Grande Sécu : Doit-on s’inspirer du régime local d’Alsace-Moselle ?

mardi 23 novembre 2021
Image de Grande Sécu : Doit-on s’inspirer du régime local d’Alsace-Moselle ?

Patrick Heidmann, président du régime local d’assurance maladie Alsace-Moselle, considère que le financement, la gestion et la gouvernance du régime local peuvent inspirer La Grande Sécu.

La présence allemande dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle dans le XIXème siècle a laissé comme héritage un régime d’assurance maladie local avec un fort niveau de solidarité. Lors de la création de la Sécurité sociale, les alsaciens et mosellans se sont mobilisés pour conserver leur régime particulier. L’idée des législateurs était de préserver ce régime local de façon provisoire, jusqu’à ce que le régime général s’aligne sur le même niveau de remboursement.

102 ans après sa création, le régime local existe encore et bénéficie à 2,1 millions de personnes, soit 1,6 million d’assurés et 536.000 d'ayants-droits. Il intervient en complément du régime général d’assurance maladie, pour couvrir les soins en ville, à l’hôpital et les médicaments. Un alsacien bénéficie d’un remboursement à 90% sur les soins de ville (70% pris en charge par le régime général et 20% par le régime local) et de 100% des soins hospitaliers, y compris le forfait hospitalier. En revanche, le régime local ne rembourse pas les dépassements d’honoraires qui sont laissés à la charge de la complémentaire santé et de l’assuré.

En 2020, le régime local a versé 462 millions d’euros de prestations, en baisse de 5% par rapport à 2019. Cela représente 214 euros par personne. Au niveau des cotisations, elles s’élèvent à 505 millions d’euros, en baisse de 3,3% en 2020.

Vers une baisse du taux de cotisation

Le régime local est financé par une cotisation sur l’intégralité du salaire ou des revenus de remplacement des salariés, chômeurs et retraités, sans participation patronale. Ce mode de tarification exprimé en pourcentage sur salaire intègre une forte solidarité inter-professionnelle et inter-générationnelle et contraste avec le mode de tarification à l’âge pratiqué par les organismes complémentaires.

Depuis 2012, le taux de cotisation du régime local est d’1,5% sur les revenus déplafonnés. Le 16 décembre prochain, le conseil d’administration du régime local, composé exclusivement d’organisation syndicales représentatives des salariés, devrait voter une baisse de ce taux de cotisation, selon son président Patrick Heidmann. « C'est le conseil d'administration qui décidera du nouveau taux. A partir de janvier 2022, nous allons également couvrir les enfants à charge jusqu’à leur 24ème anniversaire sans aucun coût supplémentaire car nous pensons qu’il faut aller au-delà des prestations que nous couvrons aujourd’hui », annonce Patrick Heidmann, président du régime local d’assurance maladie Alsace-Moselle.

9 mois de prestations en réserve

Cette décision de baisser le taux de cotisation, inédite depuis 10 ans, s’explique parce que le régime a accumulé des réserves équivalentes à 9 mois de prestations et le budget prévisionnel fait apparaître à nouveau un excédent pour 2022. « Cet excédent s’explique par des effets conjoncturels comme la baisse des soins de ville suite à la crise sanitaire ou la décision de l’Assurance Maladie de prendre en charge certaines dépenses à 100%, ainsi que par des effets structurels comme la hausse des patients en affection de longue durée pris en charge par le régime général ou le changement des modalités de tarification hospitalière qui n’est plus forfaitaire mais calculée en fonction des frais réels, ce qui a provoqué une baisse des prestations hospitalières du régime local », indique Anne-Céline Freiss, directrice adjointe du régime local.

Hors dépassement d'honoraires

Comment se fait-il que le niveau de cotisations des organismes complémentaires augmente tous les ans alors que celui du régime local s’apprête à baisser ? « Le régime local n’intervient pas sur les dépassements d’honoraires ni sur les actes du 100% santé. Nous avions demandé aux pouvoirs publics de nous donner les compétences du 100% santé mais ils ont refusé. De leur côté, les ocam ont connu une forte évolution de la TSA et été confrontés à des difficultés d’encaissement. Nous, au contraire, ces dernières années, on a vu nos ressources augmenter du fait de l’évolution de la masse salariale et des salaires », explique Patrick Heidmann.

Le régime local consacre 0,5% de ses recettes à des actions de prévention, soit 2,4 millions d’euros par an. En 2020, cela a permis de fournir deux masques à chaque bénéficiaire (1,4 million d’euros), d’investir dans un outil de prédiction de l’évolution de l’épidémie (450.000 euros) et de prendre en charge par exemple le sport sur ordonnance.

Reste à savoir si le régime local, qui bénéficie aujourd’hui uniquement aux salariés du privé, aux retraités et aux chômeurs, sera un jour élargi aux fonctionnaires. La réforme sur la protection sociale complémentaire des agents publics pourrait faire évoluer cette situation.

Une source d’inspiration pour La Grande Sécu

« Le régime local est un outil d’analyse qui permettrait de mettre en place une Sécurité sociale élargie. Il reste à savoir quel sera le nouveau périmètre de la Sécurité sociale, ses moyens d’action et sa gouvernance. La question de la pérennité du régime local dans un contexte de Grande Sécu se pose aussi. Nous sommes dans l’attente », commente Patrick Heidmann, également membre de la CGT.

Le régime local pourrait être une source d’inspiration, notamment sa lisibilité, son financement et sa gouvernance, pour élargir le périmètre de la Sécurité sociale. Au sein des différents organismes de Sécurité sociale, le conseil d’administration a un rôle uniquement consultatif. Le CA du régime local, en revanche, décide des recettes et des dépenses. Le régime n’est pas financé par l’impôt mais par les cotisations, toujours en fonction du niveau de salaire, d'allocation chômage ou de pension, ce qui permet d’intégrer une vraie solidarité : les retraités et chômeurs qui bénéficient d’une exonération de la CSG CRDS ne paient pas de cotisations mais bénéficient des prestations. Un retraité sur 5 est donc exonéré de cotisations. Ce mode de financement en pourcentage sur salaire permettrait de rendre plus abordable la couverture santé des retraités avec une faible niveau de pension.

Quelle place pour les ocam ?

Malgré cette prise en charge élargie des frais de santé par les régimes général et local, « les alsaciens et mosellans continuent à souscrire une complémentaire santé pour couvrir les dépassements d’honoraires et les dépenses dentaires, optiques et auditives au-delà du 100% santé », selon Patrick Heidmann.

Cependant, l’existence du régime local provoque une baisse du périmètre d’intervention des ocam et du coût de la complémentaire santé dans les trois départements. « Je suis convaincu que si la Grande Sécu voit le jour, les complémentaires ne vont pas disparaître car il y a plein de domaines comme la prévention ou la perte d’autonomie qu’elles pourront investir. En revanche, les organismes complémentaires ont un coût qui demain ne pourra pas être supporté par une partie de la population. Par exemple, 120 euros de cotisation mensuelle pour une personne au minimum vieillesse ce n’est pas supportable dans la durée », signale Patrick Heidmann, qui a travaillé pendant 44 ans chez AG2R La Mondiale.

1% de frais de gestion

Dernière question mais pas des moindres, celle les frais de gestion. Le régime local qui embauche 7 collaborateurs affiche un honorable taux de 1% de frais de gestion. En effet, il n’a pas de frais de publicité ni de portabilité des droits car c’est un régime obligatoire adossé aux caisses du régime général. La Carsat d’Alsace-Moselle est chargée de prélever les cotisations des retraités et les Urssaf, celles des salariés. Les caisses primaires d’assurance maladie sont chargés de calculer et payer les prestations et d’affilier les ayants-droits. « Nous versons une contribution à la Carsat et l’Assurance maladiep our service rendu au titre du recouvrement, du calcul des prestations et de l’affiliation des ressortissants. Cette contribution est comprise dans les 1% de frais de gestion », se vante Patrick Heidmann.

Contenus suggérés