aussi toutes les autres causes d’expositions systémiques (comme le cyber dans certaines polices dommages par exemple). Les assureurs ne veulent plus être vulnérables par des interprétations de leurs garanties.

Quelles sont les conséquences concrètes sur le marché ?

Aujourd’hui les assureurs ont une crainte renforcée de la volatilité. Ils ont peur de s’exposer ! c’est un phénomène inédit. Post-11 septembre, les assureurs avaient redressé les termes et conditions de façon spectaculaire, revu les textes de garanties dans des proportions au moins aussi importantes qu’aujourd’hui. Mais, ils avaient conservé les mêmes parts de coassurance au sein des programmes. Désormais, ce n’est plus le cas. Les parts en apérition se sont réduites à 30/35% (vs 50% auparavant). On assiste ainsi à une crise de l’offre alors que le marché reste en théorie surcapacitaire. En conséquence, cela nous oblige à aller chercher de nouvelles parts de coassurance.

Qu’est-ce qui explique cette situation ?

Les assureurs qui ont passé des années à baisser les prix pour prendre des parts de marché ne peuvent plus se permettre de perdre de l’argent. Surtout, c’est la première crise d’ampleur qui survient dans un environnement Solvabilité 2. C’est la première fois que les assureurs évoluent dans un marché dur avec un capital requirement plus important, notamment sur les expositions par évènement, alors que dans le même temps les ratios combinés sont impactés…

L’environnement Solvabilité 2 a également renforcé la mise en place de process plus sévères dans les politiques de souscription. Alors que les souscripteurs ont eu pendant des années le pouvoir de décision pour monter sur des risques d’ampleur, désormais les compagnies répondent à des organisations matricielles, avec davantage de « referals" et d’implication des directeurs dans les prises de décisions. C’est le facteur X de la situation actuelle.

Dans ce contexte, placer des affaires devient de plus en plus complexe, notamment dans les programmes de coassurance où il est désormais nécessaire d’ouvrir le débat des placements différenciés. De plus, nous observons une diminution des appels d’offres (servicing et conceptuel) à mesure que les prix augmentent. De même, certains risk-managers, sous la pression de leur direction financière dans cette période économique contrainte, peuvent être tentés de lancer des ordres de remplacement pour rester en position de force.

Comment s’adaptent les courtiers ?

Les courtiers sont eux aussi soumis à des problématiques de rentabilité et ne peuvent plus se permettre de rogner sur leurs marges. Désormais, il faut choisir ses matchs ! Le processus de « Go, No Go » est donc plus que jamais crucial, avec une discipline de souscription renforcée. Les cahiers des charges des appels d’offres sont eux aussi scrutés à la loupe. Si nous considérons qu’un client remet en jeu son programme avec des conditions à contre-courant du marché uniquement pour faire baisser le montant de sa prime, nous ne donnons pas suite. On revient finalement aux fondamentaux du métier.

Comment anticipez-vous les prochains mois ?

In fine, même si le courtage souffre opérationnellement, il résiste économiquement durant cette crise, non pas tant parce que les majorations tarifaires des assureurs permettent une hausse des commissions que du fait que le rôle du courtier n’a jamais été aussi stratégique pour optimiser les conditions de transfert du risque au marché. Nous sommes plutôt inquiets pour les prochains mois avec un risque d’attrition de la matière assurable, d’une part à cause de l’impact du Covid sur le PIB et d’autre part par la fermeture des entreprises. Dans ce contexte, certains courtiers vont avoir besoin de grossir ou de se recomposer et chaque crise amène son lot de M&A. Nous devons donc nous tenir prêts, à l’écoute.

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