Carol Etchebarne (Sedgwick): "Les experts ne sont pas des G.I."
INTERVIEW- Quelques jours après avoir permis à News Assurance Pro de suivre ses experts, Carol Etchebarne, directrice générale de Sedgwick France, nous explique comment l'entreprise s'organise en cas de sinistres de grande ampleur.
Lors d'un épisode de grêle exceptionnel comme ceux de juin dernier, comment dispatchez-vous vos experts ? Comment fixez-vous vos priorités ?
Tout d'abord, il faut comprendre que chaque évènement de grande ampleur nécessite une organisation spécifique, parce qu’ils présentent tous des caractéristiques différentes. L'accessibilité des sites sinistrés est notamment un facteur important : un site touché par un orage de grêle est, en général, plus rapidement accessible qu'un site inondé.
Dans l’épisode de grêle que nous connaissons depuis début juin, l’enjeu moyen des dossiers est relativement élevé et nécessite de faire appel à une typologie d’experts adaptée. Cet épisode de grêle est aussi particulier par sa longueur, et donc par le nombre d'experts qu'il nécessite de mobiliser à moyen terme, à une période de congés d’été qui commence, de surcroît.
Pour chaque évènement de grande ampleur, Sedgwick met en place une cellule de crise composée de personnes chargées au niveau national de réceptionner les dossiers et de calibrer la réponse à apporter, notamment les ressources à mobiliser pour la qualification des dossiers, l’organisation des rendez-vous et la prise en charge des assurés. Nous calibrons également le nombre d'experts à envoyer en fonction de la concentration du sinistre et de l'enjeu, et de managers des équipes présentes sur le terrain Nous nous appuyons sur leur ressenti et leurs constatations de visu pour calibrer notre réponse prévisionnelle.
Au bout de deux jours, nous sommes capables d'estimer correctement combien de dossiers nous allons recevoir et nous affinons ensuite ce chiffre quotidiennement pendant cinq jours. Ce décompte nous permet d’évaluer combien de cas peuvent être qualifiés en télé-expertise, d’envoyer nos premiers experts et de calibrer le besoin de personnel en back-office. Sur une séquence comme celle qui nous occupe aujourd’hui, l'enjeu est de mobiliser les experts le plus vite possible, pour pouvoir verser des acomptes rapidement ; l'augmentation du prix des matières premières et la pénurie de matériaux renforcent cet objectif d’apporter une première réponse concrète, dans les meilleurs délais. Enfin, un suivi est mis en place avec l’envoi d’un fichier de répartition régulier aux assureurs comportant les modalités de chiffrages et les premiers rapports d’expertises.
Comment sont répartis les experts et quelles consignes leur sont données ?
Aujourd'hui, la téléexpertise et la visio-expertise nous permettent de dégager des créneaux de rendez-vous et de la latitude pour avoir des experts en nombre suffisant, à envoyer sur le terrain, partout où cela est nécessaire. De plus, la grêle présente cette caractéristique d’être facile à chiffrer, tant qu'il n'y a pas de dégât des eaux, de pertes d’exploitation ou de logement, ce qui augmente en théorie le nombre des collaborateurs que nous pouvons mobiliser.
Si les marges de manœuvres se réduisent, parce que le nombre de dossiers augmente de nouveau, il nous faut alors ré-évaluer les priorités en fonction des délais fixés par les assureurs et de l'urgence des sinistres. C’est pourquoi pendant toute la durée de l’EGA, notre cellule de crise se réunit toutes les 48 heures pour faire un point détaillé de la situation.
De manière très opérationnelle, les experts déployés sur le terrain ont un « kit catastrophe naturelle » avec des consignes d'homogénéité des chiffrages, un rappel des garanties et tout ce qui est nécessaire à connaître en termes de protection. Les experts ne sont pas des G.I. ! (soldats de l'armée américaine, pendant la deuxième guerre mondiale) Ils ne doivent pas prendre de risques inconsidérés, notamment en cas de dossiers complexes, avec des surfaces importantes où l’évaluation des dégâts sur les toits peut être moins facile et où ils peuvent également être exposés à l'amiante dans certains bâtiments, abîmés par les impacts de grêle.
Comment gérez-vous les conditions différenciées des assureurs et les réactions des assurés ?
D’abord, l’ensemble des assureurs n'ont pas les mêmes processus, ni la même façon de mobiliser des experts, en cas d’EGA comme dans la gestion quotidienne des sinistres. Certains envoient par exemple des artisans faire les réparations directement.
Nous sommes aussi tenus à des niveaux de délais précis en fonction des porteurs de risques avec des KPIs à respecter notamment sur le relationnel. Entre acteurs locaux et assureurs nationaux, les différences ne sont toutefois pas très importantes en cas de catastrophe naturelle.
Nos experts sont des techniciens, déjà formés aux particularités des bâtiments, des machines, etc. Nous leur apprenons également à gérer le relationnel et la façon d’aborder les clients dans ces situations traumatisantes, où leur logement est touché. Les assurés portent en effet une forte attention à la posture et au discours de l'expert, qui sera la seule personne qu’ils rencontreront sur le terrain.
Combien de temps cela prend-il de solder un dossier ?
Pour les dossiers liés aux récents orages de grêle, l'impact et l'ampleur du phénomène sont très importants. S’y ajoute l’inflation grandissante sur les prix des matériaux (tuiles, ardoises, bois, etc), qui deviennent difficiles à trouver. Nous savons que nous aurons des retours des artisans qui de ce fait vont payer leurs matériaux à un prix supérieur à celui en vigueur lors du chiffrage. La gestion de certains dossiers sera plus complexe et les délais de règlement vont s’en trouver allongés.
Pour faire face à cette situation, Sedgwick agit sur le nombre d’experts sur le terrain. L’intensité du dernier épisode a fait grimper ce chiffre à une cinquantaine d’experts en ce moment.
La hausse de l’intensité et de la fréquence des catastrophes naturelles en France vous inquiète-t-elle ?
Le dernier épisode de grêle, plus long et plus intense que d’habitude, avec des grêlons d’une taille inédite, pose question. Nous assistons en effet à une augmentation de l'intensité et les catastrophes naturelles touchent maintenant des régions jusqu’alors moins impactées (le Nord de la France ou l'Allemagne, par exemple, l'été dernier). Lorsque l’on observe certaines tempêtes, la France commence à ressembler à la Floride et voit ses premières tornades !
La gestion des sinistres et l’expertise sont notre cœur de métier, qui prend tout son sens lors d’événements de grande ampleur. En termes organisationnels, cela décuple les moyens à mettre en oeuvre. Par exemple, sur la région Centre, nous avons fait en un mois 150% de l'activité d'une année habituelle, en mobilisant des équipes en nombre. Nous restons dons très attentifs à l’allocation de nos ressources.
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