Lutte contre la fraude : L’Assurance Maladie s’attaque aux audioprothèses
INFOGRAPHIE - Depuis le début de l’année, l'Assurance maladie estime le préjudice sur la fraude aux audioprothèses à 8,3M d’euros en Seine-Saint-Denis. La Cnam renforce les contrôles avant remboursement partout en Île-de-France pour stopper l’hémorragie.
Qui dit nouvelle réforme avec des équipements sans reste à charge à la clé, dit effet d’aubaine et risque de fraude. L’Assurance maladie se réjouit du succès du 100% santé sur l’audioprothèse, qui a permis d’améliorer l’accès aux soins et d’atteindre 790.000 personnes appareillées en 2022, en hausse de 77% par rapport à 2019. "La réforme est un succès en matière d'accès aux soins. Nous avons répondu avec le ministère et les complémentaires santé pour mettre des plafonds de tarifs et assurer la solvabilisation d’une offre de qualité. Les prix des audioprothèses ont baissé de 12%", se félicite Thomas Fatôme.
Ce succès se traduit par une forte évolution des dépenses et des tentatives de fraude. En 2022, le remboursement des audioprothèses représente 420M d’euros pour l’Assurance Maladie contre 180M d'euros en 2019. « La fraude à l’audioprothèse pourrait représenter plusieurs dizaines de millions d’euros », indique Thomas Fatôme, directeur de la Cnam. Les comportements frauduleux peuvent prendre différentes formes : absence de suivi par l'audioprothésiste, facturation fictive, différence entre l’équipement délivré et l’équipement facturé, fausses ordonnances.
Des contrôles anti-fraude préventifs
L’Assurance maladie souhaite agir sur plusieurs fronts. Face au faible nombre de prestations de suivi, la Cnam a écrit aux 772.000 assurés appareillés pour leur rappeler l’importance de revoir leur audioprothésiste pour vérifier que l'appareil est bien réglé. Les 4.550 audioprothésistes ont également reçu un courrier pour leur rappeler l’importance de réaliser ces prestations de suivi. Les envois ont porté leurs fruits et l’Assurance Maladie a constaté un doublement des suivis réalisés par les audioprothésistes.
Pour aller plus loin, et face à la forte dynamique des dépenses en audiologie, la Cnam s’apprête à mettre en place en Île-de-France des contrôles avant remboursement sur des factures présentant des anomalies. La Caisse nationale n’a pas souhaité détailler les cas qui feront l’objet d’un contrôle. Elle a uniquement précisé qu’ils prendraient en compte l’âge des patients.
La Cnam a également identifié 130 sociétés d’audioprothèse sur lesquelles « la structure des remboursements » est atypique. Dans les prochaines semaines, l’Assurance Maladie y déploiera des contrôles approfondis à la recherche de « faux diplômes d’audioprothésistes, de fausses facturations ou encore l’usage de fausses ordonnances ».
8,3M d'euros de fraude aux audioprothèses en Seine-Saint-Denis
Ces soupçons de fraude se basent sur l’expérience de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Seine-Saint-Denis. Sur les 109 sociétés d’audioprothèse qui exercent sur le département, 55 se sont installées après la réforme du 100% santé.
Aurélie Combas-Richard, directrice de cette CPAM, estime que 17% des demandes de remboursement d'audiprothèse sont frauduleuses. Elle explique que les premières suspicions de fraude remontent à 2022. La CPAM recevait une trentaine de signalements par jour de la part des assurés ayant constaté sur leurs relevés de remboursements des facturations d’appareils auditifs à leur insu. Des recherches ont permis d’identifier deux sociétés avec le même gérant, qui avaient un volume de facturation important. La moyenne d’âge des patients était de 24 ans, avec des patients en provenance de différents départements. Aujourd’hui, ces deux entreprises sont en redressement judiciaire et l’objectif de la Cnam et d’obtenir l’interdiction de gestion auprès du gérant. Avec l’appui des forces de l’ordre et de justice, l'Assurance maladie a même réussi à bloquer un transfert d’argent vers l’étranger. Préjudice financier estimé pour l'Assurance Maladie, 2,3 millions d’euros.
Depuis janvier, la CPAM mène un contrôle approfondi sur l’ensemble des factures présentées en 2023 pour des bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire qui bénéficient d’une prise en charge intégrale par l’Assurance maladie. « Nous n’hésitons pas à appeler les assurés pour voir s’ils sont réellement appareillés, s’ils le sont des deux oreilles », illustre Aurélie Combas-Richard. Ces contrôles a priori permis d’éviter le remboursement de 3,7 millions d’euros. La fraude concernait 361 sociétés d’audioprothèse différentes et 12 réseaux structurés dans différents départements d’Île-de-France.
Par la suite, les équipes de la Caisse primaire ont encore identifié 2,3M d’euros de préjudice financier pour des entreprises du secteur en lien avec les facturations non-confirmes au titre de l’année 2022.
Au total, le préjudice de la fraude à l’audioprothèse est estimé à 8,3 millions d’euros depuis début 2023, uniquement sur le département de la Seine Saint-Denis.
Malheureusement, la lutte contre la fraude ne concerne pas uniquement les audioprothèses. Sur les actes de kinésithérapie, cela représente entre 5,2% et 6,8% des remboursements, soit entre 166 et 234 millions d'euros par an. Sur les chirurgiens dentistes c'est entre 60 et 96 millions d'euros par an, l'équivalent de 2,4% à 4% des remboursements dentaires. Sur les médecins spécialistes, entre 140 et 230M d'euros par an.
Pour éviter l’hémorragie, la Caisse nationale d’Assurance maladie met les bouchées doubles sur la lutte contre la fraude. Elle a prévu de recruter 300 agents dédiés et 60 cyber-enquêteurs, ce qui devrait porter les effectifs dédiés à la lutte contre la fraude à 1.800 ETP d’ici 2027. Au premier semestre 2023, le montant du préjudice financier détecté et stoppé par la Cnam s’élève à 146,6 millions d’euros sur plus de 200Mds d'euros de prestations versées. Thomas Fatôme, directeur de la Cnam, se dit confiant pour atteindre l’objectif de 380 millions d’euros d’ici la fin de l’année.
La collaboration avec les OCAM pour bientôt
Interrogé sur une éventuelle collaboration avec les organismes complémentaires en matière de lutte contre la fraude, Marc Scholler, directeur de l'audit, des finances et de la lutte contre la fraude de la Cnam, répond : "Le plan du ministre des Comptes Publics du mois de mai cette année prévoyait justement un renforcement des échanges entre AMO et AMC . Nous échangeons dans les grandes lignes sur notre stratégie. La réforme du 100% santé accroît significativement les enjeux sur les soins audio, optiques et dentaires. A ce stade, nous avons des échanges, on réfléchit mais on doit encore pousser le ballon en 2024 pour renforcer notre efficacité collective. Nous sommes convaincus que la fraude nous concerne tous. Demain, avoir des investissements communs dans les systèmes d'information et dans les moyens humains doit nous permettre de contrer les fraudeurs, sans rester chacun dans notre terrain. C'est un vrai sujet, sans annonce à ce stade".
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