Grand âge : L’Ehpad hors les murs, un modèle moins onéreux
REPORTAGE – À Sartrouville, un Ehpad hors les murs de la Croix Rouge accueille 14 personnes âgées dépendantes qui résident chez elles tout en bénéficiant des services d’accompagnement de l’établissement.
À deux pas des bords de Seine, dans la paisible banlieue parisienne de Sartrouville, l’Ehpad Stéphanie de la Croix Rouge propose ses services aux personnes âgées dépendantes des environs. L’idée de créer un Ehpad hors les murs est née en 2017 afin de répondre à l’augmentation du nombre de personnes dépendantes et à leur volonté de rester à domicile le plus longtemps possible.
Comme tous les mercredis à 10h, un bénévole de la Croix Rouge fait la navette dans cette ville des Yvelines pour aller chercher Janine, Amedy et Bernard à leurs domiciles respectifs et les conduire jusqu’à l’Ehpad du quartier. Une aide-soignante les aide à se préparer, fermer la porte de leur domicile et s’installer dans un véhicule adapté. Arrivés dans l’établissement, ils prennent place autour d’une grande table. Au programme, discussion autour des actualités du jour, gym douce et goûter d’anniversaire.
« Quand je suis à la maison, je suis toute seule, alors que quand je suis là, j’apprends beaucoup de choses », s’exclame Janine, 91 ans, en bout de table. Malgré cette offre d’animations variée qui va de la pâtisserie à la percussion, Amedy, 95 ans, est content de rentrer chez lui à 16h30. « J’ai ma femme qui m’attend. Elle est moins vieille que moi, elle a 93 ans !", lance-t-il, tout sourire. « C’est quand-même mieux d’être chez soi, dans la mesure où on peut », ajoute-t-il, tandis que les autres hochent de la tête.
Le dispositif d’Ehpad hors les murs a été financé en 2017 par des fonds de la Croix Rouge, de la Fondation Médéric Alzheimer et de Malakoff Médéric en qualité de mécène. Des études d’impact menées par des équipes de recherche de Paris Dauphine et du CHU de Reims ont permis de prouver les bienfaits du dispositif, notamment en ce qui concerne la qualité de vie du patient. L’Ehpad hors les murs « permet le maintien à domicile pour des personnes âgées dont l’état de santé et/ou la perte d’autonomie nécessiterait une institutionnalisation mais qui préfèrent rester à domicile. Parfois, c'est une transition vers l'Ehpad. En tout état de cause, le dispositif permet de retarder l'institutionnalisation de la personne âgée, à condition que son domicile soit adapté », explique Hélène Meilhac Flattet, directrice du pôle gérontologique des Yvelines de la Croix Rouge.
Grâce au lobbying de la Mutualité Française et de la Croix Rouge auprès du ministère, l’article 51 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) de 2018 a permis de lancer une expérimentation au niveau national et de définir un cahier des charges. Aujourd’hui, en France il y a une vingtaine d’Ehpad hors les murs, appelés DRAD (Dispositif renforcé d’accompagnement à domicile), opérés principalement par des acteurs à but non lucratif comme la Mutualité Française, la Croix Rouge et l’Hospitalité Saint-Thomas de Villeneuve.
Pénurie de personnel
À Sartrouville, le DRAD a été baptisé Vivre@lamaison et accompagne 14 personnes âgées dépendantes. Avec une capacité de 20 bénéficiaires, le dispositif ne tourne pas à plein régime car la Croix Rouge rencontre des difficultés de recrutement, à l’image du secteur du quatrième âge. Vivre@lamaison a actuellement deux postes vacants d’assistant de soins gérontologiques dont le travail consiste à passer du temps avec les bénéficiaires.
[caption id="attachment_1504796" align="alignnone" width="1860"] L'Ehpad Stéphanie accueille les bénéficiaires du DRAD Vivre@lamaison.[/caption]Quand l’Ehpad devient une plateforme de services
Vivre@lamaison perçoit un forfait de 1.096 euros par mois et par bénéficiaire de la part de l’Assurance Maladie pour financer à la fois les services d’accompagnement médical (psychomotricienne, ergothérapeute, psychologue à domicile) ainsi que les activités culturelles et sociales qui ont lieu dans l’Ehpad (gym douce, sorties culturelles, cinéma…). La Croix Rouge prend en charge une partie des frais de transport, mais le reste (30 euros par mois), l’éventuel loyer de leur logement, les repas et les frais courants (électricité, gaz, eau) sont à la charge de la personne âgée. Le financement des prestations d’aide à domicile relèvent toujours de l’APA (Allocation personnalisée d’autonomie) et sont calculées en fonction du niveau de dépendance et des revenus de la personne.
Les soins sont en partie financés par l’Assurance Maladie et prodigués par un service de soins à domicile (SSIAD), avec lequel l’Ehpad est en lien. Tous les interlocuteurs qui interviennent auprès de la personne âgée dépendante sont orchestrés par un « coordonnateur autonomie » employé par l’Ehpad qui se charge également du lien avec les familles.
Le bénéficiaire choisit librement son emploi du temps, à cheval entre le domicile et l'établissement. « Je viens tous les lundis, mercredis et vendredis. Cela soulage énormément ma fille car à midi, ici, il n’y a pas de vin rouge. Tout le monde est satisfait, même mon ex-femme trouve que c’est bien », commente Bernard, 75 ans. En face de lui, Jacinto, 85 ans, est un ancien bénéficiaire de Vivre@lamaison. Depuis quelques mois, il réside à l’Ehpad : « J’ai beaucoup d’amis ici. On rigole bien ».
Sécuriser le maintien à domicile
En cas de chute de la personne âgée à son domicile, un dispositif de téléassistance disponible jour et nuit permet d’alerter les infirmiers d’astreinte de l’Ehpad et de « faire une levée de doute ». Avec l’accord des aidants, il est également possible d’installer des capteurs de mouvement supplémentaires à domicile, sur le lit, le frigo ou la porte d’entrée afin de s’assurer que la personne âgée se porte bien et s’alimente tous les jours.
Hébergement d'urgence et temporaire
Les passerelles entre la maison et l'établissement sont facilitées. Les bénéficiaires de Vivre@lamaison peuvent être accueillis dans l'Ehpad en urgence pour un séjour de 48 à 72 heures si leur aidant principal se trouve hospitalisé. L’Ehpad dispose par ailleurs de lits d’accueil temporaire afin de permettre aux aidants d’avoir un peu de répit.
Quel avenir pour le dispositif ?
Concernant l'avenir du dispositif, la Croix Rouge milite pour que le transport puisse être pris en charge par la dotation de 1096 euros de l'Assurance Maladie, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. "Nous avons fait le choix de prendre en charge une partie du transport car cela nous tenait à coeur de lutter contre l'isolement et de pouvoir accueillir les résidents en journée", explique la directrice de Vivre@lamaison. Par ailleurs, elle pense qu'il faudrait sécuriser l'accompagnement de nuit qui est aujourd'hui assuré par les aides-soignantes, par exemple en rallongeant les horaires du SSIAD de 19h à 22h. Enfin, il y a encore du travail à faire pour rendre interopérables les systèmes d'information entre l'Ehpad et le SSIAD, toujours selon Hélène Meilhac-Flattet.
Le financement de Vivre@lamaison est garanti jusqu’en 2023 dans le cadre de l’expérimentation article 51. Quid de sa pérennisation ? « L’Agence régionale de santé (ARS) nous a garanti l’avenir du dispositif mais nous ne savons pas encore comment. Aujourd’hui, nous percevons 1.096 euros par mois et par bénéficiaire. Le forfait pourrait passer à 850 euros, d’après nos informations. Si cela se confirme, il y aura certainement un reste à charge pour le bénéficiaire », indique Hélène Meilhac-Flattet.
Le modèle d’Ehpad hors les murs pourrait être une réponse pour diversifier les modes de prise en charge des personnes âgées en perte d’autonomie et favoriser le libre choix d’une offre de services. Cette solution est par ailleurs moins onéreuse pour le bénéficiaire et la société qu’une admission en Ehpad. Encore faut-il que la filière réussisse à attirer du personnel. En effet, la forte mortalité dans les Ehpad pendant la crise Covid et le scandale d’Orpéa n’ont pas contribué à améliorer l’image d’un secteur essentiel pour la société qui peine à recruter. Les professionnels espèrent que la future loi sur la perte d’autonomie et le grand âge saura redresser la situation.
Visite organisée par l'Association de journalistes de l'information sociale (AJIS).À voir aussi
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