Les contours de la taxe sur les transactions financières européenne ne sont pas encore figés que les assureurs peuvent déjà présager des conséquences de son application en l’état : recul des rendements des contrats d’assurance vie et de retraite, hausse des frais de gestion, possibles délocalisations d’activité, etc.
Pierre Moscovici, ministre de l’Economie et des Finances, l’a encore martelé mardi 28 mai : il veut "aller vite" et "fort" dans la mise en place de la taxe européenne sur les transactions financières (TTF). Et ce, malgré la levée commune de boucliers des fédérations du secteur financier. La TTF européenne a été l’objet d’une proposition de directive déposé en février dernier par la Commission européenne et consacre le prélèvement d’une taxe de 0,1% du montant des échanges d’actions et d’obligations, et de 0,01% du montant notionnel des dérivés, dans les 11 pays* qui font partie du dispositif dit de "coopération renforcée".
Sachant que l’industrie financière supporte déjà une taxe française sur les transactions financières depuis août 2012, à hauteur de 0,2% du montant des échanges d’actions de sociétés françaises dont la capitalisation boursière dépasse un milliard d’euros. Même si les contours de la TTF européenne ne sont pas encore figés, les assureurs laissent entrevoir de lourdes conséquences pour la profession.
Des rendements en baisse
Appliquée en l’état, la taxe se répercuterait d’abord sur les frais de gestion des contrats d’assurance vie, et surtout, sur leurs rendements. "Cette taxe constitue un élément additionnel à la baisse des rendements en assurance vie. Elle devrait se traduire par une nouvelle politique d’investissement des assureurs, qui ont déjà réfléchi à la composition de leurs portefeuilles d’actifs par rapport aux exigences de Solvabilité II", affirme Laurent Leclercq, avocat associé du département droit fiscal de Fidal. Ce que confirment les acteurs de l’industrie financière dans une lettre commune adressée à Pierre Moscovici le 2 avril : "l’effet [de la TTF] peut être évalué à ce stade à une ponction de plusieurs points de base sur les rendements servis aux assurés, ce qui représente une charge considérable – plusieurs centaines de millions d’euros – surtout dans l’environnement de taux actuel".
L’impact de la TTF se ferait également sentir sur les rendements des contrats d’épargne retraite, et donc sur le montant des rentes, étant donné que les profils de risque sont plus élevés dans les premières années de détention, pour constituer la meilleure rente par la suite. "Nous ferons tout ce qui est possible pour que cette taxe n'ait pas d'effet majeur pour nos assurés. Il n'en reste pas moins que si celle-ci pas neutre pour la rentabilité des sociétés, elle aura de toute façon un effet à la fois sur la rémunération de nos assurés et de nos actionnaires. Nous connaissons tous les effets négatifs que peuvent avoir des changements réglementaires ou fiscaux de ce type lorsqu'ils ne sont pas coordonnés dans une industrie qui est de plus en plus globalisée", constate Thierry Van Rossum, directeur des investissements de Swiss Life France.
Des impacts sur la gestion d’actifs
Les filiales des assureurs dédiées à la gestion d’actifs seront les plus touchées par la taxe, que ce soit en termes d’allocation d’actifs, de frais additionnels, de révision des systèmes informatiques, voire d’emplois, si certains types de produits ou de transactions venaient à être stoppés ou délocalisés. Dans leur lettre commune, les fédérations du secteur financier estimaient ainsi que les fonds obligataires seraient "très durement touchés" et que les fonds monétaires "disparaîtraient complètement". Thierry Van Rossum estime quant à lui que "la politique globale de gestion d'actifs de Swiss Life France ne va pas évoluer, mais pourra être adaptée à la marge pour tenir compte de cette nouvelle taxe, notamment en ce qui concerne la gestion monétaire et obligataire".
La tentation de délocaliser
Assureurs et banquiers ont évoqué dans leur lettre l’éventualité de délocaliser certaines de leurs activités dans les pays qui ne font pas partie du dispositif. Mais d’autres tendances pourraient s’accentuer pour contourner la taxe. "Dans le cas de l’assurance vie, il n’est pas exclu que les assureurs situés en dehors de la zone TTF proposent des contrats en libre prestation de service aux clients de la zone TTF, permettant notamment d’alléger l’impact de la taxe sur les contrats d’assurance-vie", avance Laurent Leclercq.
Les assureurs auront aussi à cœur d’éviter la taxe sur leurs opérations intragroupes : "La directive ne prévoit pas de traitement particulier de ces opérations. Réaliser des transactions entre deux filiales d’un même groupe a donc pour conséquence de faire payer deux fois la société concernée, à l’achat et à la vente des titres. Dans ce cas-là, cela pourrait entraîner une tendance accrue à succursaliser des filiales pour limiter les mouvements 'internes' de titres entre sociétés", estime Laurent Leclercq.
Des études d’impact demandées
La Commission européenne a estimé entre 30 et 35Mds d’euros par an le rendement de la taxe, dont 6,8 milliards d’euros pour la France. Le secteur financier français estime quant à lui que ce rendement a été sous-évalué et pourrait s’élever à 70Mds d’euros. "La taxe n’aura pas le rendement ainsi attendu. La rentabilité de la plupart de ces opérations ou activités se situe aujourd’hui bien en deçà du coût de la taxe qui leur serait appliquée et le montant total évalué de son coût est massif par rapport au chiffre d’affaires global de ces activités", lit-on dans la lettre à Pierre Moscovici.
Les lignes pourraient néanmoins encore bouger. "Plusieurs acteurs de l’industrie financière ont demandé à effectuer des études d’impact avant la mise en œuvre de la TTF, estimant que la Commission européenne a sous-évalué le rendement et les conséquences de la taxe", ajoute Laurent Leclercq. Si des études d’impact sont autorisées par la Commission, une entrée en vigueur de la TTF au 1er janvier 2014 semble compromise. Le montant lui-même de la taxe est également susceptible d’être revu : selon Reuters, la taxe pourrait être réduite à 0,01% sur les actions et celle-ci serait mise en œuvre de manière plus progressive.
*Les 11 pays du dispositif de coopération renforcée : France, Allemagne, Belgique, Portugal, Slovénie, Autriche, Grèce, Italie, Espagne, Slovaquie et Estonie.
Lien vers la page dédiée à la TTF de la Commission européenne
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