LPS : Après la construction, les risques statutaires sous surveillance
DÉCRYPTAGE - Largement pointées du doigt dans la récente crise de l'assurance construction, les assureurs en LPS (libre prestation de services) font désormais l'objet d'une surveillance accrue sur les risques statutaires. Entre difficultés de capitalisation et problématiques d'agrément, certains opérateurs étrangers inquiètent l'ACPR.
Les récents déboires de plusieurs compagnies d'assurance opérant en LPS sur le marché français de l'assurance construction, le néozélandais CBL en tête, ont mis en exergue de nouvelles inquiétudes, cette fois autour de la couverture des risques statutaires (garanties décès, accident et maladie du personnel des collectivités territoriales).
Très actifs sur ce segment, notamment via les procédures d'appels d’offre marché publics, plusieurs acteurs LPS ont réussi à prendre, comme en assurance construction, des parts de marché importantes aux côtés des acteurs traditionnels comme le courtier Sofaxis ou l'assureur CNP Assurances. « Depuis quelques années, nous voyons arriver sur les risques statutaires des assureurs exotiques qui, par l’intermédiaire de courtiers, se positionnent à des tarifs défiant toute concurrence », indique jean-Luc de Boissieu, président du conseil d'administration de Smacl Assurances, spécialiste de la couverture des collectivités territoriales.
"Les ardoises" de CBL
Sous pression, notamment à cause de la hausse de l'absentéisme, des arrêts de travail ou du vieillissement de la population des agents territoriaux, le marché annuel des risques statutaires, aujourd'hui estimé entre 500 et 600M d’euros de primes, fait la part belle à de nouveaux entrants. Ainsi, depuis plusieurs exercices, des dizaines de communautés de communes ou de collectivités territoriales se sont par exemple tournées vers CBL Insurance Europe comme porteur de risques (Cœur d’Essonne Agglomération, Avallon Vézelay Morvan, Picardie Verte, Clermont-Ferrand, Forbach, Dax, Sannois, Dammarie-les-Lys, Mitry-Mory, etc), toutes par l'intermédiaire du cabinet de courtage Pilliot. Selon nos informations, le néozélandais CBL (notamment via sa filiale irlandaise CBL Insurance Europe) aurait réussi à engranger plusieurs dizaines de millions d'euros de primes sur le marché tricolore des risques statutaires entre 2017 et son placement en liquidation. « Aujourd'hui, de nombreuses collectivités se retrouvent sans assureur alors même qu'elles sont en attente d'indemnisations de la part de CBL qui va laisser derrière lui un grand nombre d'ardoises », s’inquiète Jean-Luc de Boissieu.
En parallèle, d'autres acteurs utilisant le passeport européen ont réussi à se faire une place sur ce marché. C'est le cas de l'américain AmTrust, qui, via sa filiale AmTrust International (établie en Irlande) a réussi à couvrir les risques statutaires des villes de Chenôve, Montélimar, Fourchambault. Toujours selon nos informations, AmTrust aurait engrangé en France plusieurs dizaines de millions d'euros de primes sur ce segment. Enfin, des villes comme Senlis ou Lisieux ont, elles, fait le choix de l'assureur MIC (établi à Gibraltar).
« Dans l'Hexagone, MIC a donné une délégation de tarification (validée ensuite par la compagnie avant souscription) au courtier Aster - filiale dédiée du groupe France Courtage - et réalise sur cette activité environ 8M d'euros de primes pour une cinquantaine d'affaires nouvelles chaque année », indique Yoann Chery, président du Groupe Leader Insurance, l'agence de souscription de MIC (Millenium Insurance Company) en France.
Les agréments en question
Choix des acteurs mis à part, nombre d'éléments inquiètent par ailleurs assureurs traditionnels et autorités. « Plusieurs assureurs LPS sont arrivés sur le marché alors qu'ils n'avaient pas les mêmes agréments que ceux demandés en France pour couvrir les risques statutaires. J'ai saisi l'ACPR pour que chacun puisse exercer dans le même cadre réglementaire », poursuit Jean-Luc de Boissieu. Pour opérer sur ce segment, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution demande que chaque opérateur soit agréé en branche 1 (Accidents), en branche 2 (Maladie) et en branche 20 (Vie Décès). « CBL n'était pas agréé en branche 20 mais en branche 16 (Pertes pécuniaires diverses) », indique le dirigeant de la Smacl Assurances.
Devant ces difficultés, l'ACPR a à son tour saisi l'Eiopa en juin 2017 pour une médiation auprès des régulateurs d’Irlande, de Belgique et de Gibraltar. Le 29 juin 2018, l'autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles a finalement rendu une opinion confirmant que la couverture de risques statutaires requiert des agréments en branches 1 et 2 (accident et maladie) ainsi que, si le risque couvert inclut des risques décès, en branche vie. « Cette opinion s’applique également pour les offres de couverture sur des 'risques statutaires' émises par des organismes opérant en France dans le cadre de la liberté d’établissement ou de la libre prestation de service, dont l’agrément relève de l’autorité compétente de l’État membre d’origine », indique l'ACPR sur son site internet.
Toutefois, l’opinion d’Eiopa précise que la position retenue n’est applicable qu’aux nouveaux agréments, les autorités de chaque pays étant encouragées à coopérer pour s’assurer que les porteurs de risques concernés disposent de suffisamment d’expertise sur les précédents agréments.
Capitalisation et appels d'offres
Car au-delà des agréments, c'est encore une fois la solidité financière de certaines compagnies étrangères et leur politique en matière de capitalisation qui inquiètent jusqu'au gendarme de l'assurance. « Même si ces assureurs obtiennent les bons agréments, leur niveau de capitalisation sur ces risques doit être suffisant. Sur ce sujet, un acteur d'origine américaine nous met particulièrement mal à l'aise », indique un responsable de l'ACPR sous couvert d'anonymat. En effet, en cas de maladie longue durée, d'accident du travail ou de décès d'un agent par exemple, les indemnisations versées par les assureurs peuvent s'étaler sur plusieurs années, les obligeant ainsi à se constituer des provisions importantes, au même titre qu'en assurance construction.
« Le risque statutaire est très mobilisateur de fonds propres et implique, comme en assurance construction, un provisionnement conséquent. MIC étant en plein processus d'augmentation de SCR, il n'y a donc pas de volonté de nous développer davantage sur ce marché. Nous ne ciblons que les communes ayant entre 30 et 300 agents territoriaux et nous refusons par exemple d'assurer les agents de collecte de déchets, les personnels hospitaliers, les forces de l'ordre ou les agents des services départementaux », indique de son côté Yoann Chery.
Alors que la chute de CBL pourrait impacter plusieurs centaines de collectivités territoriales ou communautés de communes sur le marché tricolore, la question des critères de choix dans les appels d’offre des marchés publics se pose en filigrane, avec la difficulté pour certaines villes de refuser des offres tarifées au plus bas, sans prendre en compte la solvabilité financière et la pérennité des assureurs.
« La plupart des marchés étant attribués via des procédures d'appels d'offres, cela entraîne un dumping tarifaire et permet à certains acteurs de prendre des parts de marché. De plus, le fait d'opérer en LPS sur ce segment est souvent un obstacle, notamment à causes des récents problèmes du marché de la construction. Résultat, de nombreuses communes se tournent aujourd'hui vers des acteurs traditionnels franco-français », tempère Yoann Chery.
Ainsi, dans son dernier appel d'offres pour la couverture d'assurance des risques statutaires 2017-2020, le conseil municipal de Vendargues (Montpellier Méditerranéenne Métropole) a par exemple refusé l'offre CBL / Pilliot, alors mieux-disante, au motif que l'offre était irrégulière « dans la mesure où la compagnie, basée en lrlande, ne dispose pas de l'agrément pour intervenir en libre prestation de service (LPS) en France pour couvrir les risques statutaires des employeurs publics ». Par conséquent la commune s'est finalement tourné vers Axa Vie via Gras Savoye Méditerranée.
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