Éric Chenut : "La soutenabilité de notre modèle social est questionnée"
TRIBUNE - Éric Chenut, président de la Mutualité Française, considère que le modèle de protection sociale est face à un triple enjeu : retrouver le fil de la vie démocratique, accompagner le vieillissement de la population et éviter que les générations ne s’opposent. Cette tribune est publiée dans notre magazine sur le bilan 2021 de l’assurance.
2021 s’achève alors que l’épidémie de Covid se poursuit, tout comme se confirment, chaque jour un peu plus les besoins de notre système de santé. Ceux-ci, identifiés de longue date, questionnent la soutenabilité de notre modèle social au moment où il doit faire face à des enjeux de grande ampleur : démographiques, numériques, environnementaux. Un modèle social en quête de moyens, de vision et de souffle démocratique.
Car s’imposent aujourd’hui à notre société des questions qui méritent des réponses élaborées collectivement. Alors que des groupes sociaux ayant des conceptions du monde différentes ont toujours plus tendance à s’opposer plutôt qu’à s’accorder, la démocratie en santé revêt un caractère central et constitue un levier indispensable pour aborder des questions éthiques telles la fin de vie, la santé environnementale ou encore les données de santé, qui occupent une place centrale.
Pour éviter de nouvelles ruptures d’égalité dans l’accès aux droits, pour permettre aux acteurs d’innover, il est primordial que les conditions d’utilisation des données de santé soient largement débattues pour être adaptées et acceptées.
Autre transition, autre débat avec l’impact de la dégradation de l’environnement sur la santé qui devrait s’accroître dans les prochaines années et qui devrait également fragiliser le mode de financement de la protection sociale, aujourd’hui dépendant de la croissance économique. Il nous faut débattre collectivement pour imaginer des protections sociales durables et acceptables par tous, en prenant la pleine mesure des insuffisances du système de santé et des défis à relever.
L’organisation de notre système de santé doit être revue. Les soins de premier recours doivent être repensés au regard des difficultés d’accès des patients dans certains territoires, des parcours de soins à bâtir et des aspirations légitimes des professionnels de santé à une vie plus équilibrée. D’autant que pour se soigner subsistent des barrières financières, avec des restes à charge après remboursement de la sécurité sociale mal maîtrisés. La réforme du 100% santé constitue une partie de la réponse en optique, dentaire et audiologie. Pour autant, un séjour hospitalier ou une maladie chronique peuvent occasionner des dépenses très élevées, à la charge des patients et de leurs complémentaires santé.
Plus globalement, la place de la prévention et de la santé publique doit être considérablement renforcée pour améliorer l’état de santé général, physique et psychique, de la population, pour faire refluer les fortes inégalités sociales en santé et pour agir sur le niveau des affections de longue durée auquel nous serons confrontés du fait de facteurs environnementaux et du vieillissement de notre population.
Cette question générationnelle met d’ailleurs notre modèle de protection sociale face à un triple enjeu. Au moment où dans notre jeunesse s’exprime un mouvement de défiance à l’égard des institutions, notamment politiques, comment, avec elle, retrouver le fil de la vie démocratique, y compris dans le domaine de la protection sociale ? Comment renforcer celle-ci pour leur permettre de s’émanciper pleinement ? Le deuxième enjeu générationnel est lié au vieillissement de la population. Cette évolution tendancielle affecte d’ores et déjà notre système de santé et de retraite, et commence déjà à accentuer nos besoins en matière de perte d’autonomie. Il faut donner à cette protection sociale les moyens financiers que sa mission réclame et compléter ce socle que la cinquième branche de Sécurité sociale doit constituer en généralisant une couverture dépendance couplée à la complémentaire santé. Cette solution assurantielle, nous la portons avec la FFA. L’épargne retraite est également un outil à promouvoir.
Comment, enfin, éviter que les générations ne s’opposent alors que les transferts sociaux sont et seront majoritairement dirigés vers les personnes âgées ? Et comment éviter que des retraités, aux revenus limités, n’éprouvent des difficultés grandissantes face à certaines dépenses de santé ? Répondre à ces questions complexes passe assurément par une réflexion sur le périmètre de protection et sur une meilleure couverture de toute la population en prévoyance, notamment durant la vie active. Mal appréhendés, ces risques liés à la prévoyance ont des conséquences très pénalisantes sur le quotidien des français.
Tous ces défis auront été renforcés en 2021, cette année aura également mis en lumière les empêchements existants auxquels font face les différents acteurs pour construire les solutions qui répondent aux enjeux démographiques, numériques et environnementaux. Pour transformer ces défis en autant d’opportunités pour faire évoluer notre système de santé, il nous faudra les aborder collectivement en 2022, en concertation et en renforçant la participation de l’ensemble des parties prenantes. Année de scrutins et de débats démocratiques, elle est en cela cruciale.
Éric Chenut, président de la Mutualité Française
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