Pascal Demurger est directeur général du groupe Maif et vice-président de l'Association des assureurs mutualistes (AAM). Pour News Assurances Pro, il livre son analyse critique sur les actions mises en place par le secteur de l'assurance durant cette période de crise sanitaire sans précédent.
La réaction du secteur de l'assurance a-t-elle été à la hauteur de la crise sanitaire actuelle ?
Je pense que nous autres assureurs, nous avons trop abordé cette crise à travers notre propre prisme. Les attentes de l'opinion publique, vis-à-vis du secteur, n’ont pas été assez appréhendées, ou l’ont été trop tard. Les critiques exprimées par de nombreux parlementaires reflètent cette distorsion entre le soutien attendu par les Français et les actions collectives du secteur, telles qu’elles sont perçues. Que ces critiques soient légitimes ou pas importe peu, c'est un fait. Collectivement, nous n’avons sans doute pas assez pris la mesure de la crise que nous traversons, ni du niveau de l’attente sociale à notre égard.
Les assureurs doivent-ils faire plus ?
Avant la crise nous avions déjà l'image d'un secteur relativement riche par rapport à d'autres activités économiques. Il est donc logique que s'installe dans l’opinion publique l'idée que nous souffrons moins durant cette période et que nous pourrions massivement contribuer. Il était illusoire de penser que nous allions passer entre les gouttes. Une contribution de 200 millions d'euros au fonds de solidarité mis en place par l'Etat pour un secteur qui réalise presque 13 milliards d'euros de bénéfice est forcément perçue comme insuffisante. Surtout en ces temps de crise où de nombreuses entreprises et commerces sont menacés de faillite.
Les assureurs ont pourtant apporté des réponses individuelles
A défaut d'une réaction collective forte, les entreprises ont été incitées à prendre des mesures individuelles. Je pense que toutes l’ont fait. Nous-mêmes, à la Maif, nous avons annoncé rendre 100 millions d'euros à nos sociétaires pour répercuter la chute de la sinistralité en auto. Et si nous avons attendu pour prendre cette mesure, c'était pour laisser sa chance à une action collective d'émerger.
Que répondez-vous aux critiques sur la mesure que vous avez annoncée ?
Je note que ces critiques émanent exclusivement du secteur de l'assurance, et qu’au sein même du secteur j’ai reçu beaucoup de soutien. Au-delà, notre action a été largement saluée. C'est justement ce genre d'initiatives qu'il faut multiplier, voire généraliser. Elle entre parfaitement dans l'intérêt de nos sociétaires et revêt une vraie puissance symbolique. Et ce dernier point est crucial en temps de crise. L'oublier serait une erreur.
Cela signifie-t-il que l'image de l'assurance va se dégrader auprès des Français ?
Les crises ont un rôle catalyseur aussi bien sur les aspects positifs que négatifs. Or, aujourd'hui, pour beaucoup de parlementaires, de Français et de politiques, assurance ne rime pas avec solidarité. Et cette image va coller durablement à la peau de notre secteur.
Est-il encore temps de renverser la vapeur ?
Chaque jour qui passe rend plus compliquée la moindre annonce. Si la réaction avait été prise suffisamment tôt, nous aurions pu mieux contenir des demandes qui dépassent largement la capacité contributive du secteur. Aujourd'hui, j'ai peur qu'il ne soit trop tard. Et l'assurance va perdre sur tous les tableaux.
Qu'entendez-vous par "perdre sur tous les tableaux" ?
Sur le plan économique tout d'abord, il est indéniable que le coût pour nous tous va être gigantesque. La crise va avoir un impact sur la rentabilité et sur la solvabilité. Sur le plan politique ensuite. Les pouvoirs publics accentuent la pression sur notre secteur et pourraient prendre des mesures pour augmenter la contribution des assureurs. Cela pourrait par exemple prendre la forme d'une taxation qui, au-delà du gain financier pour l'Etat, serait un symbole fort pour les Français. Et enfin, l'image de l’assurance n'en sortira pas indemne.
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