Résiliation à tout moment : « Ce n’est pas parce que l’on n’est pas contre que l’on est pour »

lundi 6 mai 2019
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INTERVIEW - Pierre François, directeur général de SwissLife Prévoyance et Santé revient sur la résiliation à tout moment des contrats santé et les nouvelles obligations de transparence introduites par les amendements.

La Mutualité Française et le CTIP ont clairement montré leur opposition à la proposition de loi qui prévoit la résiliation à tout moment des contrats santé après la première année. La FFA a été plus discrète. Pourquoi ?

Les positions à la FFA étaient moins tranchées que celles de la Mutualité Française ou du CTIP. En effet, un certain nombre d’opérateurs représentés à la FFA ont constaté que la loi Hamon, également fondée sur un principe de résiliation, n’avait pas eu les effets aussi catastrophiques que prévus. De plus, la FFA représente trois familles différentes…

C’était un combat perdu d’avance ?

Le mot est un peu fort mais il faut avoir des arguments solides. Certains des arguments des opposants étaient peut-être un peu difficiles à faire passer et faciles à contrer. C’est ce qui s’est passé, d’ailleurs. Enfin, c’est un peu difficile d’être entendu quand on défend une vision qui paraît opposée aux attentes des Français.

Vous faites partie de ceux qui sont favorables à la résiliation à tout moment au sein de la FFA ?

Je ne vais pas forcément me prononcer ici sur cette question. Disons que je fais partie de ceux qui acceptent la réglementation et qui l’optimisent une fois qu’elle est là. La question a soulevé des débats au sein de la fédération et les positions des uns et des autres n’étaient pas toujours tranchées. Ce n’est pas parce que l’on n’est pas contre que l’on est forcément pour. C’est la même chose sur le tiers payant généralisable : nous ne l’avons pas demandé mais une fois adopté, nous allons l’accompagner.

À votre avis, quels arguments contre la résiliation à tout moment sont légitimes ?

Nous savons que le risque santé n’est pas comparable au risque automobile ou MRH. Le risque de dérive technique est plus rapide. Nous aurons forcément un risque d’anti-sélection plus important. Il est difficile de prévoir l’impact macro-économique sur l’ensemble du marché, mais d’une manière micro-économique, cela peut conduire certains assurés à optimiser certaines garanties. Ce sera probablement peu le cas dans l’assurance collective parce que je ne vois pas comment un chef d’entreprise déciderait en milieu d’année de résilier son contrat parce que ses salariés veulent aller chez le dentiste ce mois-ci…

Aujourd’hui, on peut résilier son contrat tous les ans. La résiliation infra-annuelle ne fait que renforcer un risque que l’on connaissait déjà, qui va devenir plus fort, plus fréquent, avec un impact financier peut-être plus élevé. Mais l’anti-sélection existe déjà dans les produits avec des garanties modulables en hospi, optique et dentaire.

Pensez-vous que la résiliation infra-annuelle va augmenter les coûts de gestion ?

Forcément, toute évolution règlementaire a un impact sur les coûts de gestion, même si ce n’est pas le plus gros des coûts. Il est certain que cela risque de renchérir les coûts d’activité commerciale mais cela va renforcer la concurrence donc jouer à la baisse sur les prix (c’est le rôle de la Sécurité sociale). La résiliation à tout moment va rajouter de la complexité : il faut la mettre en œuvre, gérer les outils, vérifier qu’il n’y a pas de trou de garantie, gérer les télétransmissions.

Pensez-vous que cette mesure menace la mutualisation ?

Je ne suis pas d’accord pour dire que la complémentaire santé peut être solidaire ni avec ceux qui opposent mutualisation et segmentation. L’assurance est l’équilibre permanent entre segmentation et mutualisation. Quand on fait de l’assurance, par principe, on mutualise. Ensuite, on s’interroge sur les limites de la mutualisation et on introduit de la segmentation. Cela a toujours existé : vous ne payez pas le même prix pour assurer une Deux-chevaux qu’une Mercedes, c’est de la segmentation. Si vous avez des sinistres, vous n’allez pas payer le même prix que si vous n’en avez pas eu, c’est de la segmentation. N’empêche que vous allez être mutualisé aussi car vous n’avez pas les moyens de vous assurer tout seul.

Les opposants à la résiliation à tout moment disent qu’il sera impossible de vérifier les droits en temps réel et d’appliquer le tiers payant.

Le meilleur moyen d’éviter les indus, c’est d’arrêter la carte de tiers payant en format papier. Qui aujourd’hui a envie d’avoir un papier dans son portefeuille ? Si la résiliation à tout moment peut accélérer le développement du tiers payant en temps réel, j’y suis favorable. Nous avons tous des smartphones avec des applications géniales qui vous fournissent des informations en temps réel dans plein de domaines, alors que sur le tiers payant, les médecins ne sont pas majoritairement favorables à ce stade. L’inter AMC a mis en œuvre un certain nombre de normes pour les médecins et auxiliaires médicaux qui commencent à être intégrées dans les logiciels des médecins, timidement, pour l’instant.

Qui va payer pour cette mise à jour des logiciels des médecins ?

Demandez aux éditeurs de logiciels. Les professionnels de santé ne sont pas obligés de pratiquer le tiers payant et choisissent leurs outils. Certains éditeurs vont décider d’insérer cette fonction dans leur service, d’autres vont décider de la rendre payante, mais une fois que cela deviendra un standard de marché, les gens ne se poseront plus la question.

Une série d’amendements à la PPL introduisent de nouvelles obligations de transparence pour les complémentaires. Elles seront obligées de communiquer le niveau de cotisations, de prestations servies et le rapport des frais plus prestations sur les cotisations. Qu’en pensez-vous ?

Nous y sommes opposés car cela veut dire communiquer sur nos marges et d’un point de vue règlementaire et du droit de la concurrence, nous ne sommes pas sûrs que cela soit complètement légitime. Sur une prime de 100, si je vous dis que j’ai 20% de frais et 78% de prestations, vous pouvez en déduire que j’ai 2% de marge. A ma connaissance, il n’y a pas une seule profession de France à qui l’on oblige à communiquer sur ses marges. Cette information n’est pas de nature à guider le choix du client sur ce qu’il est le mieux pour lui. En plus, il faudrait que tous les acteurs du marché s’accordent sur la manière de calculer cela. La comparaison risque d’être compliquée. Je pense que ces paramètres n’intéressent pas les assurés mais en revanche sont une mine d’information pour la concurrence.

Si cette proposition est adoptée, vous devrez communiquer ces informations par catégorie de contrat.

Nous communiquons le taux de frais à nos clients tous les ans et je n’ai pas eu une seule plainte. Le client veut savoir quel niveau de prestation il obtient pour quel prix, s’il est bien remboursé. Evidemment, si cette proposition est adoptée, nous allons le faire mais nous pensons que cela ne va pas changer grand chose pour le client, d’autant plus que même au sein d’une catégorie, ces taux seront des taux moyens donc forcément non représentatifs d’un client donné.

Les acteurs qui affichent un meilleur taux de redistribution sont-ils favorables à communiquer ?

C’est un point à échanger avec eux, il y a peut-être aussi un effet plus fort quand les adhérents sont plus captifs. Derrière cette nouvelle obligation pour les complémentaires, il y a la question de la valeur ajoutée des complémentaires. Quand l’on aborde les questions de ce point de vue-là, on va forcément en déduire un jour que la Sécu sera meilleure ; sauf que la comparaison pure et simple avec la Sécu n’a pas de sens.

Pensez-vous que le régime complémentaire de l’assurance maladie est menacé ?

Ce n’est pas qu’une menace sur le régime complémentaire, mais sur les Français. S’il n’y a plus de complémentaires, certes on va gagner les frais des complémentaires, mais les Français vont devoir payer plus d’impôts. Je ne suis pas sûr que la Sécurité sociale gère de la même façon que nous. N’oublions pas qu'elle n’a atteint l’équilibre qu’une fois au cours des 20 dernières années. Elle ne paie pas non plus les dépassements d’honoraires ! Si demain les pouvoirs publics décident d’en finir avec la complémentaire santé, est-ce qu’ils vont interdire l’assurance des dépassements d’honoraires ? Cela conduirait à une franchise publique sur tous les dépassements, et je pense que cela va faire réagir. Si les dépassements d’honoraires sont autorisés, cela réduirait notre activité à un marché des dépassements. Sur ce scénario, ils auront écarté les complémentaires du marché du ticket modérateur et on aura juste un marché des dépassements d’honoraires, qui sera forcément plus petit.

Comment s’annonce la réforme du 100 % Santé ?

Le marché se prépare plutôt bien mais est parfois déçu car certaines problématiques techniques n’avancent pas aussi vite qu’elles le pourraient. Nous n’avons pas les niveaux de codes détaillés qui nous seraient nécessaires pour bien travailler. Nous n’avons pas les nouvelles nomenclatures. La CNAM n’est pas opposée à les donner, mais doit demander son avis à la CNIL, etc. Il faut débloquer rapidement ces points car c’est maintenant que nous devons travailler pour être prêts au 1er janvier 2020, puisque les renouvellements des contrats vont arriver dès septembre. Ensuite, c’est une réforme très complexe qu’il est nécessaire d’accompagner auprès des assurés.

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