SÉRIE DE TÉMOIGNAGES - Victime d'une main aux fesses, Esther* a dénoncé son agresseur. Le geste déplacé est resté impuni et son auteur a poursuivi sa carrière ascendante.
C’est arrivé pendant un des cocktails les plus importants du secteur de l’assurance. Esther et son directeur s’apprêtent à aller négocier avec un client. « On se lève et il me met une main aux fesses en disant ‘vas-y ma poule’ ! Je l’aurais giflé s’il n’y avait pas eu tout ce monde autour », s'irrite-t-elle. Esther lui pince le bras pour lui signaler son agacement. Ils mènent ensuite la négociation, même si elle est profondément choquée. Esther rentre tôt ce soir-là, se confie à son mari (son meilleur coach) et ensemble, ils construisent la riposte.
Après une nuit d’insomnie, elle est retournée voir son agresseur. « Je craignais qu’il nie les faits, qu’il me fasse passer pour une affabulatrice », affirme-t-elle. L’agresseur a pourtant assumé son geste. « Ce n’est pas la fin du monde ! », lui a-t-il répondu, léger. Pour Esther, en revanche, c’était la fin d’une époque : « Désormais, je ne vous ferai plus la bise, je vais vous vouvoyer et le moins je vous vois, le mieux je me porte », lui a-t-elle annoncé.
Un non événement pour le DRH
Esther n’a pas voulu faire de scandale mais est allée voir le DHR pour dénoncer ce geste inadmissible et éviter que cela se reproduise. « Je lui ai déjà dit de faire attention », a répondu le DRH, sans même se donner la peine de la faire entrer dans son bureau. « C’était un non événement pour le DRH », regrette Esther. Son agresseur, lui, a poursuivi sa carrière et occupe aujourd'hui un poste de direction.
Les mois suivants, Esther avait peur de le croiser dans l’ascenseur. Aujourd’hui, même si elle ne travaille plus directement avec lui, elle est amenée à le croiser régulièrement. Esther ne rate pas une occasion pour le rabaisser. Elle en a fait sa « tête de turc » et c’est sa petite vengeance. Par exemple, dans une réunion avec plusieurs personnes, Esther annonce : « Je ne m’assois pas à côté de vous, car je sais que c’est dangereux ». Lui, il fait profil bas car il sait que dans le contexte actuel, son comportement déplacé ne serait pas toléré par sa maison mère.
J'adore travailler avec les femmes
Dans cette entreprise, Esther a eu une progression relative. Le directeur général affirmait haut et fort qu’il adorait travailler avec les femmes. « Je les paie moins et elles travaillent plus », affirmait-il, fier. Esther participait au comité de direction, mais au-delà de faire le service pendant le cocktail et de servir les petits fours, elle n’était jamais conviée au dîner d’après. « Pour eux, c’était inenvisageable », selon Esther.
« J’étais là pour faire mon travail et tout ce qui dépassait le cadre professionnel était réservé aux hommes. Au début je trouvais cela normal car je me disais que je devais faire mes preuves, mais au bout de 2 ans, la situation n’avait pas changé. On m’a fait comprendre que le comex n’était pas pour moi », explique Esther.
« Le dirigeant était foncièrement misogyne, même auprès des femmes de sa famille ». Avec ses collaboratrices, il adorait montrer sa supériorité. Il leur posait souvent des questions techniques très pointues pour les mettre en évidence.
Manterruption
Dans sa nouvelle entreprise, Esther a découvert le phénomène de « manterruption » qui consiste à couper systématiquement la parole des femmes. « J’ai un siège au comex mais on m’a clairement dit que j’étais là parce qu’il fallait nommer une femme. Je me sens très seule », confie-t-elle.
Dans ce comité exécutif, Esther y joue un rôle figuratif plus qu’opérationnel. « Je suis là pour la forme mais pas pour le fond », formule-t-elle. Esther se bat plus que les autres pour prouver qu’elle mérite sa place. Ses sujets se retrouvent systématiquement en dernière position dans l’ordre du jour. « Plus de la moitié des fois je me fais squeezer par manque de temps et je suis rarement sollicitée sur de vrais sujets de comité exécutif », proteste-t-elle. « J’ai du mal à faire passer mes idées, je m’essouffle car je dépense beaucoup d’énergie pour pas beaucoup de résultat ».
Des alliés pas très courageux
Esther estime avoir des alliés mais « uniquement si cela ne les met pas en danger. Malheureusement, ils ne sont pas très courageux », soupire-t-elle. Elle s’est déjà retrouvée à présenter un dossier qui intégrait des idées amenées par certains membres du comex. Quand son dossier a été décrédibilisé, elle espérait être soutenue mais les intéressés n'ont rien dit. « Cela m’a déstabilisée », affirme-t-elle.
Au plus haut niveau, il n’y a que des hommes, « qui cultivent la culture de l’entre soi. Ils sont habitués à prendre des décisions entre eux et ne sont pas à l’aise avec les femmes », pense Esther.
Dans cette entreprise « ils sont tous très bien élevés », elle est invitée aux dîners mais en réalité, Esther a un rôle subalterne. « Dans une autre société du secteur il existe même un comité stratégique réservé aux hommes en marge du comité exécutif paritaire », explique Esther. Dans ce cas, « le comité exécutif se transforme en réunion d’information ».
Dans ces conditions-là, pourquoi Esther reste-t-elle ? « Après avoir discuté avec d’autres femmes dans la même situation, je suis consciente qu'ailleurs cela ne se passe pas mieux », s'indigne-t-elle.
*Le prénom a été modifié Retrouvez les autres témoignages de la série "Paroles de femmes dans l'assurance" iciÀ voir aussi
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