Sanction de l'ACPR : Tutélaire forme un recours devant le Conseil d'État

jeudi 30 janvier 2020
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INTERVIEW Jean-Marc Aussibal, directeur général de Tutélaire, explique pourquoi la mutuelle sanctionnée par l'ACPR a prévu de former un recours devant le Conseil d'État. Il revient également sur les projets de diversification de la mutuelle.

Pourquoi contestez-vous la sanction de l'ACPR ?

Nous pensons que l'ACPR a pris une décision de principe sans répondre aux arguments juridiques que nous avons avancés. Nous allons former un recours devant le Conseil d'État avant le 10 février. Le conseil d'administration est unanime sur cette décision. Le montant de la sanction est anormalement élevé, ce qui nous interroge. Nous avons le sentiment que cette sanction de 500.000 euros est disproportionnée parce que nous n'avons pas adopté un profil bas et la commission des sanctions ne l'a pas supporté.

Nous sommes le premier assureur prévoyance visé par une sanction de l'ACPR. Pour nous, les lois Agira et Eckert s'appliquent uniquement aux contrats d'assurance vie car l'assureur est dépositaire des sommes qu'il ne lui appartiennent pas.

Mais les assurances prévoyance que vous commercialisez prévoient un capital décès. N'êtes-vous pas obligé d'aller chercher les bénéficiaires en cas de décès ?

Pour nous, cette loi ne s'applique pas à notre cas particulier. Bien sûr que nous avons amélioré nos dispositifs de recherche de bénéficiaires. Pour autant, nous estimons que nous ne sommes pas tenus légalement de le faire.

Êtes-vous dans la légalité ?

En matière de conformité, on nous dit souvent qu'il n'y a pas d'acteur plus conforme que Tutélaire. Nous ne voyons pas pourquoi sur ce point particulier nous serions en marge de nos méthodes habituelles.

Êtes-vous obligés de vérifier si vos assurés sont décédés ?

L'ACPR nous sanctionne sur ce grief, alors que les assurés décédés que nous n'avions pas identifiés représentent moins d'1% des assurés réellement décédés.

Quelle est la pratique du marché en matière de recherche de bénéficiaires ?

C'est la même question que la commission des sanctions de l'ACPR nous a posée. Nous savons que certains acteurs mutualistes appliquent la règlementation en vigueur en assurance vie aux garanties décès en inclusion de leurs contrats santé.

D'un point de vue éthique, on peut se demander pourquoi vous n'utilisez pas tous les moyens à votre disposition pour chercher les bénéficiaires

Ce n’est pas une question de moyens : ce n’est pas la difficulté d’application de certaines obligations qui fait que Tutélaire ne met pas œuvre certains outils de recherche, mais une question de principe. Nous considérons simplement que nous ne sommes pas obligés de le faire, alors que l'ACPR considère qu'en tant que mutuelle nous avons un devoir éthique de recherche de bénéficiaires. Je n'attends pas l'autorité de contrôle pour juger de notre éthique.

Cela ne veut pas dire que nous ne versons pas les prestations. De toute façon, nous sommes un acteur non lucratif et les prestations non versées ont toujours alimenté la participation aux bénéfices de la mutuelle. Nous l'avons alimenté plus vite que ce que prévoit la réglementation. Au bout de 3 ans, 99% des prestations non versées avaient alimenté la provision pour participation aux bénéfices. Nous avons versé 7,2 millions d'euros. La première dotation (positive) à la PPB, a eu lieu en 2014. Tutélaire a redistribué 2,5M€ en 2019. De notre point de vue, cela est en accord avec notre statut d'acteur mutualiste. Quand un adhérent verse une cotisation, elle appartient à la communauté des adhérents.

Mais d'un point de vue du droit du consommateur, certains adhérents avaient droit à ce capital et ne l'ont pas touché. Avez-vous fait tout ce qu'il était possible pour verser ce capital ?

Sûrement pas, mais ce n'était pas notre obligation contractuelle de base. Notre obligation est de verser la prestation lorsqu'elle est réclamée. Nous informons nos adhérents tous les ans et, si elle est réclamée, on la verse. Simplement, certaines prestations n'ont jamais été réclamées. Dans d'autres cas, les pièces justificatives que nous avons demandées ne nous ont jamais été envoyées. Ce sont souvent de petites sommes.

Allez-vous changer votre pratique suite à cet avis de l'ACPR ?

Non. Il va falloir que la sanction soit confirmée par le Conseil d'État pour que nous modifiions nos méthodes. L'ACPR n'a jamais rédigé la moindre notice sur le sujet alors que la Cour des Comptes l'avait préconisé. La Cour recommandait également l'utilisation du numéro INSEE dans la recherche RNIPP et cela n'a pas été suivi d’effet.

Comment allez-vous adapter vos pratiques si la sanction de l'ACPR est confirmée en Conseil d'État ?

Sur l'identification des personnes décédées, nous utilisons déjà le RNIPP. Nous ne découvrons aucun décès suite à la consultation de ce registre. Tous nos modes de paiement des cotisations sont automatiques et en traitant l'exhaustivité des rejets de paiement, nous identifions les décès des assurés. Ensuite sur la recherche de bénéficiaires, nous pouvons être plus actifs sur les relances et éventuellement envisager le recours à des généalogistes, si besoin. Cela a un coût certain que nous ne pouvons pas répercuter aux bénéficiaires du capital décès. C'est donc la communauté d'adhérents qui paierait la recherche de bénéficiaires lorsqu'ils ne sont pas facilement identifiables, mais je préférerais cela que de verser les sommes à la Caisse des Dépôts et des Consignations.

Que pensez-vous de l'avis du CCSF sur la vente à distance ?

Nous étions déjà conformes à cet avis. Je le considère comme excessif mais c'est révélateur de ce qui se passe en France. Plutôt que de contraindre les acteurs qui ont des pratiques abusives, on ajoute une nouvelle couche de réglementation qui va contraindre tous les acteurs. Cela ne va pas arrêter les acteurs malveillants qui vont continuer de sévir.

Mis à part votre assurance historique TUT’LR, où en êtes-vous dans votre stratégie de diversification ?

Nous avons lancé un produit couvrant les accidents de la vie en novembre 2019, distribué pour le moment uniquement en revente auprès de nos adhérents. Cela reste limité pour l'instant. Nous avons décidé de ne pas passer par le label GAV car cela ne nous paraît pas un gage de sincérité de produit d'assurance. Cela ne correspondait pas à notre vision du produit. Notre offre couvre dès 1% du barème Atteinte à l'Intégrité Physique et Psychique (AIPP), alors que la plupart de produits du marché n'interviennent qu'à partir de 5 ou 10% d'AIPP. Ces produits excluent 80% des accidents de la vie. La prochaine étape est de trouver des partenaires mutualistes ou courtiers pour distribuer cette assurance individuelle.

Avez-vous d'autres produits, dans une optique de diversification ?

Nous souhaitons adapter notre assurance hospitalisation en intégrant les hospitalisations partielles ou ambulatoires. Nous avons déjà vendu 20.000 contrats hospitalisation, dont 85% auprès de nos adhérents. Nous pensons que ces produits vont se développer les prochaines années parce qu'il y a un cataclysme annoncé sur l'hôpital qui aura forcément des répercussions sur les restes à charge en cas d'hospitalisation.

Où en êtes-vous dans la distribution de votre offre dépendance ?

Nous avons créé notre première garantie dépendance en 1998 que nous avons inclus dans notre contrat prévoyance. Nous avons été pionniers. Nos adhérents cotisent au titre de la dépendance en inclusion à partir de 27 ans. Ils peuvent en outre souscrire une garantie complémentaire dépendance (9,44 € par mois en cas de souscription à 27 ans et 15,90 € par mois en cas de souscription à 55 ans, pour une garantie complémentaire de niveau 2 qui permet de tripler la rente mensuelle de base). Nous couvrons environ 380.000 personnes en assurance dépendance et nous liquidons plus de 4.000 rentes par mois. Les rentes en GIR 1 et 2 sont de 158 euros par mois et les rentes en GIR 3, de 140 euros par mois. Ces montants correspondent environ au reste à charge à domicile pour un retraité avec une pension de 1.000 euros par mois. C'est un produit qui s'adresse aux personnes qui sont les plus fragiles financièrement alors que la plupart des produits du marché sont excessivement chers et s'adressent davantage aux personnes qui ont une capacité d'épargne.

Êtes-vous à la recherche de partenaires sur la couverture dépendance ?

Nous proposons à des mutuelles santé qui souhaitent se diversifier et apporter une réponse à un enjeu de société tel que la dépendance, d'inclure dans leur contrat santé une couverture dépendance.

Avez-vous constaté une appétence pour ce type de couverture dépendance ?

C'est un chemin assez long. Les mutuelles ont été très occupées par Solvabilité 2, le 100% santé. Il y a une prise de conscience sur la nécessité d'apporter une réponse à la perte d'autonomie mais le temps de réflexion mutualiste est long.

Qu'est-ce qui change par rapport à d'autres assurances dépendance du marché ?

Le projet de couverture dépendance généralisée de la FNMF ne couvre que les GIR 1 et 2, c'est une garantie généralisée et donc pour tous les assurés en complémentaire santé à partir de 22 ans. Notre garantie individuelle, en revanche, s'inscrit dans un contrat santé collectif, les adhérents commencent à cotiser à l'âge de 40-50 ans. Notre produit couvre les personnes dépendantes en GIR 1, 2 et GIR 3 à hauteur de 80% de la rente en GIR 1 et 2. Il y a de vrais besoins en GIR 3 surtout si on veut s'inscrire dans un principe de maintien à domicile car les personnes en GIR 3 peuvent encore se maintenir à domicile.

Pensez-vous que la solution d'une couverture dépendance généralisée portée par la FFA et la FNMF a des chances d'aboutir ?

Non. Je ne pense pas qu'elle aboutisse parce que je ne pense pas que le gouvernement décide d'exiger une nouvelle forme d'imposition quelle qu'elle soit. En revanche, le gouvernement aurait intérêt à favoriser la souscription de produits d'assurance dépendance individuels par le biais d'une exonération fiscale.

Comment les taux négatifs ont impacté vos résultats en 2019 ?

Nous calculons nos engagements vie entière tous les ans, ensuite le taux d'actualisation impacte évidemment le montant de ces engagements et ensuite nous modifions nos montants de prime pour rester dans un niveau de provisionnement acceptable.

Vos primes ont-elles donc augmenté ?

Bien sûr. L'impact des taux négatifs sur les tarifs de notre assurance dépendance à 55 ans est de +3,5%. À 55 ans, le tarif 2020 est de 7,95€ par mois, il était de 7,56€ en 2019, soit une augmentation de 5%. La hausse du tarif est due pour 59% à la hausse des taux, pour 23% à la revalorisation de la prestation et à 18% à l'évolution du risque technique.

Pouvez-vous nous communiquer le prix du rachat de Solucia et Judicial, sociétés spécialisées sur la protection juridique que Tutélaire a acheté en 2019 ?

Le prix du rachat de ces sociétés anonymes est toujours confidentiel. Nous attendons l'accord préalable au changement d'actionnaire de l'ACPR d'ici début mars. C'est une opération de croissance externe dans la logique de notre stratégie. Nous souhaitons renforcer notre offre avec des services associés, la protection juridique est peu développée en Mutualité, et cela nous a semblé être une formidable opportunité. C'est également un moyen de diversifier nos placements de long terme. Notre volonté n'est pas de nous immiscer dans la gestion de ces entreprises mais de jouer notre rôle d'actionnaire majoritaire. Tutélaire assurera la présidence du conseil de surveillance de ces sociétés.

Quelles synergies existent entre vos activités et celles de Solucia et Judicial ?

Nous envisageons d'inclure dans nos contrats une couverture protection juridique spécifique aux besoins de nos adhérents, ce qui leur permettra d'accéder à une couverture juridique à moindre coût. Il y a de vrais besoins d'accompagnement dans les démarches juridiques, en perte d'autonomie, notamment. Nous nous rendons compte que l'indemnisation pécuniaire n'est pas suffisante.

Tutélaire restera-t-elle une mutuelle indépendante ?

Oui, parce que nous souhaitons conserver notre agilité et parce que nous avons les moyens de notre indépendance.

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