Chronique : L’autorégulation du courtage et le choix des mots
La réforme du courtage prévoyant l’obligation pour les courtiers et leurs mandataires d’adhérer à une association professionnelle s’articule autour de concepts et termes juridiques qui suscitent réactions et interrogations et sur lesquels nous avons interrogé le Cabinet ORID AVOCATS, spécialisé en droit des assurances, pour clarification.
« L’autorégulation »
Me Lionel Lefebvre (ORID AVOCATS) : ce terme n’est sans doute pas adapté et ne figure d’ailleurs pas dans le texte de l’amendement. Réguler signifie fixer des règles. Or, la mission des associations se limitera à accompagner les courtiers et éventuellement prononcer des sanctions. On ne peut donc parler ni d’« autorégulation » ni de « co-régulation » mais plutôt de « co-supervision », en l’occurrence avec l’ACPR. Précision d’importance pour les courtiers qui ne devraient pas, via ce dispositif, être soumis à des règles plus restrictives par les associations auxquelles ils devront adhérer.
« Obligation d’adhérer »
LL: l’idée simple de regrouper les courtiers et leurs mandataires au sein d’entités juridiques définies ne va pas forcément de soi sur le plan juridique. L’association n’est en effet ni plus ni moins qu’un contrat entre les membres. Adhérer à une association consiste donc, pour le membre, à exprimer une volonté de participer à et de défendre une cause commune et suppose corrélativement l’acceptation de l’association en principe libre de refuser. Imposer l’adhésion exclut pourtant tout consentement et toute liberté de part et d’autre. Le dispositif présente ainsi un risque de remise en cause, l’adhésion étant une condition de l’exercice d’une l’activité professionnelle, le coût de l’adhésion risquant d’être significatif et aucune justification d’intérêt général n’étant clairement mise en évidence. Cette fragilité milite en faveur d’une grande souplesse s’agissant de l’octroi de l’agrément et du contrôle des associations.
Des associations « représentatives »
LL : c’est à la fois un concept central du dispositif et somme toute mystérieux. La « représentativité », telle que celle envisagée pour les syndicats (article L. 2121-1 du code du travail), est censée permettre à un groupe de négocier collectivement ou de fixer des règles au-delà de ses seuls membres ou affiliés. Or, en l’occurrence il n’entrera pas dans les attributions des associations professionnelles de fixer des règles ou de négocier collectivement. Cette situation semble résulter d’un copier/coller du dispositif mis en place en 2003 dans le cadre du conseil en investissements financiers (CIF). Cette activité n’étant pas régulée à l’époque, on pouvait comprendre l’institution de ce critère de représentativité pour des associations censées fixer un cadre juridique et des règles déontologiques. Aujourd’hui on évoque pour atteindre cette représentativité un seuil de 10% (des courtiers et mandataires de courtiers soit environ 4.000 adhérents). Que signifie un tel ratio ? L’objectif de l’exécutif et de l’ACPR étant de limiter à une dizaine le nombre d’associations agréées, le critère quantitatif de 10 % éclipsera d’autres critères plus pertinents relatifs aux modalités d’exercice (proximité, grossiste, affinitaire, vente à distance), typologie de risques (santé, IARD, épargne, réassurance) ou de compétence spécifique.
« la compétence et l’honorabilité de leurs représentants légaux et administrateurs, l’impartialité de leur gouvernance »
LL : Ces critères permettant l’agrément des associations par l’ACPR interrogent aussi sur le plan juridique. Non pas en ce qui concerne la définition des concepts de compétence, d’impartialité ou d’honorabilité mais sur leur mise en œuvre. Il devrait en effet appartenir à l’assemblée générale des courtiers adhérents d’une association et à elle seule d’en apprécier et d’élire librement les représentants de l’association.
Conclusion ?
LL : si tous les concepts indispensables pour atteindre l’objectif d’un accompagnement efficace du courtage semblent réunis, sur le plan juridique, le dispositif paraît bancal.
La question de la « représentativité de la profession » devrait être laissée aux syndicats et fédérations légitimes à négocier collectivement et fixer des règles déontologiques ou de bonne conduite. Les associations de leur côté devraient seulement être « représentatives des intérêts de leurs membres » qui, s’ils ne sont pas antinomiques, sont cependant distincts de l’intérêt général de la profession. Cette « représentativité » pourrait notamment se décliner par la « représentation des différentes tendances du courtage », via des comités spécialisés également représentés au conseil d’administration, et la « représentation individuelle des membres » dans le cadre de procédures disciplinaires instruites par la « commission » visée par le projet d’amendement.
Pour respecter l’égalité entre courtiers adhérents et éviter les conflits d’intérêts, l’« impartialité » et la « compétence » devrait être évaluée principalement au niveau des « fondateurs » en excluant de l’agrément les associations créées/portées par un ou plusieurs courtiers ou par des d’organisations ayant un intérêt direct ou indirect sur le marché du courtage. Au niveau des conseils d’administration, c’est la démocratie interne qui devrait pouvoir s’exprimer en laissant à la collectivité des adhérents la liberté d’élire et de contrôler régulièrement les membres du conseil. Le décret d’application à venir permettra peut-être de clarifier en ce sens la situation.
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