Grande Sécu : L’Adaf prépare ses contre-arguments
En marge des travaux du HCAAM, les principaux assureurs santé réunis au sein de l’Adaf travaillent sur un scénario alternatif, aux antipodes de la grande Sécu, pour réformer l'assurance complémentaire.
Le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) doit rendre son rapport sur une éventuelle réforme de l’assurance maladie complémentaire en novembre prochain. L’organisme qui regroupe une soixantaine de membres analyse les impacts de différents scénarios de réforme, sans prendre parti. Les trois scénarios à l’étude sont celui d’une grande Sécu, un encadrement renforcé des couvertures santé et prévoyance, et enfin, une libéralisation accrue du marché.
Le gouvernement est divisé sur cette question, selon un fin observateur : « Le ministre des Solidarités et de la Santé Oliver Véran a fait savoir au HCAAM sa préférence pour l’extension du domaine de la Sécurité sociale, alors que Bercy y est hostile ».
Le scénario du type "Grande Sécu" pourrait restreindre voire supprimer le rôle des organismes complémentaires dans la couverture des risques santé. Face à cette menace, l’Association pour le développement de l’assurance française (Adaf), association qui regroupe les 12 plus grands assureurs santé qui représentent 70% des parts de marché, active son lobbying. Selon nos informations, l’association pourrait faire des propositions bientôt, appuyées sur des études d’opinion menées auprès des Français, des chefs d’entreprise et des professionnels de santé.
Les membres de l’Adaf considèrent que ces dernières années les réformes dans le domaine de l’assurance santé ont poussé les acteurs vers un marché concurrentiel. L’ouverture du marché de la protection sociale des fonctionnaires ou encore la résiliation infra-annuelle n’ont fait qu’accroître la concurrence entre les acteurs. « Nous pensons que la concurrence est positive. Elle permet d’ajuster le prix à la vraie dépense, alors qu’un scénario de monopole de l’assurance santé présenterait des risques de dérive des dépenses beaucoup plus importants », souligne un assureur. « Nous sommes un contre-pouvoir de la Sécurité sociale, nous sommes là pour surveiller que la Sécu ne fasse pas assumer aux Français des déficits de plus en plus gigantesques », avance un autre dirigeant mutualiste.
Garants de la liberté de choix
Contre la nationalisation du système de santé, les assureurs mettent en avant la liberté individuelle, un sujet en vogue en cette période de crise sanitaire. Pour le patient, liberté de choisir son parcours de soins ; pour le professionnel de santé, liberté de choisir son mode d’exercice et d’appliquer des dépassements d’honoraires ; et pour les entreprises et les assurés, liberté de choisir la couverture santé la mieux adaptée. « Nous pouvons craindre un déremboursement de certains actes, et donc, un reste à payer plus important pour les patients. Cela créerait une médecine à deux vitesses, avec une couverture universelle forcément pas très élevée et ensuite des assurances privées facultatives », indique un assureur. « Même à l’hôpital, où l’on pourrait penser que le co-paiement est source de lourdeur administrative, la complémentaire prend en charge une partie non-négligeable des interventions de moyenne gravité. Par ailleurs, le co-paiement est une garantie de la liberté du parcours de soin pour le patient. C’est grâce aux complémentaires que les hôpitaux ont développé la chambre particulière ! », revendique un paritaire.
Aux pouvoirs publics de corriger les inégalités
Le pré-rapport du HCAAM comme celui de la Cour de Comptes ont jugé le système de santé trop inégalitaire. La couverture des salariés actifs serait plus qualitative et moins chère que celle des retraités, pour qui le taux d’effort reste considérable. « En incitant la concurrence, on réduit les possibilités de faire de la mutualisation sur le marché de la santé. Ce sont les pouvoirs publics qui ont imposé la généralisation de la complémentaire santé à tous les salariés et obligé les employeurs à financer la moitié de la couverture. Nous pensons que c’est aux pouvoirs publics de mettre en place des mécanismes fiscaux pour rendre la couverture plus accessible auprès de certains publics. Par exemple, grâce au crédit d’impôt ou bien en appliquant un niveau de taxation réduit pour certains publics », suggère un dirigeant.
Les frais de gestion, un faux débat
Les assureurs contestent l’argument selon lequel le co-paiement provoque un surcoût de gestion car ils considèrent que la montée en puissance du numérique permet de faire baisser considérablement les frais de gestion. Ces frais, souvent pointés du doigt par les associations de consommateurs, ont augmenté ces dernières années, notamment les frais d’acquisition car les assureurs investissent de plus en plus en publicité pour attirer de nouveaux clients. Cependant, « dans les frais de gestion il y a aussi les dépenses sur l’action sociale, les réseaux de soins, le financement des aides envers les aidants, les services d’assistance… », se défend un paritaire membre de l’Adaf.
Les risques du monopole
« Le transfert des risques à la Sécurité sociale conduirait à un système uniforme et inadapté à toutes les situations individuelles. Regardez sinon comment la Sécurité sociale est incapable de s’adapter aux déserts médicaux. Nous pensons, au contraire, que les assureurs santé peuvent avoir un rôle majeur pour compenser les déserts médicaux grâce aux investissements dans la e-santé. Pour ce faire, il faut desserrer l’étau autour des organismes complémentaires. L’Etat pourrait marquer de objectifs en matière de politique de santé à moyen terme, et ensuite dérèglementer le système, ce qui nous permettrait de faire des investissements sur l’innovation médicale ou la prévention », réclame un autre assureur. Les acteurs de l'assurance martèlent que le niveau de taxes sur l’assurance santé, produit de première nécessité, est trop élevé, comparé à d’autres pays. « Les taxes ont été multipliés par 15 depuis 2010, ce qui contribue à ce sentiment des Français de payer des cotisations trop élevées », dénonce un autre acteur.
Dérèglementer
En gros, les assureurs considèrent que « le système souffre d’un excès de réglementation ». Ils citent les successives réformes du contrat responsable, la généralisation de la complémentaire santé, le 100% santé… comme des preuves de cet encadrement excessif qui bride l'innovation. Ils souhaitent pouvoir continuer à exercer leur rôle de complémentaire santé, aux côtés du régime général, mais dans un cadre règlementaire plus souple, afin de pouvoir personnaliser les garanties. Ils revendiquent une « liberté contractuelle » et demandent que l’État leur fasse confiance pour opérer sur ce marché régi par les règles de la concurrence.
« S’il est peu probable que les scénarios extrêmes instruits par le HCAAM soient mis en œuvre, il n’est pas exclu que, lors des débats électoraux, Emmanuel Macron choisisse une ‘mesurette’ du type 100% santé, ce qui ajouterait encore de la complexité au système de la complémentaire santé », craint un mutualiste.
L’Adaf est présidée par le fondateur de Covéa, Jean-Claude Seys, et composée de 13 membres : Aéma, AG2R La Mondiale, Allianz, Axa, Covéa, Generali, Groupama, Maif, Malakoff Humanis, Matmut, ProBTP, Scor et Vyv. Bernard Delas, ancien vice-président de l’ACPR, en est le délégué général.
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