Rapport Lecocq : « Nous ne voulons pas un contrat responsable de la prévention »
Pour Jérôme Bonizec, directeur général d'Adéis, le rapport Lecocq reconnaît le rôle de la complémentaire santé comme un acteur important et légitime pour mener des actions de prévention en entreprise, mais le risque est de se voir imposer « un contrat responsable de la prévention ».
Le 28 août dernier, la députée LREM Charlotte Lecocq remettait un rapport intitulé « Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée » au gouvernement. Le document dresse un bilan mitigé sur la prévention au travail en France. Il souligne qu'un grand nombre d'opérateurs interviennent dans le domaine de la santé au travail, que les financements ne sont pas concentrés et qu'il existe un manque de pertinence ou de direction dans les actions menées. Pendant des années, la priorité a été donnée à politique de l'emploi au détriment du sujet de la santé au travail.
Le rapport propose donc de regrouper toutes les structures au sein d'un guichet unique et de confier les actions à des antennes territoriales. L'objectif est d'assurer à toute entreprise sur chaque territoire, l'accès à une offre de services certifiée, homogène, accessible et lisible, plus particulièrement à destination des TPE/PME.
« Le rapport soutien qu'il faut impliquer les partenaires sociaux dans la restructuration de la santé au travail, notamment dans une phase de concertation préalable, mais également dans l’administration de la structure nationale et des structures régionales qui seraient créées », souligne Jérôme Bonizec, directeur général d'Adéis.
"Ce modèle qui maintient une forme de gouvernance paritaire au niveau interprofessionnel est déjà un point important", pour Jérôme Bonizec, qui ajoute : "Le système national interprofessionnel ne doit pas effacer pour autant la déclinaison au niveau des branches afin de proposer des actions de prévention pertinentes pour chaque profession, lorsque c’est possible".
Bilan mitigé sur la prévention au niveau de la branche
Les partenaires sociaux peuvent aujourd'hui mener des actions de prévention à destination de toutes les entreprises de la branche professionnelle au titre du degré élevé de solidarité (DES). Les actions de prévention sont financées grâce au prélèvement de 2% de la cotisation de leur complémentaire santé d'entreprise par les organismes recommandés. Cependant, le rapport indique que toutes les branches professionnelles n'ont pas encore mis en place des actions de prévention au travail.
Le rapport Lecocq met en cause le manque de dialogue social, le manque de moyens, l'évolution de la législation, un niveau d’expertise insuffisant et une difficulté à construire une offre de services mutualisée et robuste, notamment pour les TPE. « Si certaines branches comme le bâtiment, les services automobiles sont citées en exemple dans le rapport, d'autres, les plus petites notamment, ne disposent pas toujours de montants suffisants pour organiser des actions en matière de prévention », reconnaît Jérôme Bonizec.
Adéis, par exemple, est recommandé dans une trentaine de branches professionnelles : 5 d'entre elles n'ont pas encore utilisé leur budget au titre du dégré élevé de solidarité, et parmi les autres, uniquement la moitié ont mis en place des actions de prévention au travail ; l'autre moitié utilise le budget (DES) pour financer la complémentaire santé des employés en difficulté financière. « Les premières actions de prévention au titre du Degré Elevé de Solidarité découlant des clauses de recommandations ont été mises en œuvre depuis 2017 seulement », affirme J. Bonizec.
« Soit vous utilisez le budget, soit vous êtes taxés "
Le rapport Lecocq propose que les branches n'ayant pas mis en place des actions de prévention reversent une part minimale du 2 % des cotisations relevant du degré élevé de solidarité obligatoire, à un fonds national de prévention. « Pour nous, le risque est de voir disparaître une partie du budget DES géré par nos branches partenaires », affirme Jérôme Bonizec
D'ores et déjà cette proposition a incité des partenaires sociaux début septembre à s'emparer de la question de la prévention et à adopter une attitude pro-active. Les organismes recommandés au niveau de la branche ont un rôle important à jouer pour co-construire des plans de prévention avec les partenaires sociaux. « Soit vous utilisez le budget, soit vous êtes taxés. Les lignes devraient bouger », résume le directeur général d'Adéis.
« Si les pouvoirs publics décidaient par exemple de prélever un tiers ou la moitié du budget relatif au DES, le budget restant sera parfois très insuffisant pour mener d'autres actions dans le cadre de l'aide individuelle ou des cotisations subventionnés au profit de certains salariés. Les coûts fixes structurels (infrastructure, communication…) grimperaient proportionnellement », regrette Jérôme Bonizec.
Autre point important, « les complémentaires santé sont clairement identifiées comme un acteur à part entière, en capacité de proposer des actions personnalisées, en lien direct avec les salariés », se réjouit Jérôme Bonizec. « L’exploitation fine des données de l’entreprise en fonction de ses problématiques et le recours au digital pour atteindre les bénéficiaires sont des atouts à la main des assureurs complémentaires. Ils sont légitimes car ils couvrent la majorité des salariés du fait de la généralisation de la complémentaire santé », indique J. Bonizec.
Les assureurs risquent-ils un encadrement des actions de prévention ? « Le risque serait de voir apparaître un « contrat responsable » de la prévention, avec en encadrement et des marges de manoeuvre limitées. Cela pourrait freiner la créativité et la liberté d'action des organismes assureurs. Nous ne souhaitons pas mener des actions de prévention sous la contrainte d'un cahier des charges trop restrictif », réclame-t-il.
Le rapprochement des branches professionnelles permettra d'augmenter les budgets alloués à la prévention car il y aura plus de volume de salariés à couvrir. « Les partenaires sociaux des branches et leurs partenaires assureurs doivent pouvoir rester maîtres à bord sur les actions de prévention à mener. C'est probablement le meilleur vecteur, lorsque des moyens suffisants sont consacrés, pour décliner des actions adaptées aux risques particuliers d’une profession », conclut-il.
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