Assurance dépendance obligatoire : Le difficile consensus
Comment FFA et FNMF sont parvenues à trouver une position commune sur l’assurance dépendance ? Pourquoi le Ctip reste sur la réserve ? Les coulisses d’une négociation.
Le financement de la dépendance est une des questions les plus inextricables qui soient. Où trouver les 30 milliards d’euros nécessaires aux dépenses liées à la perte d’autonomie ?
Deux familles d’assureurs, FFA et FNMF, portent depuis septembre 2019 une proposition commune : créer une couverture dépendance obligatoire et généralisée adossée à la complémentaire santé et gérée par un pool d’assureurs selon un principe de péréquation.
Cette proposition peut paraître insuffisante et pas à la hauteur des enjeux, tellement les besoins financiers sont colossaux. L’idée n’est pas nouvelle, et reste difficile à défendre dans un contexte de ras-le-bol fiscal suite à la crise des gilets jaunes, mais elle a le mérite d’apporter un début de solution, selon ses partisans.
Lors de la concertation sur le grand âge pilotée par Dominique Libault, les acteurs de l’assurance ont adopté des positions divergentes : la FFA poussait des offres par capitalisation adossées à la retraite et des garanties d’adaptation du domicile vendues dans le cadre d’une assurance habitation. La FNMF voulait associer une garantie dépendance obligatoire à la complémentaire santé. Le Ctip insistait sur la prise en charge des aidants salariés.
Cette cacophonie n’a pas donné une bonne impression à Dominique Libault, dont le rapport qualifie d’immature le marché de l’assurance dépendance.
Depuis, les représentants des assureurs ont compris qu’il fallait trouver un compromis. Portée par CNP Assurances, l’idée d’une couverture universelle obligatoire du risque dépendance pour l’ensemble de la population, a fait son chemin. Cette assurance par répartition serait adossée à la complémentaire santé, obligatoire à partir d’un certain âge, et transférable d’un assureur à un autre.
A partir d’un âge donné, les assurés cotiseraient quelques euros par mois afin de pouvoir servir une rente viagère entre 300 et 500 euros pour les personnes en état de dépendance GIR 1 et 2. La rente serait déclenchée à tout âge, lorsque la personne est déclarée dépendante. Différents scénarios sont envisagés dans une note interne que nous avons consultée. Pour une rente de 500 euros en cas de dépendance totale, le coût des prestations est estimé à 5Mds d’euros soit 12 euros par mois et par personne de plus de 40 ans, tandis que si l’adhésion commençait à 20 ans, le coût serait de 8€ par mois. Un mécanisme de solidarité intergénérationnelle est prévu afin que la prime soit progressive et augmente avec l’âge : 13€ de 40 à 61 ans, 16€ entre 62 et 69 ans et 20€ à partir de 70 ans.
Le vieillissement de la population et l’augmentation de personnes de plus de 65 ans (27% de la population en 2050) obligerait à demander une prime plus élevée, ce qui permettrait de constituer une réserve afin de financer l’augmentation du coût de la dépendance. Le tarif de 12 € serait insuffisant sur le long terme. Il serait donc nécessaire de l’augmenter jusqu’à +40% en 2038 et encore 20% supplémentaires à horizon 2058, selon les projections de CNP Assurances. Le mécanisme prévoit aussi une franchise de 3 mois afin d’éviter des sinistres de courte durée.
Il a fallu plusieurs mois à FNMF et FFA pour trouver un consensus autour de cette proposition. « Même au sein des équipes de la FNMF, certains cadres opérationnels faisaient barrage », confie une source proche du dossier. Certains assureurs sceptiques considèrent que l’État n’a pas besoin des assureurs pour instaurer un cinquième risque. D’autres opposent que même si la Sécurité sociale s’approprie la démarche, les assureurs auront contribué à apporter des solutions pour l’intérêt général. Cela pourrait changer l’image négative de la profession. D’autres pensent que confier à des acteurs privés l’assurance dépendance permettrait à l’État de respecter les engagements d'endettement de Maastricht.
Axa France a fait basculer la FFA
D’abord réfractaire, la FFA a cédé aux arguments de la FNMF et CNP Assurances après la remise du rapport Libault. Selon nos informations, c’est Axa France qui a fait pencher la balance. Son directeur général Jacques de Peretti, aurait été sensible au fait qu’au-delà du système de financement, les assureurs sont attendus dans le domaine des services autour du maintien à domicile. Être partie prenante d’un système d’assurance généralisée permettrait donc de commercialiser d’autres services d’accompagnement annexes.
Que les défenseurs des couvertures dépendance individuelles par capitalisation soient rassurés. L’idée d’une assurance dépendance généralisée serait complémentaire aux autres solutions pour couvrir la dépendance qui existent sur le marché. « En tant qu’assureurs nous devons donc faire un effort important de pédagogie pour expliquer que ce type d’assurance mutualisée, dite par répartition, est une première étape dans le parcours d’équipement grâce à son accessibilité, et qu’il n’est certainement pas à opposer au contrat individuel viager, souscrit plus tardivement (en moyenne à 60 ans) dont le montant de rente versée peut être supérieur mais en contrepartie d’une sélection à l’entrée et d’une cotisation bien plus importante », précise la note rédigée par CNP Assurances sur l’assurance dépendance obligatoire. Cependant, la note précise que « le marché de l’assurance dépendance individuelle se heurte à deux freins à la souscription : la sélection médicale et le coût ». Une solution généralisée aurait donc le mérite d’être moins chère, à un « coût modique » selon ses défenseurs, grâce à la mutualisation, qui doit être le plus large possible.
Les opposants à une assurance dépendance obligatoire avancent les mêmes réticences entendues pendant le référencement de la fonction publique d’État, à savoir que si c’est une couverture annuelle, l’assuré risque de cotiser à fonds perdus. Suite à ce problème, la dépendance a été exclue de toutes les offres référencées sauf celle du ministère de l’Économie et des Finances. La Drees soulignait en janvier 2019 que l’assurance dépendance adossée à un contrat santé avec une cotisation de 30 euros par an en moyenne, permettait de débloquer une rente viagère de 1.180 euros par an, un montant mensuel de 98,3 euros, très en-deçà du reste à charge moyen d’une résidant en Ehpad (1850 euros par mois). Sur les 2,7 millions de personnes couvertes par ce type de contrat, il y avait uniquement 10.000 bénéficiaires en 2016. La Drees pointait que dans ce type d’assurance dépendance, 40% des cotisations sont reversées sous forme de prestations. Ce taux de distribution est beaucoup plus bas que pour d’autres types de garanties comme l’invalidité (76%) et l’incapacité (80%) en santé.
Pour s’assurer d’avoir un impact réel, les assureurs proposent de confier la gestion de l’assurance dépendance obligatoire à un pool d’assureurs et de permettre la portabilité entre les contrats. Cela permettrait de pouvoir cotiser pendant toute la vie et de faciliter le déclenchement de la prestation en cas de sinistre.
Pourquoi le CTIP reste à la marge
Le président du CTIP Djamel Souami a dit lors du Congrès Reavie que le CTIP n’avait pas été associé aux discussions sur cette assurance dépendance obligatoire. « Notre matière, c’est l’entreprise, et nous préférons nous concentrer sur l’accompagnement des aidants familiaux. Nous avons des préoccupations différentes mais pas divergentes. Nous pensons que créer une nouvelle dépense contrainte, supplémentaire, destinée aux organismes privés, n’est pas dans l’air du temps. Nous croyons davantage à un dispositif qui viendrait s’inspirer du cadre fiscal de la prévoyance et qui s’adapterait à la dépendance », affirmait-il. Jean-Paul Lacam, de son côté, a déclaré à l’agence AEF que le CTIP était attaché à la libre négociation entre partenaires sociaux sur le contenu des couvertures. Selon nos informations, l’idée d’une assurance dépendance obligatoire n’a pas été abordée par le conseil d’administration du CTIP.
Au sein de l'institution paritaire, le principal détracteur à l'idée d'une assurance obligatoire est AG2R La Mondiale, selon plusieurs sources. Présent sur le marché de l'assurance dépendance, son directeur général, André Renaudin a déclaré à plusieurs reprises que "pendant la vie active, on cotise pour la retraite et que pendant la retraite, on cotise pour la dépendance". Le directeur général d'AG2R La Mondiale soutiendra-t-il cette position encore longtemps ? En tout cas, le lobby des mutualistes et des assureurs est très actifs, à quelques semaines de la présentation du projet de loi sur la dépendance.
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