Assurance emprunteur : "Les banques vont relooker leurs offres"
INTERVIEW – Bruno Rouleau s'exprime au sujet de la proposition de loi sur l’assurance emprunteur adoptée par l’Assemblée nationale et prochainement en discussion au Sénat. Porte-parole d'In&Fi Crédits et président de l'APIC, il revient sur les enjeux auxquels vont faire face les intermédiaires mais aussi les banquiers.
Si la proposition de loi de Patricia Lemoine est adoptée, il sera possible de changer d’assurance emprunteur à tout moment et sans frais. La résiliation infra-annuelle est-elle une bonne nouvelle pour votre profession ?
L’objectif prioritaire de la députée porteuse de la proposition de loi est prioritairement d’apporter de la souplesse dans la capacité du consommateur à changer d’assurance de prêt. Le constat fait de la difficulté à faire jouer la concurrence , essentiellement auprès des contrats groupe bancaires, et ce malgré plusieurs lois relatives à la libéralisation de l’assurance emprunteur, a amené des représentants politiques à s’emparer du sujet plus durement face au lobbying bancaire.
L’autre objectif vis-à-vis du consommateur provient des études comparatives, réalisées sur les contrats existants sur le marché, qui mettent en avant l’économie possible en termes de primes payées sur des contrats alternatifs aux contrats groupe bancaires. On est donc dans un volet social de pouvoir d’achat. N’oublions la période électorale et l’opportunité de supporter une loi qui viserait à redonner une capacité de consommation supplémentaire aux ménages endettés.
Enfin, et pour répondre à votre question initiale, les intermédiaires en crédit ont dans leur réglementation l’obligation d’agir au mieux des intérêts du client emprunteur. Si la solution finale visera à nous conformer à cette condition d’exercice, nous l’accompagnerons professionnellement. Car ce que nous déplorons le plus dans la vente liée des contrats d’assurance bancaire, c’est l’absence de discernement dans l’appréhension de la situation et des projets des emprunteurs. Le contrat groupe bancaire, par construction, est un contrat qui mutualise les risques, les profils et les coûts. Ce qui signifie par conséquence que l’individualisation est une opposition à ce principe.
Que va changer la loi pour les intermédiaires ?
Cela signifie que les intermédiaires devront encore plus s’attacher à découvrir la situation présente mais surtout future des emprunteurs, et que le conseil attaché à la comparaison des contrats, notamment lors de modifications de situation les conduira à revalider le contexte du client pour respecter un rapport prix/garanties/situation adapté à la situation propre à chaque client.
Si le Sénat donne son accord, la loi entrera en vigueur dans un an afin que les acteurs du secteur puissent se préparer. En quoi consiste cette préparation pour les intermédiaires ?
Effectivement dans le parcours du texte, même en procédure accélérée, la mise en œuvre ne serait engagée qu’en janvier 2023. Les acteurs nécessitant une préparation sont davantage les banquiers que les intermédiaires qui sont rodés à établir des diagnostics et des préconisations en fonction du profil et de la situation des emprunteurs à assurer.
Ce qui peut par contre davantage se passer c’est que les enseignes bancaires utilisent ce délai pour adapter leurs contrats à plus de souplesse ou à retravailler sur des éléments visant à protéger leurs contrats en cours. On l’a vu récemment avec les déclarations médiatiques du groupe Crédit Mutuel Alliance Fédérale notamment, en faveur de ses clients fidèles qui communiquent sur une absence de refus d’assurer et sur l’allégement de la déclaration de santé. Il y a fort à parier que d’autres acteurs vont embrayer, sur ce sujet ou sur d’autres sujets, afin de fidéliser, pour ne pas dire verrouiller, leur clientèle existante ou potentielle.
Aujourd’hui, quel est le ratio de clients qui décident de changer de contrat au bout d’un an ?
Le marché ne dispose pas avec précision de cette donnée. Pour 2 raisons : elle est diffuse puisque pour le nouvel assureur c’est un nouveau contrat qui rentre dans la masse des contrats noués dès l’origine du crédit. Il n’y a pas de distinction propre à des « rachats externes ». Mais aussi parce que les bancassureurs interviennent souvent pour contrer la volonté de quitter le contrat, soit en proposant une minoration de la prime, soit en proposant un contrat alternatif d’une de leur filiale ou d’un de leurs partenaires privilégiés. Et je n’évoque pas ici les situations complexes liées au traitement même de la demande de substitution ou de résiliation, qui après avoir été mise en lumière, se sont largement estompées.
En revanche, par expérience du terrain, on s’aperçoit que la résiliation a mis du temps à s’implanter. C’est une démarche du consommateur encore méconnue, souvent jugée compliquée, mais ce qui est plus certain c’est que la période anxiogène de la réalisation du projet immobilier a besoin d’être digéré, avant que les emprunteurs ne s’emparent du sujet de la renégociation de leur contrat. Toutefois, on ressent une poussée sur les demandes, sans doute à rapprocher du poids relatif de l’assurance emprunteur dans le projet (avec le niveau de taux des prêts, les primes d’assurance pèsent de plus en plus dans le coût total du crédit), mais aussi à la pression bancaire de plus en plus forte pour que les emprunteurs souscrivent aux contrats groupe.
Avec le système actuel, les banques captent une majorité de ce type de contrats. Pensez-vous que la tendance s’inversera dans le cas où la loi est validée par le Sénat ?
Les banques détiennent par le biais des contrats groupe ou des contrats gérés par leurs captives plus de 87% du marché de l’assurance emprunteur. Et si on disposait des contrats alternatifs pour lesquels il existe des accords partenariaux défensifs chez les banquiers on serait sûrement au-delà des 90-92% de part de marché.Les calculs réalisés par des comparateurs de contrats ont mis en avant la rentabilité forte constatée sur un grand nombre de contrats groupe bancaires. Les différentes législations n’ont rien modifié à la situation car finalement les banques ont une marge de manœuvre économique forte. Les banques vont relooker leurs offres, mettre en place des actions marketing, et sans doute intensifier leur action préventive afin d’assécher les velléités de concurrence en termes de solutions alternatives. Si c’est au profit du consommateur, ce sera l’effet bénéfique espéré par les politiques.
Mais ça peut déraper sur d’autres formes de contreparties ou des constructions de contrats plus complexes et pas forcément plus intéressantes pour l’emprunteur assuré, ou en tout cas pas plus intéressante systématiquement. On l’a déjà observé avec le passage de l’assurance indexée sur le capital restant dû qui aurait pu bénéficier davantage à l’assuré que sur le capital initial puisqu’il y a un amortissement de l’assiette de calcul. Mais on constate que le mode de révision des primes ne rend le sujet attractif que si le crédit ne dépasse pas certaines durées de remboursement. Et du coup, cela avait généré des initiatives de paiement de primes totales sur la durée majoritairement sur les premières années. Pratique dénoncée par le marché.
Pensez-vous que les assureurs ont une opportunité à saisir ?
Les acteurs qui devraient être les plus agressifs devraient être les mutuelles. Néanmoins, elles sont pénalisées dans leur proposition de changement de contrat car elles ne distribuent pas de prêts immobiliers. Cela signifie qu’elles ne peuvent intervenir qu’en cours de vie. Or la pression commerciale bancaire sur le client est très forte, et il est sans aucun doute plus facile de trouver des arguments pour conserver un client que pour en convaincre un nouveau, surtout sans aucun autre lien que celui de l’assurance de prêt.
Et puis reconnaissons que la concurrence née de ces différentes législations a largement profité aux consommateurs. Les conclusions du rapport du CCSF en 2020 avaient établi qu’à niveau de garanties équivalent, les primes moyennes avaient baissé entre 9 et 27% sur ces 5 dernières années, notamment pour les populations les plus jeunes.
Le constat restera surement toujours le même quant au quasi-monopole bancaire, et ce malgré les législations successives, tant qu’il n’y aura pas de contrôles plus intenses et surtout de sanctions appliquées sur les pratiques commerciales dans les réseaux bancaires.
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