Comment les grossistes se sont imposés dans le paysage de la distribution ?
En quatre décennies, les courtiers grossistes sont devenus des acteurs incontournable de l’intermédiation à l’heure où les assureurs freinent l’ouverture de nouveaux codes.
En 1977, Solly Azar lançait un nouveau concept d’intermédiation, le courtier grossiste. 40 ans plus tard, ces intermédiaires plaçant des risques auprès des assureurs et les commercialisant à travers les cabinets de proximité sont devenus incontournables, bien aidés, notamment, par la réglementation.
En premier lieu, Solvabilité 2. « Les gros assureurs se recentrent de plus en plus sur le moyen et le grand courtage car le coût d’animation d’un réseau courté peut être trop important d’un point de vue de Solvabilité 2 », analyse Laurent Ouazana, président de Ciprés Assurances. Dans cette logique, le courtier grossiste, en tant qu’intermédiaire d’intermédiaires permet d’optimiser les coûts pour accéder aux courtiers de proximité. « Les compagnies se montrent de plus en plus réticentes à gérer les ouvertures de codes. Il manquait donc un maillon dans la chaîne et c’est là que le grossiste intervient », affirme Cédric Pironneau, directeur général de SPVie.
L’autoroute de la distribution
« Passer par des grossistes nous permet d’adresser à moindre coût un marché plus important en s’appuyant sur le maillage territorial de leurs réseaux », poursuit Renaud de Pressigny, directeur général de QBE France. Positionné sur les TPE, PME et les ETI, l’assureur s’est ainsi tourné vers les grossistes qui prennent de plus en plus de poids dans son activité. « Ils représentent aujourd’hui environ un tiers de notre chiffre d’affaires », souligne Renaud de Pressigny. « Le grossiste, c’est l’autoroute de la distribution », résume Didier Couturier, directeur général adjoint de QBE France.
Les porteurs de risques ont ainsi favorisé leur émergence pour la distribution de leur produit. Mais également pour la gestion. « A l’heure de la digitalisation, la gestion est devenue un élément central. En assurance santé, l’émission du devis, du contrat, l’édition de la carte de tiers-payant, le suivi des remboursements... tout est imbriqué et ne peut pas être morcelé entre les différentes parties intervenant sur un dossier client. Le grossiste permet de faire cette passerelle et d’agréger toutes ces informations », ajoute Cédric Pironneau.
La directive sur la distribution d’assurance, qui doit être transposée avant le 23 février 2018, accompagne ce mouvement de montée en puissance des courtiers grossistes. Pour plusieurs raisons. Une première a trait à la terminologie même de la directive qui évoque « les concepteurs d’assurance », y incluant de fait les grossistes en plus des porteurs de risques traditionnels.
C’est l’une des nouveautés par rapport à DIA 1. « Nous étions dans la co-construction des produits depuis déjà longtemps. Par ailleurs quand nous concevons une offre, nous élaborons le niveau de garantie, le tarif... La DDA formalise notre rôle », rappelle Roger Mainguy, directeur général d’April Santé Prévoyance et April Entreprise Prévoyance.
A l’image du document d’information ou du POG, la directive ajoute de nouvelles contraintes de mises en conformité. Pour les courtiers de proximité de trois ou quatre collaborateurs c’est autant de temps perdu dans les tâches administratives qui n’est pas déployé pour le temps commercial. Les grossistes ont donc une carte à jouer. « En leur fournissant des extranet clients, des outils de gestion digitalisés, nous permettons aux plus petites structures d’être plus efficaces et productives sur les tâches à faible valeur ajoutée, estime Roger Mainguy. C’est l’un des objectifs d’April On lancé en 2016. » SPVie travaille également à la mise en place d’un outil de gestion dédié à son réseau de courtiers. Et ils devraient se multiplier dans les semaines et les mois à venir.
Les courtiers grossistes parviennent ainsi à attirer les courtiers de proximité. « Nous avons reçu quelque 70 demandes d’ouvertures de code durant les deux mois d’été. Et ça s’accélère, détaille le directeur général de SPVie qui affiche un réseau de 800 intermédiaires. On sent qu’ils ont besoin d’un appui. Les cabinets sont de plus en plus multi-spécialistes. Il est toutefois impossible d’être expert sur tous les sujets. »
Mais l’arrivée de ce nouvel étage entre les assureurs et les distributeurs ne vient-il pas rogner les commissions des cabinets de proximité ? « Non, affirme Cédric Pironneau. Nos coûts de gestion sont beaucoup moins élevés que ceux des compagnies. Les chargements permettent donc de maintenir les commissions pour les distributeurs. Les coûts pourraient même être amenés à baisser encore un peu plus. »
« Les courtiers s’y retrouvent. Même si les commissions sont minorées, ils gagnent sur les frais de placement. En passant par un grossiste, ils ne sont pas contraints de faire le tour du marché pour placer leurs risques. Par ailleurs, nous n’aurions pas ouvert de code pour des cabinets qui nous fournissent un volant d’affaires trop faible », précise Didier Couturier.
Autre avantage, les intermédiaires de proximité peuvent se reposer sur la technicité des grossistes pour placer des risques qu’ils maîtrisent mal. « Par exemple, un courtier connaissant mal la RC décennale pourra faire des propositions à un artisan souhaitant être couvert pour son activité construction en s’appuyant sur la compétence technique d’un grossiste », illustre un assureur.
La course à la taille critique est lancée
Le dynamisme des grossistes attise les convoitises et la course à la taille critique fait rage. « Les lignes vont bouger dans les mois à venir », nous confie un observateur. Ciprés Assurances, à la faveur de son changement d’actionnariat, se prépare ainsi à sortir son carnet de chèques pour plusieurs acquisitions, sur les segments de la retraite et de l’assurance dommages.
Chez SPVie aussi, l’heure est à l’étude de dossiers pour réaliser des opérations de croissance externe. « Nous avançons sur deux acquisitions pour nos activités en courtage direct en vue de nous renforcer sur les collectives et le risque d’entreprise. Nous regardons par ailleurs les courtiers grossistes d’une taille équivalente à la nôtre et proches de notre ADN en assurance de personnes. Mais sur ce dernier point la stratégie n’est pas encore totalement arrêtée », détaille le directeur général de SPVie.
Dans un paysage qui s’annonce en recomposition, les grossistes ne semblent pas avoir encore pleinement atteint leur maturité. Mais ils ne connaissent pas non plus la crise de la quarantaine...
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