Lionel Corre : "Il va falloir inventer un nouveau système"

mercredi 27 mai 2020
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INTERVIEW – Lionel Corre est sous-directeur assurances à la direction générale du Trésor. Pour News Assurances Pro, il évoque les travaux en cours sur le futur régime pandémie et détaille l'impact de la crise actuelle sur les projets réglementaires en cours dans l'assurance.

Quelles sont les pistes explorées par le groupe de travail sur la couverture des risques sanitaires ?

Le groupe de travail a été constitué pour étudier, sous tous les angles possibles, le sujet de la couverture des entreprises pour les pertes d’exploitation liées à une situation telle que nous la connaissons aujourd’hui. Il s’agit de se poser toutes les questions ; nous n’excluons aucune piste à ce stade. Le groupe réunit des personnalités de divers horizons : des assureurs et des réassureurs évidemment, mais également des parlementaires qui travaillent sur ces sujets, et des représentants des entreprises. Car ce sont elles qui auront recourt au futur dispositif.

Certains plaident pour la mise en place d'un régime calqué sur celui des catastrophes naturelles. Allons-nous vers un régime cat' san' ?

Il n'existe pas de solution évidente. Le régime des catastrophes naturelles, par exemple, est un excellent système pour faire face au risque naturel, mais il n’a aucune raison d’être adapté au nouveau risque que l’on entend couvrir. Puisqu’il ne s’agit pas de couvrir des dommages causés par un agent naturel, et sur lequel on a un continuum d’événements de toutes intensités et fréquences et beaucoup de données.

Il est question d’une compensation financière pour une perte d’activité liée aux conséquences d’une décision administrative destinée à protéger les populations. Qui peut être liée à une crise sanitaire comme nous la connaissons, mais cela pourrait, pourquoi pas, inclure des décisions prises lors d’autres événements, comme les mouvements populaires que nous avons pu connaître, ou comme l'éruption du volcan islandais en 2010.

Par ailleurs, le lien de cause à effet entre la décision et la perte d’activité n’est pas toujours direct : c’est le cas pour les restaurants et commerces fermés par décision administrative, mais ce n’est par exemple pas le cas pour les hôtels, qui ont subi la conséquence indirecte des restrictions de déplacements, de trafic aérien et des fermetures de commerces.

Sous quelle forme ce dispositif couvrira-t-il les entreprises ?

La première étape consiste à définir très précisément le péril couvert : pandémie ou plus large. Ensuite, plusieurs options sont possibles. Tout d'abord la voie indemnitaire, c'est-à-dire la couverture de la marge brute des entreprises touchées. Cela représente des sommes considérables si l'on prend la crise actuelle. En France, une année de marge brute des entreprises, c'est au total l'équivalent de près de 2000 milliards d'euros, cela donne un ordre de grandeur des sommes en jeu. L'autre option prend la forme d'une compensation qui n'est pas aussi complète que l'indemnisation totale, mais dont le niveau et les modalités sont à inventer.

Comment financer un tel dispositif ?

Cette question en soulève plusieurs. La première est celle de la répartition entre les acteurs : l’Etat, qui interviendrait pour compenser le caractère « inassurable » d’un risque non modélisable ; les assureurs et réassureurs privés, qui porteraient une part du risque ; et les entreprises elles-mêmes, qui continueraient à porter une part du risque et contribueraient à la prévention de certaines conséquences. Ensuite, se pose la question du caractère plus ou moins obligatoire de la couverture.

S’il paraît difficile d’envisager une obligation d’assurance, on peut envisager une extension obligatoire d’un contrat existant, mais aucune piste ne s’impose naturellement. Plus la couverture sera diffusée, moins son coût sera élevé en principe, mais faut-il l’imposer pour autant ?

D'autres pays ont-ils également lancé des réflexions sur la couverture des risques sanitaires ?

Il existe des contrats privés intéressants à l'étranger que nous regardons de près, mais pas de dispositif qui semble se rapprocher de ce que nous cherchons à faire. Le seul autre pays dans lequel nous avons constaté des débats vifs sur les pertes d’exploitation est les États-Unis, où des réflexions sont aussi en cours pour développer une couverture. Mais les débats semblent loin d’une conclusion, comme en France. Il va donc falloir inventer un nouveau système.

Quel est le calendrier pour la mise en œuvre de ce futur dispositif ?

Le groupe de travail a été constitué en avril et doit rendre ses travaux au gouvernement au début du mois de juin. Ce dernier décidera des pistes sur lesquelles mener une consultation large, en vue d’arrêter au cours de l’été un schéma à présenter aux parlementaires, et qui pourrait être débattu au Parlement avant la fin de l’année.

Avant cette crise plusieurs dossiers réglementaires étaient sur les rails, notamment celui de l'autorégulation du courtage. Où êtes-vous sur ce sujet ?

A l'aune de cette crise, nous mesurons combien il est important d’avoir des structures pour accompagner les courtiers. Les courtiers sont très majoritairement des TPE et ils sont impactés comme beaucoup d’autres petites entreprises. Et les conséquences devraient se prolonger dans les prochains mois. Nous sommes donc déterminés à mener à bien cette réforme avant la fin de la mandature.

La réforme du régime des catastrophes naturelles verra-t-elle le jour ?

L'une des préoccupations majeures du gouvernement au sortir de cette crise est la résilience de notre économie, et l'adaptation au changement climatique est à cet égard clé. La relance économique sera une réelle opportunité pour l'investissement durable. Dans ce cadre, la consolidation de notre régime d'indemnisation des catastrophes naturelles demeure une priorité, tout en prenant le soin d'éviter la confusion avec la mise en place d'un dispositif visant à couvrir les conséquences des pandémies.

Cette crise a mis Solvabilité 2 à l'épreuve. Restez-vous convaincu qu'il faut réviser la directive en profondeur ?

Les assureurs ont résisté jusqu’à présent, mais la crise n’est pas terminée. Elle a en tout cas déjà permis de mesurer des points de faiblesse du modèle Solvabilité 2 que nous dénonçons depuis plusieurs années : sa volatilité et sa procyclicité. Lorsque la bourse est en forte baisse, comme au début de la crise, les investisseurs institutionnels que sont les assureurs sont incités à vendre leurs actions pour soutenir leur ratio, alors qu'ils devraient plutôt renforcer leurs positions.

C’est évidemment contraire à l’intérêt des assurés et épargnants en assurance-vie, mais c’est aussi un vrai problème pour notre économie et notre système financier. Nous tenons donc à ce que la revue de Solvabilité 2 prenne le moins de retard possible car cette correction du modèle est une urgence.

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