Patrick Brothier : La Grande Sécu ou l'émergence d'un vieux fantasme
TRIBUNE - Patrick Brothier, président d'Aésio Mutuelle et vice-président d'Aéma, considère que 2021 est une année marquée par la poursuite de la crise de la COVID 19 et la Grande Sécu, cette tentation du tout État comme unique réponse aux besoins de santé. Cette tribune est publiée dans notre magazine sur le bilan 2021 de l’assurance.
En mettant sous pression les systèmes de protection sociale, la crise sanitaire a constitué un choc d’une intensité si forte qu’elle a bouleversé durablement notre cadre de référence. L’année 2021 s’est inscrite dans la continuité de 2020 avec l’omniprésence de la crise dans nos quotidiens. Elle a aussi vu l’émergence d’un vieux fantasme, à travers les débats sur la « Grande Sécu», celui d’un Etat tout puissant qui pourrait tout régler en lieu et place des acteurs.
Dans le champ de l’assurance santé, les confinements ont conduit à des annulations et reports de soins dont l’impact n’est toujours pas pleinement mesurable. Dans le même temps, le 100% santé, une des réformes majeures des dernières années pour renforcer l’accès aux soins, a continué de se déployer. Là aussi, les effets sont encore en partie à l’état de projections. Or, si l’objectif du 100% santé est aussi noble qu’ambitieux, son équilibre économique est loin d’être acquis. L’année 2022 sera déterminante pour en apprécier tous les impacts.
Le problème est ailleurs
Au cœur de la crise, 2021 n’a pas fait oublier les difficultés de notre système de santé ainsi que les enjeux à venir : la hausse continue des dépenses de santé, l’augmentation des affections de longue durée et le vieillissement de notre population. Si la santé n’a pas de prix, elle a un coût qui va continuer de progresser alors même que les besoins de financements seront croissants dans les prochaines décennies. Il est indispensable de tenir compte des enseignements de la crise et des nouvelles aspirations de la société.
Parmi les chantiers prioritaires, chacun reconnait la nécessité de faire beaucoup plus en matière de prévention, à l’image de la Cour des Comptes qui a publié le 1er décembre 2021 un nouveau rapport constatant que les résultats obtenus sont globalement médiocres. L’innovation et l’apport des nouvelles technologies ouvrent des perspectives sur lesquelles nous devons capitaliser pour permettre à chacun d’être acteur de sa santé et de son bien-être, mais aussi de préserver son capital autonomie.
Face à ces enjeux, la question du financement des dépenses de santé s’est imposée dans le débat public, avec une acuité d’autant plus forte que 2021, année qui précède l’élection présidentielle, occupe une place particulière dans le calendrier électoral. Une partie de 2021 s’est polarisée sur le débat autour du rôle des complémentaires santé. Certains ont cédé à la facilité de proposer une « solution magique », une « Grande Sécu », qui permettrait d’être soigné à moindre coût.
Cette chimère se heurte hélas au mur de la dette considérablement accrue avec la pandémie et à celui du déficit continu enregistré depuis 30 ans par la Sécurité Sociale. Elle se heurte aussi à celui de l’incapacité à gérer les vraies attentes des Français : déserts médicaux, manque de professionnels de santé, restes à charge liés aux maladies chroniques, soutenabilité des dépenses de santé liée au vieillissement de la population...
Les corps intermédiaires sont précieux
Elle percute enfin une réalité consubstantielle au modèle de protection sociale Français : l’implication précieuse des corps intermédiaires, des partenaires sociaux et des acteurs mutualistes.
Pour la seule mutuelle Aésio, c’est 500 de nos adhérents qui sont engagés bénévolement dans notre gouvernance, le déploiement d’actions solidaires de proximité et la gestion d’établissements et services de soins et d’accompagnement mutualistes. Ces dynamiques territoriales et ces établissements seraient menacés par l’étatisation du financement de la santé.
Sans parler des salariés du secteur qui ont assisté au procès surréaliste qui les a réduits à une couche de frais dans un système qui serait totalement vertueux. La désignation d’un bouc émissaire ne peut faire office de solution miracle face aux enjeux !
Les vertus d'un système public-privé
Si l’on compare les systèmes de santé des pays de l’OCDE, on observe que le système mixte public-privé est celui qui permet la meilleure performance d’un système de santé, celle qui permet à chacun d’être soigné en fonction de ses besoins et qui garantit un équilibre financier. Il semble encore nécessaire de le rappeler, les Français bénéficient du plus faible reste à charge pour leurs soins grâce à l’articulation entre la Sécurité Sociale et les organismes complémentaires.
L’année 2022, n’en doutons pas, verra ressurgir le débat. Au-delà du champ politicien, nous devons saisir l’opportunité de réfléchir collectivement pour préserver les forces de notre modèle et corriger ses faiblesses. Aésio mutuelle et Aéma Groupe sont mobilisés pour bâtir, de façon partagée, un système de protection adapté aux besoins de chacun, tourné vers la prévention et ouvert aux innovations. Nous portons la voix d’un mutualisme de proximité qui fait de l’accès aux soins, pour tous et partout, la priorité.
Patrick Brothier
Président d'Aésio mutuelle
Vice-président d'Aéma groupe
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