Comment m’est venue l’idée de créer PARITE ASS ?
Oh ça vient peut-être de très loin. Ca pourrait être long à expliquer, mais heureusement pour vous, on ne m’a donné que 5 minutes
Ma naissance : je suis la 4è fille ; ma mère reçoit des condoléances.
Mon premier compte en banque : horreur! il faut l’autorisation du mari.
L’autorisation du mari de S. Veil ; et celle du mari de M. Thatcher ; et le mari de T. May qui a consenti écrivent les journaux
Ma première nomination de chef de produit chez Sandoz : Chatain énumère les candidats possibles, qui ont tous refusé : «on n’a trouvé personne, alors on nomme Bodin ». J’avais appris la leçon : c’est ainsi que j’ai construit ma carrière, en acceptant des postes dont les hommes ne voulaient pas : trop innovant, trop risqué, pas assez près du soleil…jusqu’au jour où quand on approche trop du soleil, le plafond de verre est là.
Et puis des flash : dans les publicités, pour être politiquement correct, il faut ajouter des femmes mais quand même pas les mettre trop devant, juste dans un coin de l’image. Un vivier de jeunes créateurs d’entreprises : le garçon devant, la fille court derrière ; les journées du Patrimoine 2010 : un grand visage d’homme devant, une petite tête de femme derrière. Sans parler de nos propres entreprises qui ont longtemps cédé à ce travers d’inclure les femmes en mode mineur.
Les histoires de harcèlement, d’abus de position hiérarchique, ça ne m’est pas arrivé à moi. Il faut dire que je suis devenue rapidement très méfiante ! A 18 ans, employée pour payer mes études au service archives d’une caisse d’assurance maladie, dans une équipe de travailleuses en soute et en blouse bleue, au bout de 3 journées le directeur me fait venir pour m’annoncer que ce travail stupide n’est pas digne de moi et m’invite à déjeuner le lendemain pour construire mon avenir de secrétaire de direction. Le lendemain en arrivant, je préviens mes copines en blouse que je ne déjeunerai pas avec elles à cause de ce rendez-vous ; explosion de rigolade et j’annule le RV. Voilà comment j’ai raté ma carrière de secrétaire de direction promotion canapé.
Après quelques semaines dans un grand labo pharmaceutique, le directeur médical me convoque dans son bureau. Dans le couloir je croise un collègue qui me dit « tu vas où comme ça », « je vais chez le Dr G qui m’a appelée » et il ouvre des yeux ronds : « et tu y vas toute seule ?!! ». L’adjointe de ce même directeur racontait sa stratégie de contournement du bureau pour ne pas se trouver à côté de lui. Souvent il fallait courir autour du bureau !
Et on se contentait d’en rire
Et puis un jour, quand j’étais directeur (on disait teur, pas trice) j’ai arrêté de rire. J’avais reçu des propositions parfaitement explicites et vulgaires d’un collaborateur N-2. Je l’ai envoyé promener sèchement. Mais comme il avait lui-même une position hiérarchique, il encadrait une équipe commerciale, j’en ai parlé à son chef direct qui m’a dit en gros je suis désolé, il a tendance à faire ça et j’en ai déduit que certaines collaboratrices devaient passer à la casserole…C’est la vie quoi ! J’ai demandé une enquête et il a été dégagé.
C’est peut-être là où j’ai mis de côté mon vieux fonds judéochrétien de culpabilité «c’est ma faute, j’ai peut-être eu une attitude provocante, etc » et embrayé sur un autre sentiment, celui d’une responsabilité de cadre dirigeante pour faire entendre notre voix.
Le temps a passé, d’autres voix se sont élevées, au point que maintenant on peut enfin blaguer.
L’autre jour à la Cérémonie des Molières : Blanche Gardin :
« Maintenant, les hommes n’ont plus le droit de harceler les femmes au travail
Mais alors nous, est-ce qu’on aura encore le droit de coucher pour avoir un poste ? »
Et puis cette splendide couverture de Charlie Hebdo, montrant Harvey Weinstein avec son gros cigare, suant, avec son peignoir ouvert et disant : Faut-il coucher pour réussir ? Moi j’ai été obligé de réussir pour coucher »
Les grands moments de Parité Assurance
Je voulais un tout petit club, au départ, nous étions 6, quand je suis montée sur mon escabeau pour annoncer la création que nous venions de décider 5 minutes auparavant. Et nous voulions un recrutement trrrès confidentiel, on est restées longtemps autour d’une vingtaine. Et à ce jour, près de 70 ! Jusqu’où irons-nous ?
Et au fait, le recrutement : il nous faut des femmes « exécutives », celles qui vont briser le plafond de verre. Désolée pour les DRH et les Dircom, elles ont déjà gagné la partie, elles sont majoritaires dans leurs métiers, bientôt il va falloir leur mettre des quota d’hommes
Le nom : on s’est appelées « le Club », puis CQFD », puis PASS 2015, pourquoi 2015 ? Espérait-on briser le plafond de verre dans ce délai ?
Le Logo, l’épopée du logo ! Pourquoi bleu, ou vert, une clé pour PASS, mais ça fait aussi maison de passe ; pas trop féminin les caractères. On a voté, on est démocratiques ici
Le débat vestimentaire, pas du tout anodin, l’apparence : faut-il se fondre dans la masse des costumes sombres-chemises blanches, ou affirmer notre féminité ?
Notre positionnement : soft ou agressif ? Se tourner vers l’extérieur, ou réfléchir entre soi ?
Nos activités : notre principale activité, c’est de déjeuner ensemble, c’est bien toujours un club. Mais on est allées tellement au-delà, Grâce aux équipes qui m’ont succédé, et à leur tête les fidèles fondatrices Marianne Binst puis Marie-Sophie Houis-Valletoux.
Le tutorat de jeunes femmes cadres, c’est Passrelles, l’entrée dans les conseils d’administration c’est PassGouv, le livre blanc, et maintenant les matinales santé, et le prix littéraire.
Les copines, elles se déploient dans tous les sens, et moi je contemple tout ça émerveillée, avec mon bras cassé au sens propre. Qu’est-ce que c’est devenu mon petit club de rien du tout !