Patricia Lemoine : "Certains augmentent leurs tarifs en emprunteur, d’autres non"
INTERVIEW – A l'occasion de l'entrée en vigueur de la loi Lemoine, Patricia Lemoine, députée de Seine-et-Marne et membre du groupe Agir Ensemble, revient sur la réforme de l'assurance emprunteur dont elle est l'instigatrice. Elle évoque notamment l'incertitude qui plane au-dessus des tarifs.
Quelles sont les principales nouveautés introduites par la loi du 28 février 2022 pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l'assurance emprunteur ?
A l’occasion de l’entrée en vigueur ce jour de cette loi sur l’assurance emprunteur, j’ai d’abord une pensée pour toutes les Françaises et les Français qui mènent à bien le projet de vie qu’est l’achat d’un bien immobilier ou qui souhaiteront le faire demain. A compter du 1er juin, pour les nouveaux contrats, leurs droits se retrouvent renforcés et leurs démarches facilitées grâce à cette loi, avec bien sûr la mesure phare qu’est la possibilité de résilier à tout moment son assurance emprunteur.
Plus particulièrement, je suis heureuse pour tous nos concitoyens qui ont été frappés par la maladie, que ce soit par le cancer ou par des maladies chroniques telles que le diabète, qui bénéficient désormais d’un droit à l’oubli réduit à 5 ans et de la suppression du questionnaire de santé pour tous les prêts de moins de 200 000 euros remboursés avant le 60ème anniversaire de l’assuré.
L’entrée en vigueur sonne-t-elle la fin d’un long combat, dans un contexte d’inflation qui pénalise les Français les plus modestes ?
Effectivement, la partie était loin d’être gagnée, mais ma pugnacité et ma détermination ont été payantes ! En réalité, toutes les mesures de cette loi sont importantes et se complètent : l’information et les droits des assurés se retrouvent renforcés, les sanctions pour les manœuvres dilatoires sont aggravées et des avancées majeures sont prévues pour les malades…
Je retiendrai néanmoins plus particulièrement les dispositions sur la question du droit à l’oubli dont on a peut-être un peu moins parlé dans les médias. C’est un véritable message d’espoir envoyé à tous ceux qui ont connu le cancer ou l’hépatite C car l’achat d’un bien immobilier demeure souvent une étape clé dans la reconstruction psychologique après la maladie.
Une fois ce délai de 5 ans passé, ils n’auront plus à indiquer leur ancienne pathologie dans leurs démarches assurantielles. Les dispositions sur le droit à l’oubli ne se limite pas à la réduction du délai mais permettront également d’intégrer de nouvelles pathologies dans le dispositif ainsi que dans celui de la grille de référence Aeras, et d’augmenter le plafond d’emprunt, tout ceci grâce à un travail de concertation mené par tous les membres de la convention dans les prochains mois.
J’ai à cette occasion une pensée profondément émue pour toutes les associations qui se sont battues sur ce sujet, et notamment l’association Rose Up, que j’avais pu auditionner à l’occasion de l’examen de ma proposition de loi.
Nombreux ont été les acteurs à annoncer une future hausse des prix sur le marché de l’assurance emprunteur. Qu’en pensez-vous ?
La suppression du questionnaire de santé, qui avait été initialement amenée par les sénateurs, bouleverse en effet en profondeur le marché de l’assurance emprunteur, notamment pour le secteur alternatif. En effet, le secteur bancaire, par la voie du président de la fédération française des banques, avait annoncé dès l’automne 2021 la suppression du questionnaire de santé, mis en œuvre par le crédit Mutuel et le CIC, sans augmentation de tarif, ce qui laisse entendre que le secteur bancaire n’augmentera pas ses tarifs. A cet effet, rappelons que le secteur bancaire réalise des marges de près de 68% sur l’assurance emprunteur, ce qui est considérable.
Avec l’entrée en vigueur de la loi, les différents acteurs du marché adoptent en réalité des stratégies différentes car il y a une certaine part d’inconnu pour eux. Certains font aujourd’hui le choix d’augmenter leurs tarifs, d’autres ne le font pas en s’appuyant sur d’autres données pour mesurer le risque.
Il y aura nécessairement une période d’adaptation pour les acteurs, qui s’essayeront à différentes approches pendant quelques mois, le temps que les dispositions soient biens intégrées et mesurées par tous et que le fonctionnement du marché se stabilise. Néanmoins, le marché de l’assurance emprunteur est particulièrement rentable pour l’ensemble des acteurs, et notamment pour le secteur bancaire. Je ne crois pas que le choix sur le long terme d’augmenter les tarifs est tenable vis à vis des emprunteurs, d’autant que la suppression du questionnaire de santé entraîne un certain nombre d’économies pour les assureurs (moins de médecins conseils, de documentations etc.).
Les discussions ont été houleuses entre les deux chambres. Le texte final vous convient-il ?
J’avais alerté à plusieurs reprises mes homologues sénateurs sur la nécessité de bien mesurer l’impact d’une telle mesure sur le modèle de tous les acteurs du secteur assurantiel et des possibles effets de bords qu’elle pourrait entrainer. C’est pourquoi je suis parvenue à obtenir que le dispositif soit circonscrit aux prêts de 200 000 euros remboursés avant le 60ème anniversaire de l’assuré, alors que les sénateurs avaient très majoritairement, et peut-être même dangereusement, ouvert le dispositif pour les prêts jusqu’à 350 000 euros remboursés avant le 65ème anniversaire de l’assuré, qui aurait là clairement mis en péril le modèle économique des acteurs alternatifs
Sur un tel bouleversement, il faut y aller étape par étape et c’est ce que prévoit cette loi car une évaluation des impacts de la suppression du questionnaire de santé est prévue dans 2 ans et nous permettra ainsi d’ajuster, si besoin, le dispositif et corriger les effets de bords s’ils existent.
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